La Peau de chagrin, dialogue entre Émile et Raphaël : analyse

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Voici une analyse linéaire du dialogue entre Émile et Raphaël lors du festin parisien, dans la première partie « Le Talisman » de La Peau de chagrin de Balzac.

L’extrait étudié va de « Jamais je ne l’ai vu si stupide » à « quand je les aurai, tu verras la diminution de tout mon chagrin ».

La Peau de chagrin, dialogue entre Emile et Raphaël, introduction

La Peau de Chagrin, roman publié pour la première fois en 1831, occupe une place particulière dans l’œuvre d’Honoré de Balzac puisqu’il s’agit d’un roman à la fois réaliste et fantastique.

Balzac y expose sa conception de la vie : chacun est doté d’un capital d’énergie que les désirs et la volonté consument. Seuls le savoir et l’activité intellectuelle préserve la vie. (voir la fiche de lecture pour le bac sur La Peau de chagrin).

Cette philosophie est symbolisée par la peau de chagrin, talisman qui réalise les désirs de son propriétaire au prix de la diminution de son existence.

Lors d’une orgie, Émile se trouve dans la salle à manger, auprès de Raphaël, ivre : tour à tour, ce dernier lance des imprécations contre Foedora, promet de tout guérir. Mais son ami ne croit pas au pouvoir de la Peau de chagrin.

Extrait étudié

— Jamais je ne l’ai vu si stupide.
— Stupide, mon ami ? Non. Cette Peau se rétrécit quand j’ai un désir… c’est une antiphrase. Le brachmane, il se trouve un brachmane là-dessous ! le brachmane donc était un goguenard, parce que les désirs, vois-tu, doivent étendre…
— Eh ! bien, oui.
— Je te dis…
— Oui, cela est très-vrai, je pense comme toi. Le désir étend…
— Je te dis, la Peau !
— Oui.
— Tu ne me crois pas. Je te connais, mon ami, tu es menteur comme un nouveau roi.
— Comment veux-tu que j’adopte les divagations de ton ivresse ?
— Je te parie, je peux te le prouver. Prenons la mesure.
— Allons, il ne s’endormira pas, s’écria Émile en voyant Raphaël occupé à fureter dans la salle à manger.
Valentin animé d’une adresse de singe, grâce à cette singulière lucidité dont les phénomènes contrastent parfois chez les ivrognes avec les obtuses visions de l’ivresse, sut trouver une écritoire et une serviette, en répétant toujours : — Prenons la mesure ! Prenons la mesure !
— Eh ! bien, oui, reprit Émile, prenons la mesure !
Les deux amis étendirent la serviette et y superposèrent la Peau de chagrin. Émile, dont la main semblait être plus assurée que celle de Raphaël, décrivit à la plume, par une ligne d’encre, les contours du talisman, pendant que son ami lui disait : — J’ai souhaité deux cent mille livres de rente, n’est-il pas vrai ? Eh bien, quand je les aurai, tu verras la diminution de tout mon chagrin.

Problématique

À travers ses deux personnages, comment Balzac parvient-il à montrer deux voies de la connaissance, la croyance et la preuve par l’expérience ?

Plan linéaire

Nous analyserons dans un premier temps que Raphaël oscille entre folie et ivresse.

Dans un deuxième temps, nous verrons que seule la preuve empirique convaincra son ami.

I – Raphaël entre folie et ivresse

de « Jamais je ne l’ai vu si stupide » à « à fureter dans la salle à manger »

Face à ce qui lui paraît être un délire, Émile qualifie son ami de « stupide », adjectif péjoratif indiquant qu’il prend ses distances avec ses propos.

Le pronom personnel de la troisième personne du singulier illustre cette distance, dès la première phrase : « Jamais je ne l’ai vu si stupide. »

Raphaël connaît le pouvoir de la Peau de chagrin car il l’a déjà expérimenté. Mais le dire ne suffit pas à convaincre son ami. La phrase complexe « Cette Peau se rétrécit quand j’ai un désir » exprime un état accepté par Raphaël lors de son achat et un constat qu’il a effectué dès qu’il a souhaité assouvir ses désirs.

Mais à ce stade, même avec le présent de répétition, Émile n’a jamais été témoin du pouvoir de la Peau.

L’emportement de Raphaël se lit à travers la multiplication des points de suspension, la répétition du mot « brachmane » à trois reprises et les coupures.

En effet, il tente, par tous les moyens, d’expliquer le pouvoir de la Peau sans y parvenir. Mais ces répétitions et coupures assimilent son propos à celui d’un homme ivre et fou, peinant à proposer un discours logique.

Au-delà de son état, Raphaël ne peut apporter d’arguments tant ce qu’il a à expliquer relève également de la magie.

Ses multiples essais pour expliquer le rétrécissement de la Peau restent vaines : Émile abonde dans le sens de son ami. Il n’est pas du tout convaincu mais cherche plutôt à couper court à la conversation : « Eh ! bien oui. », « Oui, cela est très vrai, je pense comme toi. », « Oui. » Ces répétitions donnent presque à voir une saynète comique.

Raphaël analyse la réaction de son ami de façon lucide : la comparaison « tu es menteur comme un nouveau roi » souligne qu’il a percé à jour son petit jeu.

Mais Émile ne peut croire au rétrécissement de la Peau que si on lui apporte une preuve empirique (liée à l’expérience) : il ne se satisfait pas du raisonnement de Raphaël. Au contraire, l’interrogation rhétorique est moqueuse « Comment veux-tu que j’adopte les divagations de ton ivresse ? »

Les phrases brèves de Raphaël restituent son entêtement et son caractère pragmatique : « Je te parie, je peux te le prouver. Prenons la mesure. »

L’impératif présent à la première personne du pluriel (« ¨Prenons« ) confirme sa volonté de faire une expérience commune.

Comme au début de l’extrait, ce mouvement s’achève par une forme d’aparté où Émile s’adresse à lui-même plus qu’à son ami : « il ne s’endormira pas », rapprochant l’extrait d’une scène de théâtre comique.

La phrase qui suit fonctionne d’ailleurs comme une didascalie, précisant les gestes des personnages : « s’écria Émile en voyant Raphaël occupé à fureter dans la salle à manger« . Le verbe choisi pour désigner les actions de Raphaël l’animalise, le rapproche d’un renard : « occupé à fureter dans la salle à manger. » Il tend à faire sourire tout en soulignant l’agitation de raphaël.

II – La recherche d’une preuve empirique du pouvoir de la Peau de chagrin

De « Valentin animé d’une adresse de singe » à « tu verras la diminution de tout mon chagrin »

L’animalisation se poursuit puisque Valentin présente « une adresse de singe » dans sa recherche, ce qui contraste avec son ivresse.

Il souhaite prouver qu’il a raison.

Le long complément circonstanciel de manière qui suit apporte une explication presque naturaliste sur son comportement : « grâce à cette singulière lucidité dont les phénomènes contrastent parfois chez les ivrognes avec les obtuses visions de l’ivresse ». Par là, Balzac rend son personnage encore plus réaliste. L’antithèse « singulière lucidité« / »obtuses visions de l’ivresse » accentue l’importance de ce moment : l’acuité de Raphaël apparaît hors du commun.

La monomanie de Raphaël se traduit par la répétition exclamative « Prenons la mesure ! Prenons la mesure ! » Il souhaite faire appel à des instruments de mesure objective pour être cru par son ami.

Pour croire, Émile doit avoir une preuve empirique qui passe par la vue.
Avec les deux outils, l’écritoire et la serviette, Émile s’attelle à la prise de la mesure, comme l’indique la proposition subordonnée relative « dont la main semblait être plus assurée que celle de Raphaël ».

Le repère tracé représente ainsi « les contours du talisman » et servira de repère tangible.

Raphaël adopte alors un ton de défi illustré par l’interro-négative « n’est-il pas vrai ? », l’interjection « Eh ! bien » et le futur à valeur de certitude « tu verras ».

Il établit un lien de cause à effet entre son vœu de richesse (« deux cent mille livres de rente ») et la conséquence (« la diminution de tout mon chagrin »). Le nom commun final (« mon chagrin ») est à prendre au sens de cuir.

La Peau de chagrin, dialogue entre Emile et Raphaël, conclusion

Cet extrait met face à face deux amis différents : l’un est ivre mais paradoxalement lucide et connaît le pouvoir de la Peau de chagrin ; l’autre semble plus sobre et ignore le pouvoir du talisman. Emile incarne la raison et le besoin de preuve empirique.

Les simples assertions ou le récit du pouvoir magique ne suffisent pas à le convaincre. Afin d’être cru, Raphaël doit prouver ses dires de façon rationnelle.

Le lendemain de l’orgie, un notaire annoncera à Raphaël un héritage : la peau de chagrin rétrécira, le conduisant progressivement vers la mort.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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