Dom Juan, acte V scène 2 : commentaire

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dom juan acte V scène 2Voici une analyse de l’acte V scène 2 de Dom Juan de Molière

Pour mieux comprendre l’œuvre, tu peux lire mon résumé de Dom Juan.

Dom Juan,  Acte 5 scène 2 – Introduction

Après l’interdiction de représentation de sa pièce Tartuffe, en 1664, Molière se retrouve dans l’obligation de monter rapidement une autre pièce pour faire vivre ses comédiens.

Il écrit alors Dom Juan ou Le Festin de pierre, selon un sujet mis à la mode par l’espagnol Tirso de Molina, avec l’intention de dénoncer le libertinage et l’hypocrisie sous toutes ses formes – comme il le faisait dans Tartuffe pour critiquer l’hypocrisie des dévots.

Il fera ainsi périr son héros libertin, englouti par la terre qui s’ouvre sous ses pieds à la fin de l’acte V.

Molière dote toutefois Dom Juan d’un fort charisme et d’un pouvoir de séduction indéniable.

Aussi, dans cette scène 2 de l’acte V, la tirade de Dom Juan est ambiguë, à la fois éloge et dénonciation de l’hypocrisie.

Lire l’extrait de l’acte 5 scène 2 commenté ici (texte)

Questions possibles à l’oral de français sur l’acte 5 scène 2 de Dom Juan :

♦ Comment Dom Juan dans cette tirade fait-il un éloge paradoxal de l’hypocrisie ?
♦ Cet extrait constitue-t-il un éloge ou une dénonciation de l’hypocrisie ?
♦ Comment cette tirade met-elle en valeur le double-jeu de Dom Juan ?
♦ Qu’est-ce qui montre dans cet extrait que Dom Juan porte un masque ?
♦ Comment Dom Juan parvient-il à justifier l’hypocrisie ?
♦ Quelle est la stratégie argumentative de Dom Juan dans cette tirade ?

Annonce du plan

Nous verrons que cette tirade est un exemple de la maîtrise de l’art du discours par Dom Juan (I), qui lui sert à défendre un trait considéré comme un vice : l’hypocrisie (II). Mais il ne faut pas manquer le double-sens de cette tirade, derrière laquelle se cachent les idées de Molière (III).

I – Dom Juan, maître du langage

A – Maîtrise de l’art rhétorique

Dans cette longue tirade de la scène 2 de l’acte V, Dom Juan s’adresse à Sganarelle, mais n’attend en réalité pas de réponse de sa part, comme le montre sa question rhétorique : « Combien crois-tu que j’en connaisse […] les plus méchants hommes du monde ? », qui a pour but de persuader son interlocuteur (et le public).

Il manie l’art du discours en rendant son argumentation convaincante par le présent de vérité générale et la généralisation de ses propos.

Il utilise ainsi des tournures impersonnelles englobantes (notamment le pronom indéfini « on », mais aussi des sujets vagues comme « tous », « ils »,  «l’homme de bien », « qui », « ceux »…).

Il s’exprime également par aphorismes, sortes de proverbe, qui renforcent la généralisation :
♦ « Qui en choque un, se les jette tous sur les bras »;
♦ « C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode des vices de son siècle ».

De même, pour appuyer son argumentation, il emploie de nombreuses métaphores qui créent des images fortes dans l’esprit de l’auditeur :
♦ « ferme la bouche »;
♦ « à force de grimaces »;
♦ « les singes »;
♦ « ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse », etc.

B – Une argumentation structurée

Au début de cette tirade de l’acte 5 scène 2, Dom Juan cherche à montrer que l’hypocrisie passe « pour une vertu », et montre qu’elle est un « stratagème » largement mis en pratique par ses contemporains.

La généralisation du début de la tirade lui permet ensuite d’appliquer ces idées à son cas particulier : il passe ainsi à la première personne (« C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver ») et au futur (« je verrai », « je voudrai », etc.).

Il passe ainsi d’une théorie générale à un exemple particulier, qui sert à illustrer et appuyer son propos.

Transition : Cette maîtrise du discours permet à Dom Juan de faire ce qui paraît être une chose pour le moins étonnante : louer l’hypocrisie, à la fois comme « mode » et comme vice utile pour arriver à ses fins.

II – Un éloge de l’hypocrisie

A – La justification de l’hypocrisie

Dom Juan montre tout d’abord que l’hypocrisie est certes un vice, mais « un vice à la mode », qui « [passe] pour vertu » : c’est donc presque une vertu.

D’ailleurs, tout le monde s’y adonne, car le montre la généralisation avec le pronom « on » : c’est donc normal qu’il soit lui aussi hypocrite, et il n’est pas plus condamnable qu’un autre.

La tirade de l’acte V scène 2 est par ailleurs truffée de termes mélioratifs et d’hyperboles pour qualifier les actions de l’hypocrite : il joue le « meilleur de tous les personnages », il obtient « de merveilleux avantages », c’est « un art », un « vice privilégié », un « abri favorable ».

B – Les avantages que procure l’attitude de l’hypocrite

Dom Juan démontre tous ces « merveilleux avantages » :

♦ C’est tout d’abord un art qui inspire le respect : « C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée […] on n’ose rien dire contre elle », et qui « bénéficie d’une impunité souveraine ». L’hypocrite peut ainsi agir en toute liberté, personne ne viendra lui reprocher ce vice déguisé en vertu.

♦ C’est une pratique qui crée des liens entre les gens : « On lie […] une société étroite avec tous les gens du parti ».

♦ Elle permet ainsi d’attaquer ou de défendre collectivement : « Qui en choque un, se les jette tous sur les bras », « si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêt à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous ». Il montre par là que le simple fait d’être hypocrite lui permettra d’être défendu par les autres hypocrites.

♦ Se mettre à l’abri par l’hypocrisie lui permettra de poursuivre « [s]es douces habitudes » de libertinage sans être inquiété.

♦ Enfin, il se qualifie lui-même de « sage esprit » car une attitude hypocrite lui permettra de « profiter des faiblesses des hommes » en toute impunité, et notamment de pouvoir juger et condamner ses contemporains « sous [un] prétexte commode » : la religion (censée défendre « les intérêts du Ciel »).

C – Un éloge paradoxal

Cette brillante tirade en faveur de l’hypocrisie ne cache pas la conscience que Dom Juan a de l’immoralité de ses actes.

Il sait parfaitement que les hypocrites peuvent être « les plus méchants hommes du monde » et que personne ne leur dira rien même si « on a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont ».

Ils sont par ailleurs parfaitement égoïstes : « [je] jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi ».

Transition : Cette tirade de l’acte 5 scène 2 se présente certes comme un éloge, mais elle permet également à Molière de dresser, par la voix de Dom Juan, un portrait critique de ses contemporains, notamment les dévots qui ont fait interdire Tartuffe.

III – Le double-sens de la tirade

A – Le masque de Dom Juan (ou la métathéâtralité)

Dans sa tirade de l’acte V scène 2, Dom Juan emploie le vocabulaire des déguisements et du théâtre pour parler de l’hypocrisie.

Ainsi, l’hypocrite joue un « personnage », c’est une « profession » et un « art » (comme l’est le théâtre), il porte des costumes (le « manteau de la religion, cet habit respecté ») et fait des « grimaces », « baissement de tête », « soupir mortifié », ce qui rappelle le jeu d’acteur.

Par ailleurs, il convient ici de rappeler l’étymologie du mot « hypocrite », du grec hupokritês qui signifie « acteur ».

Molière rappelle ainsi au public qu’il est en train d’assister à une pièce de théâtre, dans une sorte de mise en abyme : un acteur joue le personnage Dom Juan qui lui-même joue un personnage, celui de l’hypocrite.

B – Une attaque de la religion

En rappelant le cadre théâtral dans lequel est prononcée cette tirade, Molière se réfère à un événement qui se situe dans la réalité et non dans la pièce : l’interdiction de Tartuffe.

Il profite de ce discours pour exprimer de sévères critiques à l’encontre de la religion.

En effet, il s’attaque dans cette tirade plus particulièrement aux dévots, qui ont mené une « cabale » (Dom Juan emploie lui-même ce terme) contre cette pièce auprès du Roi pour la faire interdire.

Une autre allusion explicite à cet événement est le terme de « censeur », puisque les dévots ont empêché Molière de s’exprimer.

Indirectement, c’est donc Molière qui parle par la bouche de Dom Juan et qui reproche aux dévots, « sous ce prétexte commode » qu’est la religion (qui n’est qu’un « manteau », un simple habit, et non une conviction), de l’avoir accusé « d’impiété », et d’avoir « déchaîn[é] contre [lui] des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, [ont crié] en public contre lui ».

Ainsi, toutes les phrases ayant « je » pour sujet pourraient s’appliquer aux dévots, et Molière dresse de cette manière un portrait critique des dévots, intolérants (puisqu’ils n’ont une bonne opinion que d’eux), haineux (« haine irréconciliable »), qui ne pardonnent pas (« je ne pardonnerai jamais ») et qui damnent au lieu de venir en aide (« qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée »).

C – Une critique de la société contemporaine

Les dévots ne sont pas les seuls touchés : par la généralisation évoquée plus haut, ce sont tous ses contemporains qui sont remis en cause.

Ainsi, ce ne sont pas les vertus mais les vices qui sont « à la mode », et tous suivent la mode pour ne pas se faire exclure.

Le terme de « mode » n’est pas flatteur, car il caractérise un mode de vie qui change rapidement : la société n’est donc pas constante, ses comportements varient au gré des modes.

Ce « stratagème » qu’est l’hypocrisie profite des plus faibles et les manipulent (« ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres »), comme l’illustre l’aphorisme final : «  C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes ».

Paradoxalement, le « sage » est donc celui qui vit selon les « vices de son siècle », renversant les valeurs traditionnelles.

Acte V scène 2 de Dom Juan – Conclusion

Cette longue tirade est marquante, de par sa place dans la pièce (tout près de la fin, dans l’acte V) et par son contenu, car il est à double sens.

En effet, Molière met en scène un personnage intelligent, qui maîtrise parfaitement l’art de la rhétorique, et lui fait prononcer un discours condamnable, puisqu’il fait l’éloge de l’hypocrisie et renverse le système de valeurs traditionnel.

Cependant, Dom Juan, par cet éloge, fait aussi en creux la critique des hypocrites ; ce faisant, c’est Molière qui attaque le comportement de la Cour et des dévots, et qui ainsi riposte à l’interdiction de Tartuffe, sans se mettre en danger puisqu’en faisant périr Dom Juan à la fin de la pièce, il montre qu’il se distancie de son héros.

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Amélie Vioux

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22 commentaires

  • Bonjour,
    J’aimerai connaître votre avis sur l’importance de la réplique de Sganarelle suite à la tirade de DJ et ce que l’on peut dire dessus
    Merci d’avance

  • Est-il possible que vous nous montrez comment répondre aux différentes problématiques comme vous avez fait pour l’acte I scène 2 de Dom Juan.

    • Il prône la critique des faux dévots lorsqu’il s’attire les critiques des religieux ,certaines personnes y voient comme un genre de fuite , il n’assume pas pleinement sa critique

  • Mais le fait que Dom Juan soit un bon orateur n’a pas de rapport direct avec les problématiques concernant la dimension critique de la tirade, si ?

    • Oui bien sûr, mes plans permettent de répondre à toutes les questions possibles ! Mais il faut bien sûr adapter le plan à la question posée (je vous montre comment faire dans ma formation gratuite en 10 leçons : tu peux t’inscrire en remplissant le formulaire à la fin de chaque article)

  • Ma problématique est « en quoi cet extrait est il révélateur de la personnalité de dom Juan  » et je ne sais pas quel plan je devrai utilise

    • Le plan que j’ai rédigé répond parfaitement à cette question. Il te suffit d’adapter la formulation du plan pour la faire correspondre au plus près à la formulation de ta question, rien de plus ! N’hésite pas à t’inscrire à ma formation gratuite en 10 leçons : j’ai consacré une vidéo à ce sujet (adaptation du plan à la problématique).

    • Bonjour Samir,
      Un commentaire correspond toujours au compte-rendu d’un jugement personnel sur un texte littéraire. Il ne faut bien sûr pas tomber dans le contresens mais plusieurs lectures et interprétations d’un texte sont toujours possibles. C’est la raison pour laquelle vos enseignants vous proposent d’autres plans et d’autres analyses. Il n’existe pas de corrigé type en commentaire.

  • D’accord, merci beaucoup de votre réponse. Je garde les deux et je n’en réviserai qu’un seul si je pense manquer de temps. J’inclurai l’autre dans les questions possibles pour l’oral. Et donc, est ce que la problématique « Que nous apprend ce passage sur Dom Juan et sur les visées de Molière ? » conviendrait pour le commentaire ci-dessus ? En vous remerciant encore.

  • De nouveau bonjour !
    Je suis un peu perdu, je m’inspire de vos commentaires pour rédiger mes fiches pour l’oral, ils rejoignaient tous quasi exactement les plans proposés par mon professeur de français sur les autres Lectures Analytiques mais pour cette analyse, le plan me paraît différent. Le plan est le suivant :
    I) DJ est un manipulateur.
    II) DJ est un hypocrite.
    III) Une critique acerbe de la société de l’époque.

    Ce plan répond à la problématique « Que nous apprend ce passage sur DJ et sur les visées de Molière ? »
    Dois-je garder ce plan pour le commentaire ou bien le votre ?

  • Bonjours , serait t’il possible de tomber sur une problématique qui porte sur la double énonciation , si oui , ce plan est ‘il bon ??

  • Bonjour, aucun de vos deux extraits ne me concernent (je n’ai pas les mêmes passages) mais le dénouement (ActeV ; Scène5-6) est dans ma liste. J’aimerais avoir votre explication, si possible, sur la « morale » de cette pièce de Molière. Certains (des sites que j’ai parcourus) n’expliquent pas vraiment le but de la pièce. En effet, Molière fait mourir Dom Juan, mais dans ce cas, condamne-t-il les attitudes de son personnage et donc valorise-t-il la religion ?(je ne pense pas mais il me manque des éléments…) Sur un autre site, une élève a recopié toute la prise de note de son cours (donc celui du professeur) et il été expliqué que le fait d’ajouter un deux ex machina et tellement d’éléments surnaturels et baroques contribuait à rendre cette fin ridicule et donc au contraire valoriser Dom Juan. Mes recherches ne m’ont pas mené à grand chose donc je me tourne vers vous en espérant avoir une réponse claire et rapide (si possible).
    Merci. Bye!

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