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Voici une lecture linéaire de la première apparition de Julien Sorel, au chapitre IV de la première partie du Rouge et le Noir.
L’extrait analysé va de « Eh bien, paresseux ! Tu liras donc toujours tes maudits livres.
» à « dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu
» .
Le Rouge et le Noir, le portrait de Julien, Introduction
Stendhal écrit Le Rouge et le Noir en 1830. (Voir ma fiche de lecture Le Rouge et le Noir : analyse)
Le personnage principal de ce roman, Julien Sorel, n’apparaît qu’au chapitre IV, ce qui ménage un effet d’attente chez le lecteur.
Problématique
En quoi cet extrait campe-t-il le portrait d’un héros complexe ?
Extrait étudié :
« Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. »
Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait.
« Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d’entendre cet ordre. Son père qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre des noix, et l’en frappa sur l’épaule. A peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu’il va me faire ! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène.
Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et dans les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il n’en est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné l’idée à son père qu’il ne vivrait pas, ou qu’il vivrait pour être une charge à sa famille. Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.
Annonce du plan linéaire
Le lecteur découvre le portrait de Julien Sorel en deux temps. Il s’agit tout d’abord d’un portrait en action marqué par l’opposition entre le père et le fils (I). S’ensuit un portrait physique et moral qui suggère un personnage ambigu (II).
I – L’opposition entre le père et le fils
(de « Eh bien, paresseux ! Tu liras donc toujours tes maudits livres
» jusqu’à « le Mémorial de Sainte-Hélène.
« )
A – Une opposition théâtralisée
Dès les premières lignes de cet extrait, Julien Sorel apparaît comme l’opposé de son père.
Julien Sorel est introduit dans le roman par la parole paternelle : « Eh bien paresseux !
». L’apostrophe dépréciative marque d’emblée l’opposition entre le père et le fils.
Stendhal insiste sur le parler familier voire vulgaire du père à travers le polyptote (« liras », « livres », « Lis-les
» ) qui suggère une parole circulaire, répétitive.
De plus, le père Sorel emploie certains mots pour d’autres (c’est une figure de style que l’on appelle catachrèse) : il utilise le terme « scie » pour « scierie », « à la bonne heure » pour « de bonne heure », « quand » pour « à la place de… ».
La tournure orale au troisième paragraphe « Descends animal que je te parle
» est celle d’un homme d’action, éloigné de la parole.
A l’opposé de son père, Julien apparaît comme un homme de la contemplation, des livres, du langage. Il est absorbé par sa lecture. Sa position en hauteur suggère un personnage qui aspire à s’élever par l’effort intellectuel.
L’opposition entre le père et le fils est théâtralisée par un registre tragique à travers le champ lexical de la violence: « force du coup », « tout sanglant », « poste officiel », « larmes aux yeux », « douleur physique
». Le participe présent « sanglant » accentue la dimension pathétique de la scène et contribue à nous rendre Julien sympathique.
Surtout que Julien est un héros qui résiste à la douleur. Le terme « étourdi » fait penser aux combats épiques dans la littérature antique. L’hyperbole « tout sanglant » montre la résistance physique d’un héros qui investit sur les valeurs intellectuelles.
B – De nombreux symboles
Cette première partie de l’extrait comporte des symboles permettant de mieux cerner le roman.
Tout d’abord, le champ lexical de la machine (« bruit », « machine », « mécanisme », « longue perche
») fait de la scierie un espace hostile et bruyant, celui de l’industrie et de l’artifice. Il s’agit d’un espace en tout point opposé à l’intellect et au spirituel.
Cette industrie naissante au début du XIXème siècle est vue comme menaçante pour l’homme, en particulier pour celui qui veut s’adonner à la contemplation ou à la poésie comme le fait Julien. Le monde matérialiste de la scierie et de l’argent s’oppose donc à l’univers des livres et de la contemplation.
Ensuite, Stendhal fait une analogie humoristique entre la chute de Julien chassé par le « vieux Sorel » et la chute d’Adam poussé par Dieu hors du paradis terrestre. Le passage suivant fait en effet songer à la bible : « le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu’il va me faire
»
Cette parodie du péché originel souligne que Julien est un héros de roman d’apprentissage : il sort de l’enfance pour se plonger dans le monde adulte de l’action et des compromissions.
Un autre fait est symbolique : la perte du livre dans le ruisseau.
Julien lit le Mémorial de Sainte-Hélène d’Emmanuel de Las Cases, un ouvrage qui relate des entretiens quotidiens avec l’Empereur Bonaparte lors de son exil à Sainte-Hélène.
Ce livre pose les bases du bonapartisme et concilie action publique et sens de la grandeur, mais c’est une lecture qui doit rester discrète sous la Restauration.
Or ce livre est pour Julien « celui de tous qu’il affectionnait le plus
« . On comprend donc que Julien voue un culte à l’empereur. Or, la perte du livre symbolise le renoncement aux rêves de grandeur et l’entrée dans un monde bourgeois, matérialiste et médiocre.
Transition : Après ce portrait de Julien en action, Stendhal dresse un portrait physique et moral du jeune héros.
II – Le portrait de Julien Sorel : un portrait ambigu
(de « il avait les joues pourpres
» à « il était toujours battu
« )
A – Une faiblesse apparente
Le portrait de Julien commence de façon très classique, par l’énumération de traits caractéristiques et saillants : « Il avait les joues pourpres et les yeux baissés », « un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans« , « faible en apparence« , « de grands yeux noirs
« .
Ce portrait contient de nombreux termes péjoratifs comme le montre le champ lexical de la faiblesse: « baissés », « petit », « faible », « irréguliers », « petit front », cheveux « plantés fort bas« , « légèreté », « toujours battu », « air extrêmement pensif », « grande pâleur
».
A l’opposé des héros combatifs des romans d’apprentissage, Julien Sorel a donc plutôt des traits féminins.
Mais ce portrait met en relief l’opposition entre l’apparence et la réalité intérieure.
La locution adverbiale « en apparence » suggère que Julien a un caractère affirmé, en contradiction avec sa physionomie de jeune homme fragile.
B – Julien, un personnage ambigu
Julien Sorel est en effet surtout présenté comme hors du commun : ses traits sont « irréguliers » , sa physionomie « distinguée par une spécialité plus saisissante
» .
Non seulement son physique tranche avec celui de son père et de ses frères, mais Julien Sorel se distingue dès sa jeunesse des autres garçons comme le suggère l’adverbe d’intensité « extrêmement » (« son air extrêmement pensif
« ) qui accentue son originalité.
Son regard animé de « feu » et de « haine la plus féroce
» vient détruire l’image de l’agneau innocent (« petit jeune homme », « grands yeux noirs
« ) pour y substituer celle du prédateur au regard perçant, prêt à saisir la moindre opportunité pour réussir.
Le champ lexical de la sauvagerie tend à animaliser Julien et à mettre en lumière un potentiel de violence : « aquilin », « grands yeux noirs », « feu », « haine », « féroce », « colère », « méchant
».
Ces contrastes suggèrent une plasticité du personnage, une capacité, malgré son apparence fragile, à s’adapter à un monde impitoyable.
Julien est même un personnage coupé du lien naturel et biologique (« Il haïssait ses frères et son père
»). Il incarne ainsi l’ingratitude, l’infidélité.
Malgré ces traits inquiétants, Julien Sorel suscite l’empathie du lecteur qui voit en lui une victime, un jeune garçon incompris dans un environnement hostile.
Il devient ainsi un personnage dramatiquement intéressant.
Le portrait de Julien Sorel, Chapitre IV du Rouge et le noir, Conclusion :
À travers ce portrait contrasté, plein de paradoxes, Stendhal campe un héros complexe.
Julien Sorel n’est pas l’incarnation de la grandeur et de la pureté, mais un personnage ambigu, fait d’ombre et de lumière.
Il apparaît ainsi comme le produit du romantisme, avec ses contrastes et ses oppositions.
Pour aller plus loin :
Autres analyses d’extraits du Rouge et le Noir :
♦ Le Rouge et le noir : résumé
♦ Le Rouge et le noir, chapitre 1 (incipit) : lecture linéaire
♦ Le Rouge et le noir chapitre 6 : lecture linéaire
♦ Le Rouge et le noir, chapitre 9 : lecture linéaire
♦ Le Rouge et le noir, chapitre 41 : lecture linéaire
♦ Le Rouge et le noir, excipit : lecture linéaire
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Bonjour madame je suis en 1 ère
J’ai le bac blanc sur Stendhal
Je vais choisir la dissertation pouvez vous m’aider s’il vous plaît
Me donner des exemples culture littéraire…. Merci beaucoup je suis un abonné de votre chaîne et votre livre m’aide beaucoup.
Bonjour,
Merci de mettre en ligne des lectures linéaires de » Le Rouge et le Noir « .
Serait-il possible de mettre aussi quelques oeuvres qu’on peut rattacher à ce roman, s’il vous plaît ? Je dois vous avouer que ma culture générale en français se résume seulement aux livres que je suis obligée de lire en cours, de ce fait lorsque je dois rattacher une autre œuvre au commentaire que je viens d’écrire : « je suis complètement à la ramasse ».
Merci d’avoir pris le temps de lire mon commentaire.
Continuez ainsi, vous sauvez la vie de beaucoup de lycéens !
Bonjour,
Je rattacherais ce texte au roman « L’interdite » de Malika Mokeddem de 1993 qui fait parti du même parcours associé de « L’intériorité du personnage ». En effet, ce roman comporte comme celui-ci l’expression des sentiments du personnage principal, ses souffrances profondes, une personnalité instable, la communion avec la nature, les milieux sociaux, la réalité de leur temps, les mécanismes économiques et sociaux conduisant l’individu à la réussite ou à l’échec, etc… Ils partagent donc les mêmes mouvements : le romantisme et le réalisme.
Alice