Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, lettre 5 : analyse

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Voici une analyse linéaire d’un extrait de la lettre V de Mémoires de deux jeunes mariées (1842) d’Honoré de Balzac.

L’extrait étudié va de «Pendant que tu t’apprêtes à moissonner les joies de la plus vaste existence» à «Je n’aurai rien à redouter, pas même une de ces admirations qui peuvent nous rendre fières.»

Lettre 5 de Mémoires de deux jeunes mariées, introduction

Mémoires de deux jeunes mariées, publié en 1842, met en scène les échanges épistolaires entre Louise de Chaulieu et Renée de Maucombe, deux jeunes filles tout juste sorties du couvent des Carmélites.

Cet échange de lettre permet à Balzac d’opposer deux conceptions de l’amour et du mariage : l’une fondée sur la raison, et représentée par Renée, l’autre fondée sur la passion, représentée par Louise.(Voir la fiche de lecture de Mémoires de deux jeunes mariées)

Nous étudierons un extrait de la cinquième lettre de l’œuvre.

Il s’agit de la toute première lettre de Renée, qui répond enfin aux lettres de son amie Louise.

Si Louise est une mondaine parisienne en devenir, Renée est déjà engagée dans un mariage arrangé. Elle est fiancée au Chevalier de l’Estorade et s’apprête à se marier et s’établir en Province, dans une vie domestique paisible.

Tout oppose donc les deux héroïnes dès le début de l’œuvre qui ne partagent pas la même conception du bonheur.

Renée se range du côté de la raison et choisit par sagesse un mariage arrangé, garantie de son bonheur futur.

Elle renonce donc dans cette lettre à la passion, à un destin grandiose, et trouvera l’amour dans un quotidien paisible en famille.

Texte étudié

Pendant que tu t’apprêtes à moissonner les joies de la plus vaste existence, celle d’une demoiselle de Chaulieu dans Paris où tu règneras, ta pauvre biche, Renée, cette fille du désert est tombée de l’Empyrée où nous nous élevions, dans les réalités vulgaires d’une destinée simple comme celle d’une pâquerette. Oui, je me suis juré à moi-même de consoler ce jeune homme sans jeunesse, qui a passé du giron maternel à celui de la guerre, et des joies de sa bastide aux glaces et aux travaux de la Sibérie. L’uniformité de mes jours à venir sera variée par les humbles plaisirs de la campagne. Je continuerai l’oasis de la vallée de Gémenos autour de ma maison, qui sera majestueusement ombragée de beaux arbres. J’aurai des gazons toujours verts en Provence, je ferai monter mon parc jusque sur la colline, je placerai sur le point le plus élevé quelque joli kiosque d’où mes yeux pourront voir peut-être la brillante Méditerranée. L’oranger, le citronnier, les plus riches productions de la botanique embelliront ma retraite, et j’y serai mère de famille. Une poésie naturelle, indestructible, nous environnera. En restant fidèle à mes devoirs, aucun malheur n’est à redouter. Mes sentiments chrétiens sont partagés par mon beau-père et par le chevalier de l’Estorade. Ah! mignonne, j’aperçois la vie comme un de ces grands chemins de France, unis et doux, ombragés d’arbres éternels. Il n’y aura pas deux Bonaparte en ce siècle : je pourrai garder mes enfants si j’en ai, les élever, en faire des hommes, je jouirai de la vie par eux. Si tu ne manques pas à ta destinée, toi qui seras la femme de quelque puissant de la terre, les enfants de ta Renée auront une active protection. Adieu donc, pour moi du moins, les romans et les situations bizarres dont nous nous faisions les héroïnes. Je sais déjà par avance l’histoire de ma vie : ma vie sera traversée par les grands événements de la dentition de messieurs de l’Estorade, par leur nourriture, par les dégâts qu’ils feront dans mes massifs et dans ma personne : leur broder des bonnets, être aimée et admirée par un pauvre homme souffreteux, à l’entrée de la vallée de Gémenos, voilà mes plaisirs. Peut-être un jour la campagnarde ira-t-elle habiter Marseille pendant l’hiver ; mais alors elle n’apparaîtrait encore que sur le théâtre étroit de la province dont les coulisses ne sont point périlleuses. Je n’aurai rien à redouter, pas même une de ces admirations qui peuvent nous rendre fières.

Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, lettre V de Renée à Louise.

Problématique

Comment Renée renonce-t-elle à la passion et défend-elle sa vision d’un bonheur domestique provincial?

Annonce de plan linéaire

Nous pouvons distinguer trois mouvements dans cet extrait.

Dans une première partie au ton solennel, Renée avoue à Louise son mariage et son départ pour la campagne (I).

Ensuite, elle décrit sa future résidence, décor idyllique de sa vie de famille (II) pour enfin renoncer définitivement à tous leurs idéaux romanesques (III).

I – Les vœux de Renée

De «Pendant que tu t’apprêtes à moissonner les joies de la plus vaste existence» à «L’uniformité de mes jours à venir sera variée par les humbles plaisirs de la campagne.»

Dès le début de l’extrait, les destins des deux jeunes amies apparaissent totalement opposés, avec la proposition subordonnée circonstancielle de temps introduite par la locution conjonctive «pendant que» qui décrit la vie parisienne de Louise. Cette proposition permet d’opposer les deux destins.

Renée utilise de nombreuses images afin de décrire leurs deux modes de vie radicalement différents.

Une première métaphore présente la vie parisienne de Louise comme une réussite sociale. En effet, les termes «moissonner», «joies» et «vastes» traduisent la prospérité.

L’hyperbole «la plus vaste existence» renforce cet effet.

Louise est associée à des figures liées à l’abondance : une cultivatrice, par l’emploi du verbe « moissonner« , puis une reine, par l’emploi du verbe «règneras».

Renée ne semble pas douter du succès de son amie, comme l’indique l’emploi du futur de l’indicatif à valeur de certitude : « tu règneras » .

Pour désigner son amie, Renée utilise son titre «demoiselle de Chaulieu» à la place d’un surnom plus familier. Ce titre officiel fait écho à la position de Louise dans la haute société parisienne.

Par opposition, l’énonciatrice se désigne par son simple prénom «Renée», et par les deux périphrases apposées: «ta pauvre biche» et «cette fille du désert est tombée de l’Empyrée» qui appellent à la compassion.

Ces dénominations rappellent également leur intimité du couvent et les sobriquets qu’elles utilisaient.

La périphrase «fille du désert tombée de l’Empyrée» s’oppose aux termes mélioratifs qui décrivent Louise.

L’expression fait probablement référence à L’Enfer de Dante, où Béatrice accompagne Dante au seuil du Paradis. «L’Empyrée» représente la vie idéale qu’elle s’était imaginée au couvent.

Désormais Renée est «tombée» de ses idéaux, n’est plus une héroïne romanesque et se compare à une «pâquerette», simple fleur des champs.

Les termes «vulgaires» et «simples» montrent que Renée mène désormais une existence banale.

L’adverbe affirmatif «oui» et le verbe «jurer» rappellent les vœux prononcés lors d’un mariage : « Oui, je me suis juré… »

Cette lettre prend l’apparence d’une profession de foi, dans laquelle Renée annonce à Louise qu’elle va dévouer sa vie à un homme et se consacrer pleinement à son futur rôle d’épouse. Ses propos ont une dimension solennelle.

La jeune fille apparaît également comme une figure de l’amour maternel, comme le connote le verbe «consoler».

La périphrase «jeune homme sans jeunesse», ainsi que les deux antithèses « giron maternel / guerre» et « joies de bastide / glaces et travaux de la Sibérie» suscitent la compassion envers le futur époux de Renée, qui a connu des épreuves difficiles.

La vie à la campagne s’inscrit dans la continuité du couvent, notamment par l’emploi de l’adjectif «humbles» et le groupe nominal «uniformité de mes jours».

Renée est dépeinte comme une Sainte qui va sauver son futur époux.

II – La description idyllique de son lieu de vie

De «Je continuerai l’oasis de la vallée de Gémenos autour de ma maison» à «je jouirai de la vie par eux».

Renée se projette dans l’avenir avec certitude, comme l’indique l’emploi du futur simple de l’indicatif à de nombreuses reprises : « Je continuerai », « sera », « j’aurai », « je ferai »…

Certes, elle renonce à une vie prodigieuse, mais elle vivra dans un décor digne d’un roman. À défaut de «l’Empyrée», c’est la bastide qui deviendra son paradis. S’ensuit donc une description idyllique de sa future résidence.

D’emblée, la description de son lieu de vie est empreinte de perfection. La périphrase «oasis de la vallée de Gémenos» permet de situer leur bastide dans la vallée de Saint Pons.

Des adjectifs mélioratifs tels que «beaux, joli, brillante» régissent la description. L’adverbe «majestueusement» renforce la connotation idyllique.

Le parc est entièrement décrit à travers le point de vue de Renée, avec des indications spatiales comme «autour de ma maison, jusque sur la colline, le plus élevé».

Comme une architecte, elle construit le décor de son existence, tel un romancier qui décrirait le cadre de son intrigue.

Les déterminants possessifs«ma maison, mon parc, mes yeux, ma retraite» ainsi que le verbe qui indique la possession «j’aurai» laissent entendre la fierté de Renée. Dans un cadre parfait, Renée ne peut qu’être heureuse.

Dans une même phrase, Renée aborde en parallèle la botanique et la maternité à travers deux propositions coordonnées : « L’oranger, le citronnier, les plus riches productions de la botanique embelliront ma retraite, et j’y serai mère de famille.« 

L’hyperbole «les plus riches productions de la botanique» évoque la fertilité.

Le terme «retraite» désigne le fait de se retirer du monde.

Ces considérations botaniques lui permettent ensuite d’annoncer le véritable rôle de sa vie, celui de «mère de famille», dans une affirmation au futur de l’indicatif.

Le parc, décrit par la périphrase «poésie naturelle», est perçu comme protecteur, à travers l’adjectif «indestructible», tout comme Renée sera la garante du bonheur de sa famille.

Le terme «devoirs» essentiel dans toute l’œuvre, semble tout entier décrire Renée et apparaît comme une sentence.

Renée accepte en effet de se ranger du côté du devoir moral. Elle se place dans une perspective chrétienne où une existence conforme aux préceptes religieux sera récompensée : « En restant fidèle à mes devoirs » .

La négation «aucun malheur» confirme que ce retrait du monde est la garantie d‘une vie simple et heureuse.

Dans la lettre II, Louise regrettait sa solitude à Paris. Renée est au contraire entourée de pairs qui la comprennent: son «beau-père» et le «Chevalier de l’Estorade». Ils sont décrits comme deux associés de son bonheur qu’ils «partagent».

L’interjection «ah!» suivi de l’apostrophe «mignonne» trahissent la ferveur de Renée.

Une comparaison poétique associe l’existence de Renée «la vie» à un chemin naturel: «la vie comme un de ces grands chemins de France ».

Son destin est perçu comme une promenade, sous le signe des adjectifs « unis et doux », « éternels« qui évoque une existence idyllique.

L’association des «arbres» et de l’adjectif «éternels» évoque les arbres généalogiques: Renée est destinée à construire une descendance féconde.

En effet, la référence à Bonaparte signifie que Renée vit désormais en temps de paix et que les jeunes n’auront plus besoin de s’enrôler pour la guerre.

La destinée de Renée est détaillée dans trois propositions infinitives régies par le verbe «pourrai».

L’expression «je jouirai de la vie par eux» signifie que Renée sera tout absorbée à son rôle de mère, qui la plongera dans un état de béatitude. Le groupe prépositionnel «par eux» place Renée dans une position sacrificielle.

III – Le renoncement aux idéaux romanesques

De «Si tu ne manques pas à ta destinée» à «pas même une de ces admirations qui peuvent nous rendre fières.»

À cette projection dans l’avenir s’oppose la destinée de Louise, à la fois géographiquement et moralement.

La proposition subordonnée de condition introduite par «si» semble étrangement prémonitoire puisqu’elle suggère la possibilité d’une destinée manquée : « Si tu ne manques pas à ta destinée« .

La proposition relative dont l’antécédent est le pronom «toi» suggère l’admiration que Louise suscite : « Toi qui seras la femme de quelque puissant de la terre« .

Mais cette proposition place Louise dans un statut d’épouse uniquement, et non de mère. Renée implore d’ailleurs Louise de protéger ses enfants à venir : « les enfants de la Renée auront une active protection.« 

La phrase «Adieu donc, pour moi du moins, les romans et les situations bizarres dont nous nous faisions les héroïnes.» est essentielle dans le roman. Elle scelle le destin de Renée, qui écrit une véritable lettre d’adieux et renonce à une vie plus exaltante et passionnée.

Au nom commun «roman» est coordonné le groupe nominal «les situations bizarres»: l’adjectif apparait hautement péjoratif, associé au terme vague «situations».

Ce nom commun reprend toutes les scènes de roman qu’elles s’imaginaient étant enfants au couvent. L’usage de l’imparfait (« dont nous faisions les héroïnes » ) confirme qu’il s’agit d’une période révolue.

Renée fait preuve de lucidité dans une prolepse «je sais déjà par avance» résumée par la périphrase « l’histoire de ma vie».

L’énumération qui suit énonce les éléments triviaux du quotidien d’une belle-fille, épouse et mère.

L’hyperbole «les grands évènements» est associée ironiquement à « la dentition de messieurs de l’Estorande » : Renée ajoute un trait humoristique à sa lettre.

Le présentatif «voilà mes» résume la fierté de Renée pour une existence qui peut sembler bien morne et ordinaire.

Cependant, la tournure passive «être aimée et admirée» suggère que Renée sera au centre des vies de ceux qui l’entourent.

Enfin, la tournure interrogative introduit un élément de surprise dans cette routine, renforcé par l’adverbe «peut-être» : « Peut-être un jour la campagnarde ira-t-elle habiter Marseille pendant l’hiver« .

Cependant, la conjonction de coordination «mais» introduit immédiatement une opposition : « mais alors… ». Rien ne doit venir troubler l’ordre établi.

La métaphore «le théâtre étroit de la province» implique que la vie mondaine ne serait fondée que sur les apparences.

Deux négations soulignent cependant que ce jeu du paraître n’est pas dangereux pour Renée en province: la jeune épouse délaisse pour toujours l’idée d’une aventure amoureuse extra conjugale « pas même une de ces admirations qui peuvent nous rendre fières » .

Mémoires de deux jeunes mariées, lettre 5, conclusion

Dans la lettre II, Renée faisait état d’un caractère passionné et redoutait qu’un homme puisse la tromper.

Dans la lettre 5, Louise se range résolument du côté de la raison et de la morale. Elle assume le choix d’une vie rangée et raisonnable qui lui permettra de devenir mère de famille.

Le véritable débat, à l’œuvre dans le roman, peut maintenant commencer.

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Amélie Vioux

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