Saltimbanques, Apollinaire : analyse

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les saltimbanques apollinaireVoici un commentaire littéraire du poème « Saltimbanques » de Guillaume Apollinaire.

Saltimbanques, Apollinaire : introduction

« Saltimbanques » est un poème extrait du recueil Alcools de Guillaume Apollinaire paru en 1913.

Il appartient au cycle rhénan (poèmes composés lors d’un séjour en Allemagne).

Le court poème décrit un cortège de saltimbanques.

Dans cette analyse nous verrons comment, à travers une esthétique de la simplicité (I), Apollinaire compose un poème en mouvement (II) qui célèbre le mode de vie des saltimbanques (III).

Poème analysé

Saltimbanques

Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913.

Questions possibles sur « saltimbanques » à l’oral de français :

♦ Comment la simplicité du poème rend émouvant le cortège de saltimbanques ?
♦ En quoi les saltimbanques sont-ils une représentation du poète ?
♦ Comment sont représentés les saltimbanques dans ce poème ?
♦ Analysez le thème du mouvement dans ce poème.

I- Une esthétique de la simplicité

A – Une construction traditionnelle

« Saltimbanques » fait partie des poèmes les plus simples d’Alcools, si bien que les enfants l’apprennent à l’école primaire.

Composé des trois quatrains de vers octosyllabiques (vers de huit syllabes), le poème possède une construction harmonieuse et fluide.

L’octosyllabe, vers traditionnel du Moyen Age (notamment utilisé dans le roman en vers ou les fabliaux), est utilisé au XIXe siècle dans la poésie lyrique.

C’est un vers simple. En effet, il ne doit pas répondre à la règle de la césure ce qui laisse au poète une grande liberté de composition.

Apollinaire utilise des rimes plates (AABB) et une alternance de rimes masculines et rimes féminines (une rime féminine se termine par un e muet, les autres sont dites masculines ) : «baladins / jardins» puis «grises / églises» ou encore «devant» / «rêvant» et «résigne» / «signe».

La plupart des rimes du poème sont riches  «jardins» / «baladins», «carrés» / «dorés». Cette alternance de rimes riches est utilisée dans la poésie classique traditionnelle.

Cette simplicité dans la structure du poème « saltimbanques » facilite sa lisibilité et sa compréhension.

B- Un vocabulaire simple

On constate une grande cohérence entre la structure du poème et le vocabulaire choisi qui vient confirmer cette grande simplicité.

En effet, le titre tout d’abord est très évocateur.

Le mot «saltimbanque »  qui vient de l’italien saltare (sauter) et banco (banc, estrade) désigne les artistes de foire. Ce titre montre d’emblée le sujet du poème et se trouve confirmé dès le premier vers par le terme «baladin» mis en relief à la rime.

Par ailleurs, tous les mots utilisés dans le poème font partie du langage usuel «jardins», «auberges», «villages» , «églises», «arbres» etc.

De plus, il s’agit pour la plupart de mots courts, qui sont pris au sens propre. Cela permet une compréhension immédiate du poème.

Seul le mot «huis», qui désigne la porte extérieure d’une maison, est un mot tombé en désuétude depuis le XVIIe siècle. Cependant, ce terme est fortement porteur de sens. Il s’utilise très couramment dans le langage juridique dans l’expression «huis-clos» c’est à dire en fermant l’accès au public.  L’utilisation de ce terme renforce l’idée que les saltimbanques trouvent porte close dans les villages qu’ils traversent.

II- La mise en mouvement du poème

Guillaume Apollinaire met donc en scène avec une grande simplicité des saltimbanques, gens du voyage et leur cortège. La notion d’errance, immédiatement attribuée à ce peuple est également très présente dans le poème.

A- Verbes de mouvement et prépositions de lieux

Tout d’abord, on note la présence de nombreux verbes de mouvement : «s’éloignent», «s’en vont», «suivent».

Ainsi, la première strophe est construite autour du seul verbe : «s’éloigner».

Ce verbe est suivi de quatre prépositions qui introduisent des compléments de lieux : «dans la plaine»,«au long des jardins», «devant l’huis» et «par les villages».

Le choix du verbe « s’éloigner » est très important. En effet, plus que «s’en aller», le verbe «s’éloigner» suppose qu’on s’éloigne de quelque chose. Or, on ne trouve pas l’origine de l’éloignement.

On ne trouve pas non plus le but de l’éloignement. Pas plus que la préposition «de» on ne trouve à aucun moment la préposition «vers» qui indiquerait la destination du cortège.

La première strophe est encadrée au premier et dernier vers par une allitération en «l» : «la plaine»,  «les baladins» et «les villages», «églises» qui donne une sensation de fluidité dans le mouvement.

Les saltimbanques s’éloignent donc sans commencement et sans but précis.

B – Le passage des saltimbanques opposé à l’immobilité des sédentaires

Le poème commence par une préposition de lieu « dans » et se termine par le mot «passage». La place de ces mots illustrent leur importance pour la compréhension du texte.

C’est bien la notion de passage, intrinsèquement liée à l’errance des saltimbanques, qui est mise en avant dans le poème.

Le choix des prépositions qui introduisent les compléments de lieux est fondamental car elles illustrent des types d’éloignement différents. En effet, «dans la plaine» suggère un axe horizontal de déplacement.

«Par» et «au long de» permettent d’accompagner le mouvement du cortège tout en décrivant les paysages que les saltimbanques traversent.

Mais la préposition «devant» interroge quant à son utilisation avec le verbe « s’éloigner». Que veut dire s’éloigner devant une porte ? Cette préposition suppose donc la présence du terme «en passant» qui est ici occulté «les saltimbanques s’éloignent en passant devant la porte». Le choix du mot «devant» amplifie donc l’idée de passage en créant une sorte d’interrogation.

Les accents toniques sont espacés de manière à donner un rythme à la fois lent mais sûr à la diction, comme à l’avancée du cortège. La prosodie (accentuation et intonation des mots) rend donc par sa facilité le passage des saltimbanques agréable et limpide.

A cette idée de passage, harmonieux, positif (comme nous l’avons vu avec les enfants) s’oppose un thème de l‘immobilité représenté par les mots «huis», »« auberges» , «villages» , «arbres» .

L’immobilité est associée à des sensations négatives : « auberges grises », « villages sans église ».

«Les villages sans églises» montrent des lieux dépourvus à la fois de centre (l’église est traditionnellement au centre de la ville) et aussi d’âme.

De l’auberge, traditionnellement lieu de convivialité et de fête on ne voit que la porte et les arbres qui ne peuvent participer au déplacement le regrettent (« chaque arbre fruitier se résigne » ).

C- Le cortège vu à des distances différentes

Le passage des saltimbanques est mis en relief par un jeu sur la distance du regard qui les contemple.

On observe en effet le cortège de trois points de vue différents :

1er point de vue :
Dans la première strophe et les deux vers de la deuxième strophe, on assiste à une vision panoramique des baladins. On observe leur déplacement et le cortège de la tête «les enfants» à la queue «les autres». Ce point de vue est mis en valeur par la conjonction de coordination «et» qui permet de lier les deux strophes.

2ème point de vue :
Ensuite ce sont les «arbres» qui regardent passer les gens du voyages avec beaucoup de recul : «de très loin». Les deux vers montrent la distance physique mais surtout émotionnelle entre ceux qui passent «en rêvant» et ceux qui doivent se «résigner».

3ème point de vue :
Enfin la troisième strophe montre au contraire le cortège de très près, puisqu’on voit précisément les accessoires utilisés par les saltimbanques : «des poids»,«des tambours», «des cerceaux» et les animaux qui les accompagnent : «l’ours» et «le singe».

Ce changement de distance du regard illustre à la fois l’immuabilité du déplacement et l’exclusion des saltimbanques. Observé sous toutes ses coutures, le cortège passe sans appartenir aux mondes qu’il traverse.

III- L’éloge du mode de vie des saltimbanques

A- Une errance intemporelle

Apollinaire évoque dans « Saltimbanques » le mode de vie émouvant d’un peuple en errance.

Le poème montre la permanence d’un passage, comme si le poème saisissait un instant d’infini.

Le cortège est ouvert par les enfants ce qui illustre l’idée d’un mouvement tourné vers l’avenir, qui avance dans un axe spatial, mais aussi dans un axe temporel.

Par ailleurs, les enfants, qui permettent à ceux qui les suivent de rêver («les autres les suivent en rêvant»), sont porteurs d’espérance.

On observe dans ce premier vers de la deuxième strophe «Et les enfants s’en vont devant» une assonance en -an, appuyée par la rime interne au vers entre deux accents toniques «enfants» et «devant» qui coupe le vers en deux blocs de quatre syllabes chacun. Cela procure au vers une unité et donne une sensation de douce litanie qui se déroule à l‘infini.

D’autres éléments du poème contribuent à montrer que le texte illustre un instant d’infini.

Tout d’abord le temps des verbes. Apollinaire emploie un présent intemporel, à la fois duratif (qui dure et qui n’est pas limité dans le temps) et itératif (qui est une habitude). Le mouvement des saltimbanques semble donc durer depuis toujours et pour toujours.

Cette impression d’éternité donnée par les temps est renforcée par la présence des articles définis : «la plaine», «les baladins», «les villages», «l‘ours», «le singe». Ces articles renvoient donc à un cortège en général et non à un cortège particulier. Cela provoque un sentiment d’universalité et de permanence.

De même le l’adjectif indéfini «chaque» qui désigne les arbres sous-entend «tous les arbres», ce qui renforce l’idée d’un phénomène universel.

B- Un mode de vie coloré

Le mode de vie des saltimbanques, que le poète semble avoir saisi dans un instant d’infini, est un mode de vie riche et coloré, qui s’oppose à la vie sédentaire.

La vision positive de ceux qui sont en mouvement contre la vision négative de ceux qui sont immobiles se lit dans une opposition fondatrice du poème : l’opposition entre les deux seuls adjectifs de couleurs «grises» et «dorés».

La vie sédentaire, décrite comme une vie sans couleur et sans âme, s’oppose à la vie des saltimbanques, faite de couleurs vives et qui s’inscrit dans une spiritualité basée sur un renouveau cyclique : «les cerceaux».

L’uniformité des villages s’oppose à la multiplicité des accessoires des artistes. Cette multiplicité est mise en avant par l’accumulation des formes et des objets du cortège : «poids», «ronds», «carrés», «tambours», «cerceaux» .

Les saltimbanques, exclus du monde des sédentaires, sont donc porteurs d’une vie variée et colorée, d’une sagesse simple liée à l’errance qui permet de procurer du rêve contre un immobilisme résigné.

Ils représentent l’Artiste en général et le Poète en particulier dont la sagesse, incomprise par le commun des mortels, lui permet un voyage imaginaire sans fin.

C- Le recours à des médiateurs fantastiques (arbres et animaux)

Mis à part les personnes présentes dans le cortège, les seuls personnages du poèmes sont des médiateurs fantastiques. Les «arbres fruitiers» et les «animaux sages», à travers deux personnifications, sont ainsi les seuls à entrer en interaction avec les saltimbanques.

En effet, les baladins voyagent dans un monde déshumanisé à travers des lieux qui semblent vides. Encore une fois, l’auberge est montrée uniquement par sa porte fermée, ce qui accentue le sentiment d’exclusion dont ils sont victimes.

Cependant, les «arbres fruitiers» sont là pour combler le manque. Ils réagissent au passage du cortège en faisant « signe«  qu’ils regrettent de ne pouvoir le rejoindre.

Il n’est pas anodin que le poète précise que les arbres sont porteurs de fruits. Cela montre que seuls ceux qui portent en eux une forme d’espoir, de vie (les fruits) ont une réaction positive face à un mode de vie qui ne provoque généralement qu’indifférence.

Les autres médiateurs fantastiques sont les animaux.

L’ours et le singe, qui sont des animaux sauvages, sont ici décrits comme «sages». Ils sont les seuls à rattacher le cortège à des besoins matériels, puisqu’ils «quêtent des sous», comme si, loin de préoccupations pécuniaires, les saltimbanques qui se consacrent uniquement à leur mouvement, avaient délégué une tâche trop pragmatique.

Ces médiateurs fantastiques illustrent l’imaginaire lié au cortège des saltimbanques.

« Saltimbanques » , Apollinaire, conclusion :

A travers un poème à la simplicité enfantine, Apollinaire rend compte du mouvement perpétuel des saltimbanques. Représentation de la figure du poète, les saltimbanques vivent en marge de la société, ce qui rend particulièrement émouvant cet instant d’éternité pris sur le vif pour célèbrer un mode de vie tourné vers l’imaginaire.

Le rapprochement entre le poète et les saltimbanques se retrouve dans d’autres poèmes d’Apollinaire, comme le poème « Mai« .

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8 commentaires

  • bonjour, Prof Amélie!
    je suis régulièrement vos analyses des poèmes. je vous avoue que c’est très instructif pour moi. Tous mes encouragements.
    Bamako-Mali

  • Dans La vie anecdotique (1 juin 1914) Apollinaire évoque :
     » …le lycée de Nice avec son vieil aspect de couvent et les sorties où l’on courait sur le pont du Paillon afin d’aller voir les saltimbanques et les lutteurs qui s’exhibaient dans leurs baraques sur l’autre rive. »
    Il est curieux que le poète ait choisi ici la traversé de villages et donc la campagne (souvenirs de son voyage en Allemagne ?) et qu’il ait supprimé un quatrième quatrain misérabiliste (voir l’édit Livre de Poche)
    Et surtout il faudrait montrer le lien de ce poème avec Picasso et ses toiles de l’époque que le poète a pu découvrir dans l’atelier de son ami. Les saltimbanques étaient à la mode (cf : le cirque etc) et l’idéologie de l’époque est différente de celle d’aujourd’hui ou de celle d’un Hergé (et les enfants sont prêts à « marauder » mon cher Michel n’ayons pas peur des mots…)

  • Bonne analyse mais qui néglige, à mon avis, la vision humoristique et même un peu sarcastique que les sédentairers peuvent avoir vis-à-vis des gens du voyage:
    Par définition, les gens du voyage ne font que passer; ils ne fréquentent donc pas souvent l’église ! le village est donc, pour eux, « sans église ».
    « Les arbres fruitiers se résignent »… au fait que les enfants qui font des signes en leur direction vont bientôt s’approcher (après avoir franchi barrières et clôtures !) pour « cueillir » ces fruits qu’ils ont aperçus de loin.
    Quant à l’ours et au singe, animaux « sages », l’un est là pour intimider et l’autre pour quémander (ou même chiper) l’argent que les paysans ont toujours un peu de mal à « lâcher ».
    On peu ajouter à cela que les adultes (« les autres ») suivent, en rêvant peut-être à la belle vie des gens qui habitent derrières ces portes et fenêtres fermées ?

  • Bonjour, je pense, que l’on peut rajouté une figure de style importante, la prosopopée du fait du langage commun entre les arbres et les Saltimbanques aux travers des « signes », ce qui donc montre une certaine personnification

  • bonjour collègue,

    Félicitations pour ton site très bien fait et tes analyses claires et pertinentes.
    Juste une petite correction, dans le III A, je pense que tu voulais parler d’articles définis.

    Bien à toi.

    Nicolas

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