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Voici une lecture linéaire du chapitre 14 de Gargantua de François Rabelais, de « De fait, on lui enseigna un grand docteur en théologie nommé « Maître Thubal Holopherne
» jusqu’à la fin du chapitre « il devint aussi sage qu’oncques depuis nous n’en enfournâmes
« .
La translation en français moderne utilisée ici est celle de Maurice Rat de l’Edition Bibliolycée chez Hachette.
Gargantua, chapitre 14, introduction
Gargantua de François Rabelais narre les aventures du Géant Gargantua et de son père Grandgousier. (Voir la fiche de lecture pour le bac de français de Gargantua de Rabelais)
En 1534, lors de la date de publication de ce roman satirique, la pédagogie humaniste commence à supplanter la pédagogie scolastique dispensée par l’Eglise.
L’évocation de l’éducation de Gargantua est l’occasion pour Rabelais de faire la satire de la pédagogie traditionnelle héritée du Moyen-âge et de poser les principes d’une éducation humaniste.
Le chapitre 14 décrit ainsi les méthodes d’apprentissage poussiéreuses des premiers précepteurs de Gargantua.
Le titre du chapitre « Comment Gargantua fut instruit par un théologien en lettres latines
» se place d’emblée sur un terrain polémique.
En effet, le théologien en lettres latines est le contre modèle de l’éducation humaniste qui souhaite valoriser les langues vernaculaires* (*les langues de son propre pays), la science et la créativité.
Extrait étudié
De fait, l’on lui enseigna[1] un grand docteur en théologie, nommé « maître Thubal Holopherne[2] », qui lui apprit son abécé[3], si bien qu’il le disait par cœur à rebours[4], et il y fut cinq ans et trois mois. Puis il lui lut Donat[5], le Facet[6], Théodolet[7] et Alanus[8] in Parabolis, et y fut treize ans, six mois et deux semaines.
Mais notez que, cependant, il lui apprenait à écrire gothiquement[9] et écrivait[10] tous ses livres, car l’art d’impression n’était pas encore en usage.Et il portait ordinairement un gros écritoire[11], pesant plus de sept mille quintaux[12], duquel l’étui à plumes était aussi gros et grand que les gros piliers d’Ainay[13], et l’encrier y pendait à grosses chaînes de fer, de la capacité d’un tonneau de marchandise.
Puis il lui lut De modis significandi[14], avec les commentaires de Heurtebise, de Faquin, de Tropditeux, de Gualehaut, de Jean le Veau, de Billonio, Brelinguandus[15], et un tas d’autres ; et y fut de dix-huit ans et onze mois. Et le sut si bien qu’à l’épreuve il le récitait par cœur à l’envers, et prouvait sur ses doigts à sa mère que de modis significandi non erat scientia[16].
Puis il lut le Compost[17], où il fut bien seize ans et deux mois, lorsque son dit précepteur mourut,
Et fut l’an mil quatre cent vingt
De la vérole qui lui vint[18].Après, il en eut un autre vieux, tousseux, nommé « maître Jobelin Bridé[19] », qui lui lut Hugutio, Hébrard, Grécisme, le Doctrinal, les Pars, le Quid est, le Supplementum, Marmotret, de Moribus in mensa servandis, Seneca, de Quatuor virtutibus cardinalibus, Passavantus cum Commento, et Dormi secura[20] pour les fêtes, et quelques autres de semblable farine, à la lecture desquels il devint aussi sage qu’oncques depuis [21]nous n’en enfournâmes[22].
[1]. enseigna : indiqua, recommanda.
Gargantua, Rabelais, translation en français moderne de Maurice rat, Bibliolycée, Hachette.
[2]. Thubal : en hébreu, signifie « la confusion » ; dans la Bible, Holopherne est un général de Nabuchodonosor, image du persécuteur des Hébreux. Holopherne fut tué par Judith qui l’avait séduit.
[3]. abécé : alphabet
[4]. à rebours : à l’envers.
[5]. Donat (Aelius Donatus) : auteur d’une grammaire latine au ivesiècle.
[6]. Facet : traité de savoir-vivre.
[7]. Théodolet : référence à un livre soi-disant écrit par un évêque qui dénonçait les faussetés de la mythologie.
[8]. Alanus (Alain de Lille) : poète et théologien (xiie siècle).
[9]. gothiquement : en lettres gothiques et non pas italiennes comme préféraient les humanistes.
[10]. et écrivaient : sous-entendu, les copiaient (comme avant l’invention de l’imprimerie).
[11]. écritoire : coffret contenant tout le matériel nécessaire pour écrire.
[12]. quintux : un quintal est un poids de presque 50 livres.
[13]. les gros piliers d’Ainay : il s’agit d’une église située à Lyon.
[14]. De modis significandi : « Des modes de signification », traité de grammaire scolastique de Thomas d’Erfurt (xive siècle) critiqué par les humanistes.
[15]. Série de noms fantaisistes et satiriques, sauf Gualehaut, qui est un chevalier de la Table Ronde.
[16]. de modis significandi non erat scientia (latin) : il n’y avait pas de science des modes de signification.
[17]. Compost : calendrier populaire, almanach.
[18]. Allusion à des vers de Clément Marot.
[19]. Jobelin Bridé : signifie « oisillon bridé ».
[20]. Cette série cite des ouvrages condamnés ou moqués par les humanistes : traités de grammaire, commentaires ou sermons, traités de savoir-vivre.
[21]. qu’oncques depuis : que jamais depuis.
[22]. enfournâmes (enfourner) : mettre au four, ingurgiter.
Problématique
Comment Rabelais parvient-il, à travers la satire de l’éducation scolastique* (*du Moyen-âge), à promouvoir une éducation humaniste ?
Annonce de plan linéaire
Dans un premier temps, de « De fait, l’on lui enseigna un grand docteur »
jusqu’à « de la vérole qui lui vint
« , Rabelais fait la satire de la pédagogie scolastique de maître Thubal Holopherne.
Dans un second temps, de « Après, il en eut un autre vieux, tousseux
» jusqu’à la fin du chapitre, il fait la satire du successeur de Thubal Holopherne.
I – La satire de l’enseignement scolastique de Thubal Holopherne
(de « De fait, l’on lui enseigna un grand docteur
» jusqu’à « de la vérole qui lui vint
»)
Le passage étudié s’ouvre sur la présentation du précepteur de Gargantua, « un grand docteur en théologie, nommé « maître Thubal Holopherne
« .
Le nom de ce maître est déjà satirique.
En effet, « Thubal » signifie en hébreu « confusion » et fait référence aux subtiles et complexes distinctions opérées par la théologie scolastique.
Les sonorités du nom « Thubal » font aussi songer à la Tour de Babel (la racine hébraïque de Babel – BLBL – signfie « bredouiller, confondre) qui symbolise l’orgueil des hommes et la confusion.
Ensuite, la méthode d’apprentissage de Thubal Holopherne est fondée sur la mémoire comme le rappelle ironiquement Rabelais : « si bien qu’il le disait par cœur à rebours
».
Le terme « à rebours » est absurde et satirique car il suggère que le savoir se déconstruit à mesure qu’il se construit.
Le registre comique est accentué par le champ lexical du temps qui ponctue chaque apprentissage : « cinq ans et trois mois
» pour la lecture, « treize ans, six mois et deux semaines
» pour le savoir-vivre et la grammaire latine, « dix huit ans et onze mois
» pour la grammaire scolastique et la logique.
Outre le délai extrêmement long d’apprentissage, qui suggère la lourdeur de ces enseignements, la précision des semaines ajoute une touche décalée et comique.
Les titres des livres étudiés par Gargantua font référence à une grammaire latine du IVème siècle (« Donat ») encore en usage dans les écoles de l’époque mais en décalage avec le désir humaniste de valoriser les langues vernaculaires* (*les langues de son propre pays) et de se libérer du latin.
La liste des ouvrages est rythmée par les rimes internes : « le Donat, le Facet, Théodolet, et Alanus in Parabolis ».
Rabelais suggère que ces ouvrages valent surtout pour leurs noms aux sonorités latines, censés impressionner l’apprenant.
Les rimes internes créent également un effet musical joyeux, comme si Rabelais nous montrait que l’intellectualité austère de ces ouvrages pouvait être dépassée par le rire.
L’auteur humaniste s’adresse ensuite à son lecteur «Mais notez que…
».
Cette stratégie littéraire est caractéristique de l’humanisme. Il s’agit de valoriser la figure de l’auteur, à rebours du Moyen-âge, et de faire émerger celle du lecteur.
Rabelais crée ainsi une relation personnalisée avec son lecteur.
Gargantua apprend l’écriture gothique («il lui apprenait à écrire gothiquement
»), c’est à dire qu’il apprend à écrire en caractères gothiques, une forme d’écriture apparue à la fin du Moyen-âge, alors que les humanistes préféraient les écritures italiennes.
Alors que l’écriture gothique est dépassée, Rabelais feint de la présenter positivement. L’emphase, à travers l’adresse au lecteur, le verbe « noter » et le connecteur d’opposition « cependant » : « Mais notez que, cependant,…
« , est donc ironique.
Rabelais poursuit l’ironie en présentant comme valorisant le fait de copier soi-même ses livres, comme on le faisait avant l’invention de l’imprimerie (« et écrivait tous ses livres
« ).
Cette ironie montre le décalage entre la pédagogie humaniste, qui souhaite profiter de l’imprimerie pour diffuser le savoir, et la pédagogie scolastique, qui appartient à une autre ère, celle d’avant l’imprimerie.
Rabelais évoque ensuite le matériel d’écriture de Gargantua, qui se caractérise par son poids excessif : « plus de sept mille quintaux
».
La démesure évoquée par cette hyperbole ainsi que l’anaphore de l’adjectif « gros » (« gros écritoire », « aussi gros », « gros piliers », « grosses chaînes »
) dénonce un savoir pesant et lourd.
La référence aux « gros piliers d’Ainay
« , une église située à Lyon, permet de critiquer en filigrane la tradition ecclésiastique qui étouffe l’enseignement.
Rabelais compare également l’énorme encrier à « un tonneau de marchandise
« . Cette comparaison dégrade un bien intellectuel (l’encrier) en bien purement économique (un tonneau de marchandise).
La pédagogie médiévale n’est plus qu’un produit qui donne du crédit social mais qui a perdu toute valeur intellectuelle.
Gargantua étudie ensuite le traité de grammaire « De modis significandi ».
La référence à cet ouvrage s’inscrit dans la satire de l’éducation médiévale puisque ce traité de grammaire était très critiqué par les humanistes de l’époque.
L’énumération des commentateurs de cet ouvrage accentue l’impression de confusion et de complexité : « avec les commentaires de Heurtebose, de Faquin, de Tropditeux, du Gualehaut, de Jean le Veau, de Billonio, de Brelinguandus, et un tas d’autres
» .
Ces commentateurs sont pour la plupart fantaisistes et Rabelais en profite pour créer des jeux de mots satiriques.
Par exemple, le nom « Faquin » fait référence au mannequin qui servait de cible pour les lances des chevaliers et désigne par extension un homme méprisable et vil.
Le nom fantaisiste « Tropditeux » suggère l’excès de parole (qui était la caractéristique de l’enseignement scolastique).
Gualehaut, nom d’un chevalier de la Table Ronde, pourrait donner une image positive du Moyen Age mais son nom est immédiatement suivi de Jean le Veau qui procède d’une animalisation comique, décrédibilisant les commentaires dont il est censé être l’auteur.
Le nom latinisé « Brelinguandus » crée quant à lui un effet de dissonance comique qui laisse deviner des commentaires sans rigueur.
L’expression globalisante « et un tas d’autres
» qui clôt l’énumération est ironique : Rabelais ne prend même plus la peine de nommer les commentateurs, comme si leurs travaux étaient interchangeables et n’avaient aucune importance.
Rabelais poursuit la critique de la pédagogique scolastique, trop fondée sur la mémoire : « il le récitait par cœur à l’envers
».
Si la récitation de l’alphabet à l’envers était déjà cocasse mais pouvait s’entendre comme une gymnastique mnémotechnique, la récitation d’un livre à l’envers est totalement absurde : le livre devient alors un ensemble de signes et de sons sans signification.
La conclusion de Gargantua sur cette pédagogie est sans appel : « de modus significandi non erat scientia » : « il n’y avait pas une science des modes de signification
» . La négation (ne…pas) montre la vacuité d’une pédagogie qui n’est pas fondée sur une science, et qui est donc irrationnelle.
Puis Gargantua s’adonne à la lecture de l’ouvrage « le Compost » qui est un calendrier populaire.
Cette nouvelle lecture dénonce l’absurdité de l’enseignement médiéval qui ne hiérarchise pas la nature des ouvrages. Théologie, science, almanach : tout est lu indistinctement, sans hiérarchie ni priorité.
Rabelais suggère ainsi une décadence du savoir et de la science à l’époque médiévale.
Les durées hyperboliques que Gargantua consacre à ces apprentissages inutiles (« il fut bien seize ans et deux mois
») témoignent de la lourdeur et de l’inefficacité de ces derniers.
La mort de ce précepteur permet à Rabelais de procéder à une réécriture de vers du poète français Clément Marot :Et fut l’an mil quatre cent vingt
De la vérole qui lui vint.
L’intertextualité avec Clément Marot signe l’ambition humaniste du texte de Rabelais. Il s’agit de remplacer la philosophie austère de la scolastique par une littérature nouvelle placée sous le signe de la simplicité, de la fantaisie et de la créativité.
II – La satire du successeur de Thubal Holopherne
De « Après, il en eut un autre vieux, tousseux » à « nous n’en enfournâmes.
«
Le successeur de maître Thubal Holopherne est « un autre vieux, tousseux
». Cette périphrase péjorative accentue le registre satirique.
Les enseignants de la pédagogie scolastique sont en effet caractérisés par leur vieillesse (vieux) et leur état maladif (tousseux). Rabelais suggère qu’ils appartiennent à une autre ère et empêchent la bonne santé.
Le nom « Jobelin bridé » désigne un terme ornithologique (oisillon bridé) mais joue surtout sur le terme « bridé » qui signifie empêché, serré, prisonnier.
Rabelais rappelle ainsi que les méthodes d’apprentissage scolastiques entravent la liberté.
L’énumération d’ouvrages ou d’auteurs fait la part belle au latin : «le Pars », « le Quid est » « le supplementum », « de Quatuor virtutibus cardinalibus
». Ces termes sont un pastiche* (*une imitation ironique) du latin scolastique médiéval.
Comme dans l’énumération précédente, tous les ouvrages sont mélangés : traités de grammaire, sermons ou traités de savoir-vivre comme « de Moribus in mensa servandis
» .
Ainsi, ce n’est pas seulement maître Thubal Holopherne qui manquait de discernement dans ses choix pédagogiques mais bien tous les enseignants scolastiques.
Rabelais utilise d’ailleurs la métaphore pâtissière « semblable farine », « nous n’en enfournâmes
» pour suggérer la confusion et la décadence de l’enseignement médiéval.
Gargantua, chapitre 14, conclusion
Derrière la satire de l’enseignement scolastique, François Rabelais appelle à une nouvelle pédagogie tournée vers la science et la créativité.
En cela, il est le promoteur de l’humanisme qui prend ses distances avec la philosophie scolastique portée par Saint Thomas d’Aquin au 13ème siècle et relayée au 16ème siècle par des théologiens comme Cajetan.
L’éducation du précepteur humaniste Ponocrates, décrite au chapitre 23, prendra le contrepied de l’éducation scolastique, en privilégiant un programme éducatif complet alliant l’exercice intellectuel et physique.
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