La peau de chagrin, le portrait d’Euphrasie : analyse

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Voici une analyse linéaire du portrait de la prostituée Euphrasie, dans la première partie du roman La Peau de Chagrin d’Honoré de Balzac.

L’extrait étudié va de de « Tais-toi donc, Aquilina ! » à « l’une était l’âme du vice, l’autre le vice sans âme.« 

La Peau de chagrin, le portrait d’Euphrasie, introduction

La Peau de Chagrin, roman publié en 1831, occupe une place particulière dans l’œuvre réaliste d’Honoré de Balzac, plus connu pour ses Études de Mœurs.

Ce roman réaliste et fantastique constitue le premier tome des Études philosophiques dans lequel Balzac expose sa conception de l’existence humaine et des ravages du désir. (Voir la fiche de lecture pour le bac de français sur La Peau de chagrin de Balzac)

À la sortie du magasin d’antiquités, Raphaël de Valentin a fait le choix d’acquérir la Peau de chagrin.

Il tombe alors sur ses amis, dont Émile le journaliste, qui le conduisent à un dîner. Au cours de cette orgie, et avant l’extrait étudié, une prostituée de luxe, Aquilina, parle aux deux amis et raconte son histoire d’amour avec un homme qui est mort guillotiné.

Intervient alors Euphrasie, une seconde prostituée.

Extrait étudié

Tais-toi donc, Aquilina ! Les femmes n’ont-elles pas toutes un amant à pleurer ; mais toutes n’ont pas, comme toi, le bonheur de l’avoir perdu sur un échafaud. Ah ! j’aimerais bien mieux savoir le mien couché dans une fosse, à Clamart, que dans le lit d’une rivale.
Ces phrases furent prononcées d’une voix douce et mélodieuse par la plus innocente, la plus jolie et la plus gentille petite créature qui fût jamais sortie d’un œuf enchanté. Elle était arrivée à pas muets, et montrait une figure délicate, une taille grêle, des yeux bleus ravissants de modestie, des tempes fraîches et pures. Une naïade ingénue, qui s’échappe de sa source, n’est pas plus timide, plus blanche ni plus naïve. Elle paraissait avoir seize ans, ignorer le mal, ignorer l’amour, ne pas connaître les orages de la vie, et venir d’une église où elle aurait prié les anges d’obtenir avant le temps son rappel dans les cieux. À Paris seulement se rencontrent ces créatures au visage candide qui cachent la dépravation la plus profonde, les vices les plus raffinés, sous un front aussi doux, aussi tendre que la fleur d’une marguerite. Trompés d’abord par les célestes promesses écrites dans les suaves attraits de cette jeune fille, Émile et Raphaël acceptèrent le café qu’elle leur versa dans les tasses présentées par Aquilina, et se mirent à la questionner. Elle acheva de transfigurer aux yeux des deux poètes, par une sinistre allégorie, je ne sais quelle face de la vie humaine, en opposant à l’expression rude et passionnée de son imposante compagne le portrait de cette corruption froide, voluptueusement cruelle, assez étourdie pour commettre un crime, assez forte pour en rire ; espèce de démon sans cœur, qui punit les âmes riches et tendres de ressentir les émotions dont il est privé, qui trouve toujours une grimace d’amour à vendre, des larmes pour le convoi de sa victime, et de la joie le soir pour en lire le testament. Un poète eût admiré la belle Aquilina ; le monde entier devait fuir la touchante Euphrasie : l’une était l’âme du vice, l’autre le vice sans âme.

Le portrait d’Euphrasie, La Peau de chagrin, Balzac, « Le talisman » .

Problématique

En quoi le portrait de la seconde prostituée Euphrasie est-il ambivalent et riche d’enseignements pour la suite ?

Annonce de plan de lecture linéaire

Dans un premier temps, Euphrasie apparaît comme une jeune femme belle et séduisante.

Dans un deuxième temps, nous verrons que son portrait laisse entrevoir des aspects plus sombres.

Enfin, dans un troisième temps, Euphrasie devient l’allégorie du mal.

I – Euphrasie : la beauté d’une femme de caractère

de « Tais-toi donc, Aquilina » à « son rappel dans les cieux »

L’extrait s’ouvre sur une injonction à l’impératif présent (« Tais-toi donc« ), adressée à Aquilina : le personnage, encore non nommé, cherche donc à s’imposer face à Raphaël et Émile. Son apparition est surprenante et théâtrale.

Ce nouveau personnage accorde peu de cas aux propos d’Aquilina, en les jugeant communément partagés par les femmes dont l’amant est mort comme le souligne l’expression globalisante « toutes les femmes n’ont-elles pas…« 

Mais le personnage fait une boutade au sujet de l’amant décédé d’Aquilina : « mais toutes n’ont pas, comme toi, le bonheur de l’avoir perdu sur un échafaud ». Cette boutade est ironique par l’antithèse qui fait de la mort d’un être cher une source de bonheur.

Cette prise de parole s’achève sur un vœu au conditionnel présent, opposant deux lieux (« dans une fosse » ; « dans le lit ») : pour Euphrasie, il est donc préférable d’avoir un amant mort que d’être trompée. Cette entrée en matière fait forte impression sur le lecteur. Elle révèle un personnage féminin au caractère affirmé, attaché à l’honneur.

L’identité du personnage est progressivement dévoilée. Elle est d’abord associé à un vocabulaire mélioratif (« voix douce et mélodieuse »).

Le choix des adjectifs rappelle l’étymologie grecque du prénom Euphrasie (eu : bien, bon ; phras : parler, soit celle qui parle bien), dévoilé à la fin de l’extrait.

Puis vient la description de sa beauté. Les trois superlatifs « la plus innocente, la plus jolie et la plus gentille » en soulignent la perfection sur les plan moral et physique.

Mais le portrait de cette nouvelle figure féminine est déjà implicitement ancré dans un univers magique comme le souligne le champ lexical du merveilleux : Euphrasie est rapprochée d’une « petite créature qui, sous la baguette d’une fée, fût jamais sortie d’un œuf enchanté », d’« une naïade », de « ces créatures ». Mi-humaine mi créature enchanteresse, ce personnage attire autant qu’elle interroge.

Après la voix et la légèreté de son arrivée (« pas muets »), le narrateur insiste sur la beauté des traits (« figure délicate »), la finesse (« taille grêle »), la couleur des yeux.

À l’énumération de qualités physiques se rattachent des considérations morales : « des yeux bleus ravissants de modestie », « des temps fraîches et pures », « pas plus timide, plus blanche ni plus naïve ».

Mais le personnage semble difficile à cerner, comme en témoigne la phrase complexe (quatre propositions) et le recours à la métaphore de la naïade.

Il se dégage de la jeune fille un tempérament naïf et enfantin: « pures », « ingénue », « blanche », « naïve », « candide », la répétition « ignorer le mal, ignorer l’amour », la négation « ne pas connaître ». Ce sont autant de termes qui se rapprochent d’une enfant, ou d’une sainte. C’est ce que confirme la fin de l’extrait : « elle aurait prié les anges d’obtenir avant le temps son rappel dans les cieux ».

II – Un portrait ambivalent

de « À Paris seulement » à « et se mirent à la questionner »

Auparavant décrite comme une jeune fille innocente, Euphrasie est peinte ensuite comme une femme unique et ambiguë.

Derrière le « visage candide », elle apparaît presque maléfique avec les superlatifs dépréciatifs « la dépravation la plus profonde, les vices les plus raffinés ».

Pour la décrire, le narrateur allie donc deux facettes antithétiques : une beauté parfaite en apparence (comparaison : « aussi doux, aussi tendre que la fleur d’une marguerite ») et un tempérament corrompu dissimulé et dangereux.

L’effet sur les deux amis est immédiat : ils sont « trompés (…) par les célestes promesses écrites dans les suaves attraits de cette jeune fille ». La séduction est à l’œuvre au point qu’Euphrasie devient maîtresse de l’action -c’est elle qui sert le café- et sujet de la conversation – ils « se mirent à la questionner ». Malgré l’ellipse du dialogue, le lecteur accède à un portrait explicite d’Euphrasie.

III – Euphrasie : l’allégorie du mal

de « Elle acheva de transfigurer » à « l’autre le vice sans âme »

S’ensuit l’apothéose du portrait d’Euphrasie.

Cette apothéose du portrait est annoncée par le verbe « transfigurer » qui suggère une métamorphose.

L’incise « par une sinistre allégorie » fait d’Euphrasie un symbole annonciateur de la suite du roman : celui du vice caché derrière des apparences trompeuses.

Tout oppose Euphrasie à Aquilina qui est résumée par « l’expression rude et passionnée de son imposante compagne ».

Il y a une gradation dans le rythme de la phrase, avec quatre adjectifs qualificatifs nouveaux qui font d’Euphrasie une femme complexe : « le portrait de cette corruption froide, voluptueusement cruelle, assez étourdie pour commettre un crime, assez forte pour en rire ». L’accélération du rythme suggère l’emprise exercée par cette femme sur ceux qui l’entourent.

L’oxymore « voluptueusement cruelle » allie le plaisir à la cruauté.

Ce portrait de plus en plus noir se lit à travers le champ lexical religieux, lié à la mort et à l’Enfer : « cruelle », « crime », termes renforcés par « démon », « punit », « âmes », « larmes », « convoi », « victime », « testament ».

Cette femme aux multiples facettes apparaît impassible (« émotions dont il est privé »), vengeresse, changeante selon le contexte.

Elle est capable d’adapter ses émotions en société (elle pleure lors d’un enterrement), et de laisser apparaître sa vénalité à la lecture du testament.

Le portrait s’achève par une opposition tranchée entre Euphrasie et Aquilina, mise en évidence par l’asyndète entre les deux propositions (qui sont reliées uniquement par un point virgule) : « Un poète eût admiré la belle Aquilina; le monde entier devait fuir la touchante Euphrasie » . Le conditionnel passé s’oppose à l’imparfait, « la belle Aquilina » à « la touchante Euphrasie » .

La dernière proposition juxtaposée, avec son rythme binaire (7 syllabes de part et d’autre de la virgule), ne laisse aucun choix : « l’une était l’âme du vice, l’autre le vice sans âme ». Il s’agit d’un chiasme (structure ABBA – âme, vice, vice, âme) qui permet une mise en garde explicite : ces deux femmes sont sources de malheur. Personne n’échappe à leur emprise maléfique.

Le portrait d’Euphrasie, La peau de chagrin, conclusion

Le portrait d’Euphrasie est un moment central dans le roman.

En effet, la jeune femme constitue une réponse possible à la quête amoureuse de Raphaël de Valentin. Mais sa beauté fatale laisse entrevoir progressivement un caractère diabolique.

Jeune femme innocente, séductrice, Euphrasie est aussi décrite comme une créature capable du pire. Mais c’est Pauline qui occupera par la suite le cœur de Raphaël et le conduira à sa perte.

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Amélie Vioux

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