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Voici une analyse linéaire du poème « Nuit Rhénane » issue du recueil Alcools d’Apollinaire.
Nuit rhénane, lecture linéaire, introduction
Le recueil Alcools, publié en 1913 par Guillaume Apollinaire, est un recueil qui joue sur la surprise, les contrastes, l’inventivité lexicale et syntaxique.
(Voir la fiche de lecture d’Alcools d’Apollinaire)
Le poème « Nuit rhénane » ouvre le cycle des 9 poèmes de la section Rhénanes, inspirée par le voyage d’Apollinaire en Allemagne et sa rencontre avec une jeune anglaise, Annie Playden.
Dans cette section, Apollinaire se réapproprie les mythes germaniques et fait entrer dans sa poésie les figures surnaturelles des fées du Rhin, comme pour créer un parallélisme avec Annie Playden, dont il se sent ensorcelé.
Poème analysé
Nuit Rhénane
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs piedsDebout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliéesLe Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’étéMon verre s’est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913.
Problématique
Comment le poème « Nuit Rhénane » mêle-t-il l’univers de l’ivresse et de la nuit pour proposer une définition de la modernité poétique ?
Annonce de plan linéaire
Nous verrons que le premier quatrain de « Nuit rhénane » a toute les apparences d’un poème lyrique traditionnel (I). Dans la suite du poème, Apollinaire met à distance le lyrisme traditionnel pour définir la modernité poétique comme un choc entre tradition et nouveauté (II).
I – « Nuit rhénane », un poème apparemment traditionnel (v.1 à 4)
Un poème lyrique (v.1 et 2)
Le poème « Nuit rhénane », qui commence par un quatrain composé d’alexandrins aux rimes croisées, a toute l’apparence d’un sonnet élisabéthain (ABAB BCBC CDCD EE), sans doute en hommage à Annie Playden, la jeune anglaise dont Apollinaire était amoureux.
Le premier terme « mon verre » (v.1) place d’emblée le poème sous le signe de l’alcool et de l’ivresse, dont on retrouve les symptômes avec le « vin trembleur
» et la « chanson lente
« .
Mais Apollinaire joue surtout sur l’homophonie entre « verre » et « vers », qui éclaire le titre du recueil Alcools.
L’alcool est ainsi immédiatement associé à une énergie créatrice, qui symbolise l’inspiration poétique.
« La chanson lente d’un batelier
» fait immédiatement songer au lyrisme qui désigne au départ une poésie chantée accompagnée de la lyre.
Le champ lexical de la musique et du chant, très présent dans les deux premiers quatrains, souligne que ce poème a pour véritable sujet le lyrisme : « Écoutez », « chanson », « lente », « raconte », « chantez », « dansant
».
Le lyrisme est renforcé par la musicalité du premier vers avec l’allitération en [v] et l’assonance en [in] : « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
».
L‘ assonances en (an) ralentit le rythme et crée une tonalité mélancolique typiquement lyrique :
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Enfin, le lyrisme est renforcé par le cadre : la « nuit » présente dans le titre et le groupe nominal « sous la lune » au v.2 dressent un décor typiquement romantique, comme dans un tableau du peintre romantique Caspar David Friedrich.
Un poème mythologique et fantastique (v.3 et 4)
Si le premier quatrain semble s’inscrire dans un lyrisme amoureux traditionnel, les vers 2 et 3 apportent à ce tableau une atmosphère fantastique de la mythologie germanique.
L’adjectif « sept » (« sept femmes
« ) est un chiffre mystique et les « cheveux verts et longs
» font entrer le poème dans le surnaturel.
Le verbe « Tordre » entraîne le lecteur dans un espace aux formes courbes, fascinant et inquiétant.
Les sept femmes pourraient faire référence aux filles du Rhin, ondines de la mythologie nordique, chargées de veiller sur l’or du Rhin comme le suggère dans le troisième quatrain « l’or des nuits
».
Le verbe « Écoutez » à l’impératif engage le lecteur à prêter attention à ce chant lyrique qui puise dans la tradition et la mythologie.
II – Une définition de la modernité poétique (v.5 à 13)
A – Le rejet du lyrisme romantique (v.5 à 8)
Mais le deuxième quatrain marque une rupture avec le lyrisme traditionnel en proposant une poésie nouvelle.
Le « chant du batelier
« , qui symbolisait la poésie lyrique traditionnelle, est rejeté brutalement par Apollinaire : « Que je n’entende plus le chant du batelier
« .
Sur ce chant ancien, le poète superpose un chant nouveau : « chantez plus haut
» (v.5).
L’absence de ponctuation crée une anacoluthe au v.5 (une anacoluthe est une rupture syntaxique) qui montre la volonté de rompre avec la poésie et la syntaxe traditionnelles : « Debout chantez plus haut en dansant une ronde
» .
Le polyptote (répétition d’un même mot avec des variations) du verbe « chanter » dessine désormais deux chants concurrents, l’ancien et le nouveau : « Debout chantez
» (le nouveau chant), « le chant du batelier
» (l’ancien chant).
Les verbes à l’impératif (« chantez », « Que je n’entende plus », « mettez
») montrent le poète comme un chef d’orchestre en train de donner vie à ce lyrisme moderne.
Les filles blondes « Au regard immobile aux nattes repliées
» pourraient aussi représenter le retour au réel par opposition aux mythes (« leurs cheveux verts et longs
« ).
B – La mise en scène d’un lyrisme moderne (v.9 à 12)
Au vers 9, la répétition « Le Rhin le Rhin
» reproduit l’ivresse de l’alcool qui fait voir double.
La vision devient celle d’un homme ivre : « ivre« , « en tremblant« , « chante toujours à en râle-mourir
« .
Cette ivresse permet d’accéder à un autre monde qui est le reflet du nôtre comme le souligne les verbe « se mirer » et « refléter »: « où les vignes se mirent« , « s’y refléter
« .
L’ivresse, associée à l’inspiration poétique, mène à l’invention de nouveaux mots (« râle-mourir« , « incantent
« ) et d’un chant poétique surprenant : « La voix chante toujours à en râle-mourir
» .
D’ailleurs, dans ce troisième quatrain, les sonorités changent.
Alors que les vers 1 et 2 faisaient entendre les assonances languissantes du lyrisme traditionnel, le troisième quatrain repose sur une musicalité énergique avec l’assonance en [i] et l’allitération en [r] du vers 9 : « Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
» .
Les allitérations en (v) et (t), ainsi que l’assonance en [é] aux v.10 et 12 font entendre le choc des sons et des mots :
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été
Apollinaire fait ainsi de la poésie un choc des mots, des sonorités, des mythologies, un point de rencontre entre la tradition et la modernité.
C – La surprise (v.13)
Apollinaire brise son sonnet élisabéthain en l’amputant du dernier vers attendu.
Au lieu d’un distique final, comme dans un sonnet élisabéthain, le dernier vers de « Nuit rhénane » est isolé : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire
».
L’homophonie entre « verre » et « vers » suggère l’interruption brutale du sonnet (car l’on pourrait entendre : « Mon vers s’est brisé comme un éclat de rire
» ). C’est donc le verre mais aussi le vers, c’est à dire le poème lui-même, qui se brise.
En cassant la forme poétique attendue, Apollinaire déjoue les attentes et montre que la poésie est fondée sur la surprise et la spontanéité comme le suggère le dernier terme du poème « éclat de rire
» substitué à l’éclat de verre.
Nuit Rhénane, lecture linéaire, conclusion
« Nuit Rhénane » fait bien plus que décrire la vision d’un homme ivre, près du Rhin : c’est un poème programmatique, qui permet d’éclairer le titre du recueil Alcools.
L’ivresse, associée à l‘inspiration poétique, permet la rencontre, le choc entre la tradition et la modernité, entre le lyrisme traditionnel et une énergie nouvelle.
On retrouve cette conciliation entre la tradition et la modernité chez les poètes surréalistes comme Aragon ou Breton.
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bonjour,
j’aurai voulu savoir si ce plan linéaire venait de vous car je le trouve très ressemblant à celui de mon professeur de lettres ? En particulier l’ordre des mots…
Cordialement.
Bonjour Ana,
Je ne connais pas ton professeur de lettres, donc le plus vraisemblable, c’est que ce dernier s’est inspiré de mon analyse, qui est accessible sur internet, pour préparer son cours.
Bonjour Amélie,
Es ce que vos analyses fonctionnent aussi pour les 1ères technologiques ou ne sont-elles adaptées que pour les généraux ?
Mes analyses fonctionnent également pour les élèves en séries technologiques : les attentes à l’oral sont les mêmes dans les deux séries. Bon courage !
Bonjour, c’est pour savoir comment illustrer.
Bonjour, je trouve votre explication linéaire très détaillée et compréhensible. Cependant, j’ai passé mon oral blanc aujourd’hui par classe virtuelle sur Nuit Rhénane et j’ai utilisé votre explication linéaire. Je ne comprends pas car ma professeure de français m’a dit que j’avais tout faux sur ce que je disais. Elle m’a dit que ma problématique était fausse et que l’on ne pouvait pas opposer le lyrisme traditionnel à la modernité poétique dans ce poème. Elle m’a également fait remarquer que l’éclat de rire à la fin ne fait pas référence à la spontanéité de la poésie mais plutôt à un éclat de rire de « sorcière ». Je suis donc tout à fait perdue pour ce poème que je ne comprends plus. Pouvez-vous m’éclairer s’il vous plaît ?
Bonjour Laura,
Il se peut que tu n’aies pas parfaitement restitué mon analyse et que ton enseignante n’ait pas compris tout ce que tu as souhaité transmettre. Il se peut également que ton enseignante n’ait tout simplement pas apprécié que utilises une autre analyse que celle qu’elle vous a proposée en classe. C’est à mon sens une réaction déplacée, mais à l’oral, avec un examinateur que tu ne connais pas, ce genre de situation ne se produira pas et tu n’auras aucun souci si tu reprends cette analyse.
Bonjour Amélie, merci pour ton site il m’aide beaucoup ! Je voulais juste savoir si tu pouvais m’aider, dans mon commentaire, j’ai un axe obligatoire sur « la parole poétique comme seule échappatoire » et je ne sais pas vraiment comment justifier ce point, des idées ? Merci d’avance !
Merci
« Le Rhin, le Rhin est ivre où les vignes se mirent »
Il s’agit là non d’une vision floue, celle d »un homme ivre, mais d’un exemple étonnant de virtuosité poétique et marqué par une grande précision.
En effet, « le Rhin est ivre » là où il y a des vignes et il semble tituber comme un home ivre, mais voyons les choses précisément, « concrètement », géographiquement.
La Rhénanie est viticole mais peu car située très au Nord et les vignobles rhénans ont besoin comme tous les vignobles de trouver des versant ensoleillés. Ces versants ensoleillés de la vallée du Rhin sont rares et ne se trouvent que lorsqu’ils sont exposés .. au sud. Ce n’est pas propre au Rhin ! Il est le plus souvent exposé à l’Est ou à l’Ouest. Les expositions sud ne se trouvent que lorsqu’il fait des méandres des boucles …
Et c’est alors que les vignobles allemands apparaissent.. Apollinaire est donc très précis. Le flou masque une réalité bien physique. Une difficulté particulière à faire du vin à cet endroit. Il faut attendre un boucle du Rhin.
En quoi une alliteration en v fait penser au discours d’un homme ivre ? plutôt exagéré
Tu peux regarder cette vidéo pour t’aider à analyser les allitérations.
bonjour, je voudrais savoir si on pouvait parler de dionysos le dieu de l’ivresse et de la fête dans le A du I
Bonjour Amélie,
Je passe bientot mon oral de français donc je voulais savoir si ce n’était pas trop long 3 Axes pour 10 Minutes d’oral ?
Merci.
Bonjour Amélie, dans mon cours de Français nous avons parlez de l’absence de ponctuation dans ce poème, comme dans les autres poème de recueil Alcools.
Or dans cette analyse vous n’avez pas parlez de cette absence,
peut-on penser qu’elle est due à l’ivresse du poète ?
Merci d’avance pour votre réponse
Bonjour Amélie
pourquoi dans votre analyse ne parlez vous pas de la synésthesie surtout dans la partie de l ivresse?? A propos de la modernité de ce poème que peut on rajouter à la modernité de la forme???
Bonjour Amélie,
J’ai passé mon oral de français et je suis tombé sur ce texte . Ma question était : quelle est l’enjeu poétique et les spécificités de ce poeme? J’y ai répondu avec un 1axe: la nuit de l’ivresse poétique et le 2eme axe le surnaturel personnifié . Je me demandais seulement si les axes répondent bien à ma problèmatique ou si c’est hors sujet . Merci d’avance
Bonjour Amélie, ma professeure de français nous a donné en troisième partie d’analyse de Nuit Rhénane « Un chant universel ». Seulement, je ne vois pas en quoi ce poème peut être qualifié de vraiment universel au point d’en parler dans toute une partie. Est-ce que vous pourriez m’éclairer sur ce point svp ?
Ce plan peut il est adapté pour toutes les problématiques proposés ?
Ma professeure de français nous a conseillé ce plan car en fin d’année nous n’avons pas eu le temps de le préciser en cours. Cependant elle nous a bien prévenu que, comme pour tous les autres textes présentés à l’oral, il faut adapter le plan à la problématique. Mais il faut tout de même reprendre ces idées et l’analyse des procédés.
avez vous des oeuvres liées à se poème à me faire parvenir ?
Tu peux regarder « La Lorely », un autre poème écrit par Apollinaire et qui rejoint le fantastique et l’imaginaire noir.
Bonjour,
Je voudrais savoir à quel courant poétique appartient ce poème s’il vous plait. Et de quelle manière apparait la modernité dans ce poème?
Merci d’avance
Il s’agit bien d’un sonnet auquel il manque un vers, néanmoins en l’occurrence il s’agit d’un sonnet Elisabethain (par opposition au sonnet italien par exemple). Il est normalement composé de trois quatrains et un distique.
Oui pardon je me suis mal exprimée, ce que je voulais dire c’est que a priori ça ne peut pas être un sonnet parcs qu’il y a 3 quatrains et 1 vers séparé, certes, pour que ce soit un sonnet (en terme de vers) il manque un vers mais par rapport à la forme ça ne peut pas être un sonnet non?
oui c’etait un peu dire comme par exemple l’alcool
Bonjour,
Pour les problématiques possibles le jour de l’oral, concernant « comment s’exprime la modernité dans Nuit Rhénane ? », comment agencerez-vous le plan que vous avez proposer ?
L’expression de l’ivresse en opposant le fantastique au réel est quelque chose de moderne ?
Merci d’avance.
Bonjour,
À un moment donné vous dites que le dernier vers pourrait montrer qu’Apollinaire se laisse emporter par l’ivresse et que c’est la fin du sonnet. Or, ici ce n’est pas un sonnet (2 quatrains et 2 tercets) mais trois quatrains et un vers en plus
Je ne sais pas où tu as vu cela dans mon commentaire. J’explique au contraire qu’il manque un vers pour que ce poème soit un sonnet.
Bonjour, je suis passée sur ce texte à l’oral du bac blanc, et j’avais présenté, à peu près, ce qu’il y a écrit ici, mais la prof m’a mit en comentaire que je n’insistais pas assez sur le caractère poétique du poème, que faire?