Lettres persanes, lettre 99, les caprices de la mode : lecture linéaire

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lettres persanes lettre 99 les caprices de la modeVoici une lecture linéaire de la lettre 99 des Lettres persanes de Montesquieu, « Les caprices de la mode ».

Lettres persanes, lettre 99, les caprices de la mode, introduction

Dans Lettres persanes, Montesquieu est un observateur avisé de la société française.

Par ce roman épistolaire, il donne à voir les mœurs de la société française par le regard extérieur de deux persans, qui vont, sans le filtre des préjugés, donner un portrait objectif de la société française.

(Voir ma fiche de lecture des Lettres persanes – fiche essentielle pour le abc de français)

Dans la lettre 99, Rica adresse à Rhédi une lettre où il témoigne des caprices de la mode.

Problématique

Comment Montesquieu fait-il un éloge de la stabilité tant pour la mode que pour les institutions ?

Lettres Persanes, Montesquieu, Lettre 99

RICA A RHEDI, A Venise.

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu n’eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger; il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.
Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal, qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir les portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur le visage une quantité prodigieuse de mouches1, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.
Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le Monarque pourrait même parvenir à rendre la Nation grave, s’il l’avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la Cour; la Cour, à la Ville, la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717

Annonce de plan linéaire

Dans la lettre 99, Montesquieu fait une satire de la mode (I) dans un registre comique et délibérément caricatural (II). Mais cette satire a un objectif politique : fait l’éloge de la stabilité (III).

I – Une satire de la mode

Du début de la lettre 99 à « a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies ».

 A – Un récit de voyage

Montesquieu pose d’emblée les plaisirs et le déguisement comme le sujets de la lettre 99.

En effet, la lettre est censée être envoyée à Venise, la ville symbole du masque, du divertissement, et des plaisirs.

Le verbe « Je trouve » exprime la confrontation d’un regard à un monde nouveau et rappelle les récits de voyage.

La première phrase suscite l’intérêt car Montesquieu perturbe l’ordre syntaxique attendu en postposant l’adjectif « étonnants » et en intercalant de manière inhabituelle le complément circonstanciels de lieu « chez les Français » : « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. »

Ces perturbations syntaxiques miment le trouble et l’étonnement de Rica devant le spectacle des mœurs françaises.

B – Le registre satirique

Le ton de la lettre 99 est satirique : Montesquieu se plaît à tourner en ridicule les caprices de la mode.

Le parallélisme de construction mime les changements de mode : une mode se substitue à une autre très rapidement (« Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver » ).

L’antithèse « été » / « hiver » montre la soumission des Français au temps et aux aléas de la mode tandis que le pronom personnel « Ils » confond tous les Français dans une généralisation satirique qui suggère le comportement moutonnier du peuple français.

Le pronom impersonnel « il en coûte à un mari… » suggère que la mode est une tyrannie : ce ne sont plus les personnes mais la mode qui décide.

La question rhétorique. « Que me servirait de … » évoque la rapidité des changements de la mode.

L’irréel du présent (« viendrait », « tout serait changé ») souligne l’instabilité de la mode qui est imprévisible.

La mode change avec une étonnant rapidité comme le montre l’hyperbole « tout serait changé ».

C – Une galerie de portraits

Montesquieu fait ensuite une galerie de portraits pour se moquer des méfaits de la mode.

Il dresse un portrait sous forme d’esquisse (« Une femme ») à la manière d’un auteur satirique.

L’opposition entre « six mois » et « trente ans » accentue la désynchronisation progressive entre ceux qui suivent la mode et ceux qui ne la suivent pas, entre Paris et la Province.

Cette description est évidement comique car l’adjectif « antique » est hyperbolique. Il trahit le regard méprisant de la société parisienne à l’encontre de ceux qui ne se soumettent pas à la tyrannie de la mode.

Montesquieu poursuit la satire en évoquant un fils qui ne reconnaît pas le portrait de sa mère.

Le champ lexical de l’art (« portrait », « peinte », « s’imagine », « représentée », peintre », « fantaisies ») montre que l’artifice prend le pas sur la nature . Sous l’effet de la mode, les personnes deviennent des représentations, des masques et perdent leur naturel et leur authenticité.

II – Le registre comique

(De « Quelquefois les coiffures montent » à « les filles se trouvent autrement faites que leurs mères »)

 Montesquieu évoque avec humour l’inconstance de la mode.

La mode est synonyme de changement et d’inconstance comme le montre les antithèses entre « montent »/« descendre » et « insensiblement »/ « tout à coup ».

Le temps de la mode est un temps élastique, imprévisible qui défie toute rationalité. Il est l’opposé de la mesure et du bon sens.

Montesquieu utilise le registre comique pour dresser une portrait presque animal voire monstrueux de la femme à la mode : « Il a été un temps que la hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même ».

Le champ lexical du corps (« coiffures », « visages », « pieds », talons », « parures ») donne l’impression que la mode démembre la femme.

Le champ lexical du gigantisme est caricatural : « montent insensiblement« , « hauteur immense« , « qui les tenait en l’air« .

Encore plus surprenant, l’architecture, premier art majeur, est soumis aux caprices de la mode, comme le souligne le champ lexical de l’architecture : « architectes », « hausser » « baisser », « portes », « leur art »).

L’art mineur prend donc le pas sur l’art majeur : c’est un renversement comique des valeurs : « les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. »

 Montesquieu poursuit sa satire des femmes et de la mode en jouant sur la polysémie du terme « mouche » à la fois animal repoussant et accessoire d’apparat très en vogue au XVIIIème siècle : « On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes les lendemain. »

Le sens actif du verbe « elles disparaissent » assimile d’ailleurs la « mouche » à l’animal, ce qui crée un décalage comique.

L’expression « avaient de la taille et des dents » crée également un effet comique car si l’on disait bien « avoir de la taille » pour dire qu’une taille était marquée, l’expression « avoir des dents«  reste cocasse comme si la mode suivante était de ne plus en avoir, ce qui est absurde.

III – Une mise en garde politique

(De « Il en est des manières et de la façon de vivre » à la fin de la lettre 99.)

 A – La méfiance à l’égard du changement

A la fin de la lettre 99, Montesquieu élargit son propos sur l’inconstance de la mode aux mœurs du royaume.

Il s’inquiète des changements perpétuels de la mode qui reflètent l’instabilité du royaume après la mort de Louis XIV : « les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. »

En 1717, date supposée de la lettre de Rica, Louis XIV est mort depuis 2 ans et le futur Louis XV n’a que 7 ans (« selon l’âge de leur Roi ») La France est donc sous la Régence.

Une relecture de la lettre 99 nous amène d’ailleurs à voir que le champ lexical du changement qui traverse toute la lettre (« caprices », « détruire, « changé », « révolution », « changeante nation », « changent de mœurs ») a une forte connotation politique.

C’est en réalité le royaume qui est inconstant.

B – Un éloge de la stabilité des mœurs et des institutions

Montesquieu termine sa lettre en évoquant la correspondance entre l’esprit du roi et l’esprit de la Nation comme le suggère la métaphore du moule « un moule donne la forme. »

C’est donc le comportement du roi qui permet la stabilité du pays car sa volonté se diffuse dans le pays comme  le montre les répétitions «  Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces ».

Lettres persanes, lettre 99, conclusion

Montesquieu fait dans cette lettre 99 une ode à la stabilité et à la continuité :

♦ Pour les femmes qui doivent se mettre à l’abri des caprices de la mode
♦ Mais aussi pour le royaume lui-même qui doit se mettre à l’abri des caprices et des passions politiques.

Cette stabilité sera l’objet de la recherche politique de Montesquieu dans De l’Esprit des Lois en 1748.

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Lettres persanes, lettre 24 (analyse)
Lettres persanes, lettre 37 (analyse)
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Amélie Vioux

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3 commentaires

  • Bonjour,
    je vous remercie pour tout ce que vous mettez à disposition comme analyses sur ce site. Je trouve vos analyses claires et intelligentes (je n’ai pas encore tout lu), et je me réjouis d’en avoir connaissance. Je prépare le brevet cette année (le bac viendra donc plus tard), mais je suis passionnée par la littérature et je voudrais apprendre à faire des analyses et à bien rédiger moi-même, au lieu d’apprendre par coeur et de restituer des leçons. À l’école, on ne nous apprend pas à analyser et à rédiger nous-mêmes. Et j’ai encore beaucoup de mal pour le faire. J’essaie de comprendre vos analyse des textes de Montesquieu, puis j’essaierai d’imaginer moi-même une satire. Mais en ce moment je n’ai aucune idée de comment préparer cette rédaction.
    Je vous remercie.

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