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Voici une explication linéaire du début du chapitre 17 de Gargantua de Rabelais.
L’extrait étudié va de « Quelques jours après qu’ils se furent rafraîchis » à « c’est-à-dire ‘fiers en parler
« .
La translation en français moderne est celle de Maurice Rat, dans le Bibliolycée de Gargantua chez Hachette.
Gargantua, chapitre 17, introduction
Deuxième roman de François Rabelais écrit en 1534, Gargantua narre l’histoire du personnage éponyme.
L’auteur affirme dès le prologue le double objectif de son roman : divertir le lecteur mais lui permettre également d’accéder au sens philosophique, la «substantifique moelle» de l’œuvre. (Voir la fiche de lecture de Gargantua pour le bac de français).
Au début du roman, le Géant Gargantua a reçu l’éducation du théologien Thubal Holoferne, qui l’a rendu sot et rêveur.
Son père Grandousier a donc fait appel à l’humaniste Ponocrates pour reprendre en main l’éducation de son fils.
Avant de recevoir l’éducation éclairée de Ponocrates, Gargantua se rend à Paris avec son nouveau précepteur.
En quelques galops de jument, Gargantua atteint Paris au chapitre XVII et suscite l’intérêt des habitants.
Extrait étudié :
Comment Gargantua paya sa bienvenue aux parisiens, et comment il prit les grosses cloches de l’Eglise Notre-Dame.
Quelques jours après qu’ils se furent rafraîchis, il visita la ville, et fut vu de tout le monde en grande admiration, car le peuple de Paris est tant sot, tant badaud et tant inepte de nature qu’un bateleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses sonnettes, un vielleux au milieu d’un carrefour assemblera plus de gens que ne ferait un bon prêcheur de l’Évangile. Et tant importunément ils le poursuivaient qu’il fut contraint de se reposer sur les tours de l’église Notre-Dame, auquel lieu étant et voyant tant de gens à l’entour de soi, il dit clairement : « je crois que ces maroufles veulent que je leur paye ici ma bienvenue et mon droit d’entrée. C’est raison. Je vais leur donner le vin mais ce ne sera que par ris. »
Lors, en souriant, détacha sa belle braguette, et, tirant sa mentule en l’air, les compissa si aigrement qu’il en noya deux cent soixante mille quatre cent dix-huit, sans les femmes et les petits enfants.
Un certain nombre d’entre eux échappa à ce pisse-fort grâce à la légèreté de leurs pieds, et quand ils furent au plus haut de l’Université, suant, toussant, crachant et hors d’haleine, ils commencèrent à renier et à jurer, les uns en colère, les autres pour rire : « Carimari, Carimara ! Par sainte Mamie, nous sommes baignés par ris », ce dont fut depuis la ville nommée Paris, laquelle auparavant on appelait Leucèce, comme dit Strabon, lib.IV, c’est-à-dire en grec Blanchette, pour les blanches cuisses des dames du dit-lieu.
Et par autant que cette nouvelle imposition du nom, tous les assistants jurèrent chacun les saints de sa paroisse, les Parisiens qui sont faits de toutes gens et de toutes pièces, sont par nature et bons jureurs et bons juristes, et quelque peu outrecuidants, dont estime Joaninus de Barranco, Libro de Copiositate reverentiarum, qui sont dits Parrhésiens en langue grecque, c’est-à-dire « fiers en parler » .
Gargantua, Rabelais, chapitre 17
Problématique :
En quoi Rabelais livre-t-il dans ce chapitre 17 une satire de ses contemporains parisiens?
Plan linéaire :
Dans un premier temps, du début du chapitre XVII à «prêcheur de l’Évangile
», Rabelais souligne la bêtise des habitants de Paris.
Dans un deuxième temps, de «et tant importunément ils le poursuivaient
» à «dames du dit-lieu
», l’auteur propose une explication comique et farfelue au nom de la ville de Paris.
Enfin, dans un troisième temps, de «Et par autant que cette nouvelle imposition
» jusqu’à la fin de l’extrait, Rabelais conclut par un portrait satirique des parisiens.
I – La bêtise des Parisiens
Du début du chapitre 17 à «prêcheur de l’Évangile
»
Le titre du chapitre XVII est formulé indirectement, presque comme une énigme (Comment Gargantua…). La curiosité du lecteur est attisée par la mention d’un cadeau de «bienvenue» dont il ignore la nature et qu’il découvrira dans ce passage.
L’extrait s’ouvre par une ellipse mentionnant le repos de Gargantua et de sa jument puis sur l’émerveillement que l’arrivée du géant suscite à Paris.
L’étonnement des parisiens est souligné par l’étymologie latine du terme « admiration« , qui vient du verbe miror qui signifie «s’étonner».
À ce stade du récit, le lecteur suppose que c’est la taille du personnage qui suscite cette surprise.
Mais le narrateur propose une toute autre explication satirique : «Car le peuple de Paris est tant sot, tant badaud, et tant inepte de nature…
».
La critique est explicite : le choix de ces trois adjectifs péjoratifs, renforcés par l’adverbe d’intensité «tant» et le rythme ternaire, présente un portrait dévalorisant des habitants. Leur étonnement est en réalité lié à leur bêtise.
Rabelais va plus loin en montrant que les parisiens accordent plus de crédit à «un bateleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses sonnettes, un vielleux » qu’à «un bon prêcheur de l’Évangile
».
L’assonance en «eur» dans l’énumération «un bateleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses sonnettes, un vielleux
» restitue le brouhaha des jeux auxquels s’adonne le peuple frivole.
Le comparatif de supériorité (plus…que) décrie le peuple pour son mauvais goût, son ignorance, sa crédulité, et son absence de foi.
La référence au «prêcheur de l’Évangile
» permet à Rabelais de placer l’évangélisme comme paradigme supérieur: ce mouvement consiste à prendre l’Écriture comme seul fondement du christianisme et à abandonner les institutions créées par les hommes.
II – L’explication comique du nom de la ville de Paris
De la ligne 6 «Et tant importunément ils le poursuivaient
» à la ligne 25 «dames du dit-lieu
»
Les Parisiens semblent dépourvus de bienséance: ils importunent Gargantua qui est «contraint de se reposer sur les tours de l’église Notre-Dame
».
L’image est comique. En effet, l’ascension qui devrait coûter des efforts à n’importe qui, est au contraire source de tranquillité pour Gargantua qui fuit la foule.
L’insertion du discours direct fonctionne comme un soliloque. Le mépris du Géant se traduit par l’insulte «ces maroufles
».
Il explique l’étonnement de cette foule par un impôt qu’il n’aurait pas payé : «que je leur paye ici ma bienvenue», «mon droit d’entrée
» .
Mais Gargantua précise que sa récompense sera « par ris
».
Le lecteur découvre enfin en quoi consiste le «cadeau de bienvenue» annoncé dans le titre du chapitre.
L’acte de Gargantua est certes offusquant mais il correspond à son caractère. Le recours à la paillardise fait rire. «Sa belle braguette», «sa mentuel
» (= son pénis), «compissa si aigrement
» et plus loin «pisse-fort» sont autant de références corporelles triviales et décalées.
Son acte transgresse la bienséance générale.
Le narrateur va plus loin en précisant: «il en noya 260 418, sans les femmes et les petits enfants
». La métaphore hyperbolique et la précision du chiffre sont sources de comique.
Face au personnage solitaire de Gargantua, supérieur en taille, les Parisiens sont toujours désignés comme un groupe où nul ne se distingue: «un certain nombre d’entre eux
», «ils» répétés plusieurs fois.
Leur petite taille et leur nombre les assimilent à des sortes de pantins désarticulés.
Le narrateur se plaît d’ailleurs à souligner le peu d’endurance des habitants, essoufflés au premier effort, comme en témoignent les trois participes présents «suant, toussant, crachant et hors d’haleine
» qui restituent leur agitation chaotique.
Par ailleurs, le narrateur souligne leur impiété puisqu’ils se mettent «à renier et à jurer
».
D’une voix, ils émettent une sorte de formule magique qui résonne de façon humoristique à l’oreille du lecteur par les assonances en «i» et «a»: «Carimari, Carimara ! par sainte Mamie, nous sommes baignés par ris.
»
L’absence de sens évident de cette phrase renforce le rire.
Le narrateur dresse alors un lien de cause à effet pour expliquer de façon farfelue l’onomastique de la ville de Paris : «ce dont fut depuis la ville nommée Paris.
»
Le décalage suscite le rire : sous couvert d’explication logique et rationnelle, et malgré l’emphase crée par le présentatif «Voilà», le fond de cette explication est vide de sens.
Le recours à l’argument abstrait d’autorité («comme le dit Strabon
») est aussitôt réduit à néant par une considération triviale corporelle et erronée: «c’est-à-dire en grec Blanchette, pour les blanches cuisses des dames du dit-lieu
».
III – La satire des parisiens
De la ligne 24 «Et par autant
» à la fin de l’extrait
Le narrateur souligne les changements de nom de la capitale au gré d’une étymologie fantaisiste.
Il s’agit d’une «nouvelle imposition du nom
», l’adjectif «nouvelle» suggérant le caractère changeant des parisiens.
Leur comportement est d’ailleurs ridicule: ils «jurèrent chacun les saints de sa paroisse
».
Le narrateur adresse ainsi de nouvelles critiques aux Parisiens: il se moque de leur diversité incohérente et leur absence d’harmonie («de toutes gens et de toutes pièces
»), de leur propension au blasphème («bons jureurs») et de leur vanité («quelque peu outrecuidants
»).
L’écriture rabelaisienne est tout aussi savoureuse dans la mesure où elle joue avec les sons et les sens pour frapper le lecteur : «et bons jureurs et bons juristes
». Rabelais met ici sur le même plan deux réalités différentes, qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre : un niveau de langue et une compétence en droit, afin de souligner l’incohérence et le manque de logique du peuple parisien.
Là encore, le narrateur tisse un lien de cause à effet entre la vanité des parisiens et leur nom: le nom de l’auteur (Joaninus de Barranco) et l’ouvrage sont inventés par Rabelais.
En apparence, la logique pourrait être cohérente, entre l’orthographe grecque de «Parrhesiens», le sens grec « fiers en parler
» (=hardis en paroles) et le nom francisé «Parisiens». Mais elle est réduite à néant par la fausseté historique.
Gargantua, chapitre 17, conclusion
François Rabelais livre dans le chapitre 17 une satire des Parisiens: il souligne leur bêtise, leur inconstance, leur paganisme, leurs contradictions.
Il se joue des Parisiens, et joue également avec les mots pour divertir son lecteur.
Ainsi, le recours à la lubricité, au vocabulaire du corps et la création d’explications pseudo-rationnelles suscitent le rire et la réflexion : Rabelais invite à déjouer les faux-semblants.
C’est ce que continuera à faire Gargantua au gré de ses pérégrinations dans le roman.
Tu étudies Gargantua de Rabelais ? Regarde aussi :
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- Prologue de Gargantua (lecture linéaire)
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- Gargantua, chapitre 21 (lecture linéaire)
- Gargantua, chapitre 33 (lecture linéaire)
- L’abbaye de Thélème, chapitre 57 (lecture analytique)
- Lettre de Gargantua à Pantagruel, Pantagruel, chapitre 8
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