Antigone : analyse du prologue de la pièce d’Anouilh

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antigone anouilh prologueVoici un commentaire du prologue d’Antigone de Jean Anouilh.

Cette analyse porte sur l’intégralité du prologue. Clique ici pour lire le prologue d’Antigone (le texte).

Prologue d’Antigone : introduction

En 1944, lorsque Jean Anouilh publie Antigone, tous les Français connaissent déjà la version de Sophocle, tragédie classique de l’Antiquité grecque.

Ce n’est pas au niveau de l’intrigue que se situent les enjeux de cette réécriture, car Anouilh reprend la structure de la pièce de Sophocle, qui s’était lui-même inspiré de la légende grecque : suite à l’exil d’Œdipe, roi de Thèbes, ses deux fils Etéocle et Polynice se disputent le pouvoir et finissent par s’entre-tuer.

C’est donc Créon, frère de Jocaste et oncle des deux frères, qui monte sur le trône. Ce dernier décrète que Polynice est un traître et interdit quiconque de lui offrir une sépulture, condamnant ainsi le défunt à errer dans les limbes pour l’éternité.

Seule la sœur d’Etéocle et Polynice, Antigone, se révoltera contre cette interdiction et cherchera à enterrer son frère, au péril de sa vie.

Clique ici pour lire le résumé complet d’Antigone.

Etant donné que la pièce d’Anouilh s’ouvre sur l’annonce de la mort des deux frères, ce prologue (un ajout par rapport à la pièce de Sophocle) a pour objectif d’exposer les événements qui viennent de se dérouler pour permettre au spectateur de saisir dans toute son ampleur l’enjeu de la rébellion d’Antigone.

Questions possibles à l’oral sur le prologue d’Antigone :

♦ En quoi ce prologue est-il une scène d’exposition ?
♦ Qu’est-ce qui fait l’originalité de cette première scène ?
♦ Quel est le rôle du prologue dans l’œuvre ?
♦ En quoi ce prologue expose-t-il les enjeux de la pièce ?
♦ Etudiez le thème de la fatalité dans ce prologue

Annonce du plan

Nous verrons que ce prologue, malgré son apparence guère orthodoxe, est bel et bien une scène d’exposition (I), avant d’étudier ce qui fait son originalité (II). Pour terminer, nous remarquerons l’accent mis par Anouilh sur les éléments théâtraux, faisant de ce prologue un véritable commentaire sur le théâtre (III).

I – Le prologue : une scène d’exposition

A – Présentation physique des personnages

Le Prologue présente un à un tous les personnages de la pièce, qui « sont en scène » au lever du rideau, comme l’indique la première didascalie.

Pour chacun d’entre eux, il donne des traits physiques et moraux tout en les désignant (« c’est la petite maigre », « là-bas »).

Ainsi, Antigone, personnage principal, est décrite de manière assez péjorative comme une « maigre jeune fille noiraude et renfermée », assise « dans un coin », moins attirante que sa sœur Ismène, « blonde », « belle », « heureuse », « éblouissante dans sa nouvelle robe » et « bien plus belle qu’Antigone ».

Hémon, fiancé d’Antigone, est un « jeune homme » qui a le « goût de la danse et des jeux », tandis que le roi Créon est présenté comme un « homme robuste, aux cheveux blancs », avec « des rides » et sa femme comme une « vieille dame » en train de tricoter.

Le Prologue termine sur les personnages secondaires, qui n’ont pas de nom : le Messager, un « garçon pâle », et les gardes, « trois hommes rougeauds » qui « sentent l’ail, le cuir et le vin rouge ».

B – Portraits moraux des personnages

La force de caractère d’Antigone contraste clairement avec son portrait physique : elle va « se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi ».

La répétition du syntagme « seule en face de » insiste sur son incroyable courage.

Par ses attitudes, Ismène semble être une jeune femme frivole, « ri[ant] aux éclats » et entourée de prétendants (« au milieu des autres garçons »).

Alors qu’Hémon, par « son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité » semblait destiné à Ismène, il choisit finalement de demander sa main à Antigone, à la grande surprise du reste de la famille : « personne n’a jamais compris pourquoi ».

Le roi est un personnage pris entre ses envies il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les antiquaires ») et son devoir : « conduire les hommes ».

Il est présenté comme « fatigué » (l’adjectif revient deux fois) mais honnête et travailleur : « il a retroussé ses manches », « comme un ouvrier ». Il est également très seul : ni son page ni sa femme ne pourront lui être « d’aucun secours ».

Sa femme, Eurydice, est déterminée par son rôle de femme au foyer : elle tricote, elle est « bonne, digne, aimante ». Elle ne pourra qu’obéir à son devoir de mère dévastée par la mort de son fils Hémon et ne se lèvera que pour mourir.

Le Messager, rêveur et « solitaire », « n’a pas envie de se mêler aux autres » car, comme le Prologue et le spectateur, il sait ce qui va se passer et ne veut pas se conduire de manière hypocrite.

Les gardes enfin sont des hommes frustes, qui ne se posent pas de question. Même si « ce ne sont pas de mauvais bougres », ils n’ont pas de sens moral et se contentent d’obéir à leur supérieur, quel qu’il soit : « ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d’eux-mêmes de la justice ».

C – Mise en place de l’intrigue

Le prologue mêle événements passés et événements à venir, dévoilant des moments clés de l’intrigue.

Anouilh sait que les spectateurs connaissent le mythe d’Antigone ; ce n’est pas sur le dénouement mais sur la forme que prendra la révolte d’Antigone que porte cette réécriture.

Le Prologue raconte ainsi les fiançailles d’Antigone et d’Hémon il a été trouver Antigone […] et il lui a demandé d’être sa femme »), l’arrivée au pouvoir de Créon (« Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches, et il a pris leur place ») ainsi que la combat fratricide auquel se sont livrés Etéocle et Polynice (ils « se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville »). Tous ces passages sont racontés au passé composé.

Mais le Prologue dévoile également une partie du dénouement, notamment les morts d’Antigone elle pense qu’elle va mourir »), d’Hémon (« ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir », « c’est lui qui viendra annoncer la mort d’Hémon ») et d’Eurydice jusqu’à ce que son tour vienne de se lever et de mourir »).

Transition : S’il n’adopte pas la forme habituelle d’un début de pièce, cet extrait est pourtant bien une scène d’exposition ; elle remplit parfaitement sa fonction informative : le spectateur sait à quoi s’en tenir.

Ce prologue frappe cependant par son originalité, qui tient notamment à l’écart entre cette réactualisation d’Antigone et la pièce originale de Sophocle.

II – Un prologue original

A – La modernisation du classique grec

Ce qui surprend sans doute le plus dans cette réactualisation de la pièce de Sophocle, ce sont les activités étrangement modernes auxquelles se livrent les personnages sur scène : « Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. » Cette indication suffit à ancrer la pièce dans une temporalité proche de celle du spectateur.

De même, certaines des scènes décrites, comme le bal (« l’orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats ») ou l’amour de Créon pour les livres et les « flâneries chez les petits antiquaires » rappellent sans peine des activités courantes du XXe siècle.

Quant au décor, Anouilh le veut « neutre » : il ne sera pas la reconstitution d’une Thèbes antique.

Enfin, la langue claire et simple , très orale (« Voilà », « c’est la petite maigre », « il a été trouver Antigone », « C’est le roi. ») rapproche encore davantage la pièce du spectateur : il aurait pu lui-même prononcer le monologue du Prologue.

B – Le rôle du Prologue

Dès le début, le Prologue brise l’illusion théâtrale en s’adressant directement aux spectateurs à la deuxième personne du pluriel : « Ces personnages vont vous jouer », s’incluant lui-même un peu plus loin : « nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n’avons pas à mourir ce soir. »

Son rôle rappelle celui du chœur grec, présent chez Sophocle, qui commente les événements, intervient dans l’action pour donner des conseils, ou sert d’intermédiaire entre le public et les personnages de la pièce, comme c’est le cas ici.

Sa prise de parole est cependant originale par sa place : chez Sophocle, la pièce débute par un dialogue entre Antigone et Ismène ; chez Anouilh, c’est le long monologue du chœur qui commence la pièce et qui met en place la situation initiale pour les spectateurs, de manière extrêmement didactique (introduction, personnages présentés un à un physiquement et moralement, récapitulatif des événements passés).

C – L’implication des spectateurs

Le public est directement impliqué dans la pièce, que ce soit par l’adresse directe du prologue ou par la simplicité de la langue, éloignée des fioritures de la tragédie classique.

Les nombreux démonstratifs et les adverbes de lieu renforcent également l’implication du spectateur : le Prologue semble lui désigner les personnages un à un : « Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas », « le jeune homme qui parle avec la blonde », « cet homme robuste […], qui médite là », « Ce garçon pâle, là-bas ».

Transition : Il est indéniable que cette première scène étonne, intrigue, interpelle directement le spectateur. Quel est le but visé par Anouilh ? En nous dévoilant les rouages de la pièce, c’est une réflexion sur le théâtre et sa place qu’il nous livre.

III – Le prologue d’Antigone : un commentaire sur le théâtre

A – La métathéâtralité

Avec cette ouverture, nous sommes clairement dans la représentation d’une représentation : en exhibant le processus théâtral, le Prologue attire l’attention des spectateurs sur la situation dans laquelle ils se trouvent au moment où ils entendent le monologue : assis « bien tranquilles » dans un fauteuil, en train de regarder la scène.

On repère facilement le champ lexical du théâtre : « personnages », « jouer », « jouer son rôle », « le rideau s’est levé », « pendant toute la tragédie », « ils vont pouvoir vous jouer leur histoire », etc.

De même, la pièce semble s’ouvrir sur des coulisses, bien qu’il s’agisse bel et bien de la scène : les personnages sont dans une attitude d’acteurs qui attendent d’entrer en scène : ils « bavardent, tricotent, jouent aux cartes ».

Le Prologue dit d’ailleurs d’Antigone qu’elle « pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure », comme si elle était dans la position d’une actrice qui réfléchissait à son rôle et à ce que va vivre son personnage durant la pièce.

B – Une réflexion sur la tragédie

En dévoilant dès la première scène le sort des différents personnages, Anouilh met en avant le rôle de la fatalité dans la tragédie, c’est-à-dire de l’existence d’un destin auquel les personnages (souvent aristocratiques, comme ici) ne peuvent se soustraire.

Œdipe, père d’Antigone, en est un exemple frappant : c’est en cherchant à fuir les prédictions de l’oracle de Delphes qu’il rencontre sans le savoir son père biologique, qu’il tue, puis sa mère, qu’il épouse : la prédiction s’est ainsi réalisée.

La présence de la fatalité s’illustre ici par les prolepses (les références aux événements futurs) : « elle va mourir », « elle tricotera […] jusqu’à ce que son tour vienne de se lever et de mourir », « c’est lui qui viendra annoncer la mort d’Hémon », « ils vous empoigneront », etc.

Les verbes qui marquent le devoir insistent également sur le poids de la fatalité : « il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout », « nous qui n’avons pas à mourir ce soir », « il ne devait jamais exister de mari d’Antigone ».

Ce prologue joue également beaucoup sur l’ironie tragique : le spectateur et bien sûr, le Prologue, mais aussi certains personnages (Antigone, le Messager qui « sait déjà… ») savent ce qu’il va se passer.

C – La relecture contemporaine du mythe

Il est impossible d’interpréter la pièce sans tenir compte du contexte dans lequel elle a été écrite.

En effet, en 1944, la France est encore sous l’occupation allemande : pour les spectateurs, citoyens d’un pays humilié, Antigone est un emblème de résistance, qui ira à la mort pour défendre sa liberté et sa rébellion face à une décision supérieure (celle de Créon) qu’elle ne comprend pas.

En un sens, lorsque le Prologue affirme : « nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n’avons pas à mourir ce soir », c’est à la fois une dénonciation de la passivité des Français et une incitation à la révolte : tout comme Antigone, le public, impliqué dans la pièce par la première et la deuxième personne du pluriel, devrait se soulever au lieu d’accepter l’inacceptable.

Antigone, le prologue : conclusion

La reprise du mythe très connu d’Antigone au théâtre permet ainsi à Anouilh de s’adresser avec force à ses contemporains, par le biais du Prologue.

En détournant la pièce de Sophocle sans renier la filiation, en introduisant des éléments originaux tout en respectant le principe de la scène d’exposition, Anouilh replace le dilemme grec dans un cadre contemporain.

Contrairement au mythe tel qu’il est traditionnellement connu, la fatalité présente dès le début de la pièce n’est pas ici due à la malédiction qui pèse sur la lignée d’Œdipe mais à la volonté humaine et à la soif de liberté, représentées par la jeune Antigone qui meurt d’avoir revendiqué son droit à refuser une situation inacceptable.

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Antigone, Anouilh : résumé
Caligula, Camus : résumé
Les fonctions de la scène d’exposition (vidéo)
Le rôle du metteur en scène (vidéo)
Faites-vous cette erreur (souvent) fatale au bac de français ? (vidéo)
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Amélie Vioux

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