Lettres persanes, Montesquieu, lettre 37, « Le roi de France est vieux » : analyse linéaire

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lettres persanes montesquieu lettre 37Voici une lecture linéaire de la lettre 37 des Lettres persanes de Montesquieu (« le roi de France est vieux »).

 

Lettres persanes, lettre 37, introduction

Dans Lettres persanes, Montesquieu utilise le roman épistolaire et des personnages persans pour décentrer le regard et offrir un regard neuf, objectif sur les mœurs et les institutions françaises.

(Voir mon résumé et analyse des Lettres persanes – fiche essentielle pour le bac de français)

Dans la lettre 37, c’est le règne du Roi Louis XIV qui est évoqué.

Louis XIV est mort en 1715 soit 8 ans avant la publication des Lettres persanes.

Dans Lettres persanes, c’est donc moins Louis XIV qui intéresse Montesquieu que le règne de Louis XV auquel il essaie de donner des pistes de réflexions, Louis XIV étant présenté comme le contre-modèle.

Problématique

La critique de l’esprit de Cour et du règne de Louis XIV n’a t-elle pas pour but de poser les bases d’une monarchie idéale ?

USBEK A IBBEN
A Smyrne.
Le roi de France est vieux. Nous n’avons point d’exemple dans nos histoires d’un monarque qui ait si longtemps régné. On dit qu’il possède à un très haut degré le talent de se faire obéir : il gouverne avec le même génie sa famille, sa cour, son état. On lui a souvent entendu dire que, de tous les gouvernements du monde, celui des Turcs, ou celui de notre auguste sultan, lui plairait le mieux : tant il fait cas de la politique orientale.
J’ai étudié son caractère, et j’y ai trouvé des contradictions qu’il m’est impossible de résoudre: par exemple, il a un ministre qui n’a que dix-huit ans, et une maîtresse qui en a quatre-vingts ; il aime sa religion, et il ne peut souffrir ceux qui disent qu’il la faut observer à la rigueur ; quoiqu’il fuie le tumulte des villes, et qu’il se communique peu, il n’est occupé depuis le matin jusqu’au soir qu’à faire parler de lui ; il aime les trophées et les victoires, mais il craint autant de voir un bon général à la tête de ses troupes qu’il aurait sujet de le craindre à la tête d’une armée ennemie. Il n’est, je crois, jamais arrivé qu’à lui d’être en même temps comblé de plus de richesses qu’un prince n’en saurait espérer, et accablé d’une pauvreté qu’un particulier ne pourrait soutenir.
Il aime à gratifier ceux qui le servent ; mais il paie aussi libéralement les assiduités, ou plutôt l’oisiveté de ses courtisans, que les campagnes laborieuses de ses capitaines : souvent il préfère un homme qui le déshabille, ou qui lui donne la serviette lorsqu’il se met à table, à un autre qui lui prend des villes ou lui gagne des batailles : il ne croit pas que la grandeur souveraine doive être gênée dans la distribution des grâces ; et, sans examiner si celui qu’il comble de biens est homme de mérite, il croit que son choix va le rendre tel ; aussi lui a-t-on vu donner une petite pension à un homme qui avait fui des lieues, et un beau gouvernement à un autre qui en avait fui quatre.
Il est magnifique, surtout dans ses bâtiments : il y a plus de statues dans les jardins de son palais que de citoyens dans une grande ville. Sa garde est aussi forte que celle du prince devant qui tous les trônes se renversent ; ses armées sont aussi nombreuses, ses ressources aussi grandes, et ses finances aussi inépuisables.

A Paris, le 7 de la lune de Maharran, 1713.

Annonce de plan linéaire

La lettre 37 fait un faux éloge de Louis XIV (I) afin de réaliser la satire du roi et de la cour (II). C’est en effet bien une critique de la monarchie absolue de droit divin et de la cour qui est à l’œuvre dans cette lettre (III).

I – Un faux éloge

(Du début de la lettre 37 à « tant il fait cas de la politique orientale »)

La lettre d’Usbek commence par une mention « Le roi de France est vieux » En effet la signature de la lettre mentionne 1713 soit deux avant la mort de Louis XIV qui avait alors 75 ans.

La lettre 37 prend le ton d’un éloge comme si Usbek était l’historiographe du roi, une fonction importante sous Louis XIV destinée à consigner les hauts faits du roi : « Nous n’avons point d’exemple dans nos histoires d’un monarque qui ait si longtemps régné ».

La tournure « On lui a souvent entendu dire que … » rappelle la façon d’écrire des historiographes.

Le vocabulaire mélioratif s’inscrit clairement dans le cadre d’un éloge : « très haut degré », « talent », « même génie ».

L’énumération ascendante « sa famille, sa cour, son État », montre l’excellence du Roi dans l’art de régner dans tous les domaines.

Le champ lexical de l’étranger ( « monde » , « Turcs », « auguste sultan », « politique orientale ») témoigne de l’excellence de Louis XIV dans le domaine des affaires étrangères et plus généralement l’excellence et l’influence de la France.

II – Une étude de caractère

(De « J’ai étudié son caractère » à « qu’un particulier ne pourrait soutenir »)

 A – L’étude d’un caractère

 Le deuxième paragraphe sort de l’éloge comme l’annonce la phrase : « J’ai étudié son caractère ».

Le ton se rapproche plutôt de celui d’une étude scientifique comme le montre le vocabulaire issu de la logique : « étudié », « caractère », « trouvé », « contradictions », « impossible », « résoudre », « exemple ». Le Roi n’est pas l’objet de louanges mais l’objet d’une étude.

Le terme « caractère«  révèle les intentions de Montesquieu. En effet, ce terme rappelle l’ouvrage de La Bruyère, Les Caractères, qui est un ouvrage satirique.

B – Un style satirique

Le style satirique vient en effet rapidement s’instiller dans le texte.

L’opposition entre le ministre de « dix-huit ans » et la maîtresse de « quatre vingts » montre le caractère baroque et inattendu de l’entourage du roi alors que l’on attendrait l’inverse.

Le ministre de « dix-huit ans » désigne certainement Le Tellier, ministre en 1691 soit à 23 ans et non à 18.

La maîtresse de quatre-vingt ans désigne Madame de Maintenon qui a bien aux alentours de 80 ans en 1713 (78 exactement) mais qui n’est pas sa maîtresse puisque Louis XIV s’est marié avec elle dans le secret en 1683.

Montesquieu grossit donc le trait dans un intention de caricature.

C – Une critique polémique du règne de Louis XIV

Dans la phrase suivante, Montesquieu évoque l’intransigeance religieuse et fait allusion au conflit ayant opposé Louis XIV aux Jansénistes qui avaient une conception rigoriste de la religion chrétienne (« il ne peut souffrir ceux qui disent qu’il la faut observer à la rigueur » ).

Montesquieu utilise un registre clairement polémique et accuse Louis XIV d’avoir alimenté de nouvelles guerres de religion à l’intérieur même du catholicisme.

L’anaphore de la troisième personnel du singulier qui apparaît sous toutes les formes grammaticales (« il », « lui ») reflète la personnalisation du pouvoir que critique Montesquieu.

Cette personnalisation du pouvoir entraîne des contradictions comme le montrent la subordonnée d’opposition « quoiqu’il » et  les conjonctions « mais », « en même temps ».

Les antithèses « il aime » / « craint », « comblé » / « accablé » mettent également en relief les contradictions du roi. Celui qui prétend faire l’unité du royaume est lui-même divisé.

III – Une critique de la cour de Louis XIV

(De « Il aime gratifier ceux qui le servent » à la fin de la lettre 37)

 A – Une critique de l’esprit courtisan

Montesquieu poursuit sa satire en critiquant la cour de Louis XIV.

Il dévoile l’imposture du langage courtisan en feignant une correction « les assiduités ou plutôt l’oisiveté de ses courtisans ».

Cette correction témoigne qu’il y a deux langages concurrents : le langage de la cour, fondé sur le mensonge et la flatterie (« assiduités ») et celui du réel, qui démasque (« l’oisiveté »).

Le terme »campagnes » qui renvoie au statut de chef militaire du roi est miné par l’adjectif « laborieuses » : « campagnes laborieuses » .

Montesquieu montre ainsi un changement dans l’art de gouverner du roi. Le champ lexical militaire (« servent », « campagnes », « capitaines », « prend des villes », « gagne », « batailles ») est dévalorisé par celui des festivités (« il paie« , « libéralement« , « l’oisiveté« , « se met à table« , « distribution des grâces« ).

Louis XIV n’apparaît ainsi plus comme un chef militaire mais comme un organisateur des festivités de cour.

L’auteur poursuit sa satire en décrivant avec ironie les rituels de cour comme le coucher ou le repas du Roi. Montesquieu emploie en effet des termes prosaïques qui font sourire le lecteur : « un homme qui le déshabille » et « qui lui donne la serviette lorsqu’il se met à table».

C – La critique de la monarchie absolue de droit divin

Le champ lexical de la grandeur qui sature la fin de la lettre 37 (« grandeur », « souveraine », « grâces », « comble de biens ») permet la critique des excès de la monarchie de droit divin.

Le terme « distribution des grâces » assimile le Roi à Dieu. Ce trait hyperbolique est ironique et montre excès de la monarchie absolue de droit divin sous le règne de Louis XIV.

Le terme « choix » souligne que le roi prend la place de la Providence il croit que son choix ») mais il s’agit d’une Providence déréglée, irrationnelle comme le montre le parallélisme de construction qui met en évidence l’absurdité des choix du roi  : « Aussi a-t-on vu donner une petite pension a un homme qui avait fui deux lieues et un beau gouvernement a un autre qui en avait fui quatre ».

Le dernier paragraphe est un éloge paradoxal plein d’ironie qui débute par « Il est magnifique ». (Un éloge paradoxal correspond à l’éloge d’un défaut).

Il s’agit bien d’un éloge paradoxal car cette richesse excessive (« statuts », « nombreuses », « ressources », « inépuisables ») est insolente et dénonce un souverain qui néglige son peuple.

La série de comparatifs témoigne d’une course effrénée à la richesse, qui ne s’arrête jamais : « plus de statues…que de citoyens », « sa garde est aussi forte que celle du Prince », « ses armées sont aussi nombreuses… »

Lettres persanes, lettre 37, Le roi de France est vieux, conclusion

Montesquieu se livre à une critique acerbe du régime de Louis XIV et remet en question de système de la monarchie absolue de droit divin ainsi que l’esprit de Cour.

Cette lettre 37 des lettres persanes est une parodie d’éloge pour avertir le futur Prince des erreurs à ne pas commettre à l’égard de son peuple. Le futur Louis XV ne doit pas reproduire les errements de son arrière-grand-père.

Si Montesquieu critique Louis XIV, ce n’est en effet pas tant pour Louis XIV mais pour son successeur Louis XV qui hérite de la Couronne à 5 ans, d’où une période de Régence assurée par le Régent Philippe d’Orléans.

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Amélie Vioux

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7 commentaires

  • Merci beaucoup Amélie pour cette analyse qui est plus que développée et synthétique. Elle m’a beaucoup aidé pour un commentaire linéaire sur ce sujet. Donc je souhaitais vous remercier pour votre aide précieuse.

  • Bonjour Amélie,
    Merci pour la lecture linéaire de la lettre 37 issue des lettres persanes de Montesquieu.
    Je ne comprends pas très bien pourquoi le titre de la première partie s’intitule « Un faux éloge  » alors que vous dites que le champ lexical de l’étranger et l’énumération ascendante témoignent de l’excellence de Louis XIV.
    Merci à vous.
    Julie

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