Andromaque, Racine, acte I scène 4 : analyse

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Voici un commentaire linéaire pour l’oral de l’acte I scène 4 de la pièce Andromaque de Jean Racine.

L’extrait analysé va du début de la scène à «Seigneur, voilà des soins dignes du fils d’Achille»

Andromaque, acte I scène 4, introduction

Racine est un dramaturge du XVIIème qui se rattache au classicisme. Il est également très influencé par le jansénisme , un courant catholique qui dénonce les affres de l’âme pécheresse.

À rebours du théâtre de Corneille, plus héroïque, Racine met en scène les conséquences désastreuses de la passion pour mieux diriger l’homme vers la vertu chrétienne.

Andromaque est une tragédie en 5 actes écrites en 1667.

Pyrrhus, le fils d’Achille, a tué le prince troyen Hector et tient en otage sa veuve Andromaque. Épris d’amour pour elle, et sachant que les grecs veulent s’emparer d’Astyanax son fils pour éviter qu’il ne venge Hector, il va la soumettre à un chantage.

Mais son stratagème de séduction tourne court et laisse place à une tragédie nouvelle.

Problématique

En quoi le stratagème de Pyrrhus pour séduire Andromaque ne peut-il se dénouer que de façon tragique?

Annonce de plan linéaire

Nous verrons dans une première partie, du début de la scène à « Mais il me faut tout perdre et toujours par vos coups« , que Pyrrhus tente de susciter l’inquiétude d’Andromaque.

Dans une deuxième partie, de «Madame, mes refus ont prévenu vos larmes» à «De ne vous point compter parmi vos ennemis?», Pyrrhus adopte la posture du héros chevaleresque.

Mais nous étudierons dans une troisième partie, avec la dernière réplique d’Andromaque, que cette dernière résiste à Pyrrhus.

I – Pyrrhus tente d’inquiéter Andromaque pour la rendre dépendante de lui

Du début de la scène 4 à «Mais il me faut tout perdre et toujours par vos coups»

La scène s’ouvre sur une question de Pyrrhus: «Me cherchiez-vous, Madame?». La forme interrogative dévoile le rapport de soumission de Pyrrhus à l’égard d’une femme qui tient en main son destin.

Pyrrhus emploie les codes de la galanterie à travers le groupe nominal «un espoir si charmant» , avec l’adjectif «charmant» renforcé par l’adverbe intensif «si». L’intrigue amoureuse est la motivation essentielle de cette scène, du moins du point de vue de Pyrrhus.

Pyrrhus joue sur l’adjectif «charmant» qui qualifie le terme «espoir» mais qui vise en réalité Andromaque. Il s’agit d’une hypallage par lequel Pyrrhus vise un double sens typique du style précieux.

L’interrogation «me serait-il permis?» utilise le vocabulaire de la soumission.

Andromaque répond en mettant en lumière sa situation tragique digne de susciter la terreur et la pitié.

Elle évoque immédiatement son filsoù l’on garde mon fils») dont elle rappelle la filiation avec Hector le seul bien qui me reste d’Hector»). Cette référence immédiate à la filiation d’Astyanax rappelle qu’un destin tragique pèse sur la famille d’Hector.

Les personnages d’Andromaque et d’Astyanax sont marqués par la négation ou la restriction comme le souligne les expressions: «le seul bien qui me reste», «je ne l’ai point encore embrassé aujourd’hui». Dépouillés et enfermés, ils apparaissent privés de tout.

L’apostrophe «Madame» qui ponctue chaque début de réplique de Pyrrhus met en valeur la distance respectueuse de l’amant éconduit.

Mais Pyrrhus utilise tous les stratagèmes à sa disposition pour persuader Andromaque, y compris le rapport de force.

Il tient déjà Andromaque en captivité physique mais il essaie aussi de l’enfermer par les mots.

Ainsi, le champ lexical de la douleur («alarmes», «larmes», «haine», «redoute») crée une pression sur Andromaque qui paraît assiégée par des ennemis venus de toute part. Pyrrhus reste d’ailleurs évasif sur les menaces comme le montre l’adjectif de sens indéfini «d’autres sujets» qui maintient le doute dans l’esprit d’Andromaque.

La réplique d’Andromaque, constituée de phrases interrogatives, dévoile son inquiétude et montre le rapport de force qu’instaure Pyrrhus: «Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé, / Seigneur?»

La question rhétorique «Quelque Troyen vous est-il échappé? » est néanmoins ironique. Elle souligne l’alliance artificielle que Pyrrhus veut établir avec Andromaque contre les grecs, en lui rappelant que ses vrais ennemis sont les troyens.

Pyrrhus se plaît à mettre Andromaque dans une situation d’incertitude et de danger pour la rendre dépendante de lui. Il dévoile le danger par étape pour mieux exercer une pression sur Andromaque. Aussi, les menaces sont croissantes: «la haine pour Hector», Ils redoutent son fils.»

Andromaque insiste sur la situation tragique de son fils, un «enfant malheureux». L’insistance sur sa filiationfils d’Hector») et le parallélisme «Que Pyrrhus est son maître, et qu’il est fils d’Hector» enferme son fils dans un destin inexorable.

Pyrrhus poursuit ses pressions qui vont crescendo, comme le souligne la rime «périsse» / «supplice».

La périphrase «Le fils d’Agamemnon» désigne Oreste, le fils du commandant de l’armée grecque, et vient dramatiser la vengeance et multiplier les menaces.

Néanmoins, Andromaque n’est pas dupe.

Elle reproche à Pyrrhus d’être cruel: «Et vous prononcerez un arrêt si cruel?».

Dans la phrase «Est-ce mon intérêt qui le rend criminel?», Astyanax est en position d’objetqui le rend criminel»), ce qui montre qu’il subit les conséquences de «l’intérêt» de Pyrrhus pour Andromaque.

À travers le pronom personnel indéfini «on», Andromaque désigne Pyrrhus caché derrière ces menaces: «on ne craint point qu’il venge un jour son père; / On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère.». Ce «on» anonyme démasque Pyrrhus. L’antithèse père/mère montre que l’enfant n’est qu’un prétexte pour atteindre la mère.

II – Pyrrhus adopte la posture du héros chevaleresque

De «Madame, mes refus ont prévenu vos larmes» à «De ne vous point compter parmi vos ennemis?»

Amoureux d’Andromaque, Pyrrhus adopte la posture du héros chevaleresque pour se mettre en valeur.

Pyrrhus imbrique dans son discours les pronoms personnels de la 1re et 2ème personne pour établir un lien amoureux, un procédé classique de la poésie galante: «Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.»

Le champ lexical de la rigueur («refuserez-vous», «sévère», «vos cruautés», «mes ennemis» ) et le pluriel du terme «cruautés» rappelle le style précieux du poète Vincent Voiture qui revenait à la mode en 1667. Pyrrhus s’inscrit dans un rapport de soumissions face à la belle dame sans merci.

Le champ lexical du combat permet ensuite à Pyrrhus de se lier à Andromaque dans l’adversité: «menacé», «armes», «mille vaisseaux», «coûtât-il tout le sang». Il est volontariste et aussi déterminé qu’un héros prêt à braver tous les dangers.

La proposition concessive «mais dussent-ils encore…» suggère le courage indéfectible du héros.

Les deux propositions courtes et juxtaposées «Je ne balance point, je vole à son secours<.q>» restituent la hardiesse de l’action militaire.

Les verbes «voler» et «courir», qui sont hyperboliques, mettent en valeur l’audace du héros. Ces deux verbes ne sont pas sans rappeler la célèbre réplique de Don Diègue dans Le Cid de Corneille: «Va, cours, vole et nous venge» auquel Racine emprunte le ton épique.

Cette référence au Cid pourrait aussi faire de Pyrrhus une caricature du personnage cornélien qui allie galanterie et héroïsme.

Pyrrhus mêle en effet les codes de la galanterie, avec le champ lexical de l’amour («plaire», «regard moins sévère», «espérer», «un cœur qui vous adore») à ceux de l’action militaire, avec le champ lexical de la guerre («périls», «combattre», «haï»).

La phrase «je vous offre mon bras» joue également sur le double sens amoureux et militaire. Le bras offert est celui prêt à tenir l’arme pour défendre Andromaque, mais c’est aussi le bras de l’époux qui scelle l’union amoureuse.

Le champ lexical de l’espoir renforcé par les verbes au futur («espérer encor», «accepterez», «me sera-t-il permis») reprend le topos précieux du poète amoureux qui cherche à séduire par ses traits d’esprit.

Mais cet héroïsme n’est que stratégique. Le terme «combattre» dans «en combattant pour vous» n’a pas pour objet des ennemis mais les «cruautés» d’Andromaque.

Derrière le valeureux héros se cache le stratagème de l’amoureux qui joue au héros pour se rendre essentiel et admirable.

Pyrrhus joue donc une pièce de théâtre. Il met en scène des ennemis… qui n’existent pas – du moins pas encore – comme le montrent les verbes au subjonctif imparfait à valeur hypothétique «dussent-ils», «Dussè-je».

Pyrrhus se crée donc des ennemis pour mieux inventer sa bravoure. Les hyperboles sont plus le signe de son imagination que d’un réel danger ou d’un réel héroïsme.

III – La résistance d’Andromaque

De « Seigneur, que faites-vous » à « Seigneur, voilà des soins dignes du fils d’Achille.« 

Andromaque résiste aux arguments de Pyrrhus.

Sa question «Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce?» paraît celle d’un directeur de conscience qui souhaite remettre l’âme pécheresse dans le droit chemin. Andromaque rappelle en effet Pyrrhus à son devoir de Roi.

Puis elle défait l’argumentaire de Pyrrhus en montrant le caractère irréconciliable du registre galant et du registre épique: «Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse? / Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux / Passe pour le transport d’un esprit amoureux?».

L’antithèse entre «grand» et «faiblesse» montre que les rôles que jouent Pyrrhus sont incompatibles entre eux: aux trois substantifs épiques («grand», «beau», «généreux») répondent trois termes galants («faiblesse», «transport», «amoureux»).

Andromaque lève le masque de Pyrrhus.

Les adverbes exprimant l’intensité «si» ou «tant» dévoilent le caractère exagéré et factice de l’héroïsme de Pyrrhus.

L’ironie porte également sur le double sens des termes comme celui de l’adjectif «captive» qui a un sens galant mais qu’Andromaque ramène à son sens originel exprimant son statut de prisonnière: «captive, toujours triste, importune à moi-même».

Elle insiste sur la situation pathétique comme en témoigne le champ lexical de la tristesse: «triste», «importune», «infortunés».

Elle enlève le masque de la femme aimée pour prendre celui d’héroïne tragique: «Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés». Racine crée un oxymore « yeux infortunés » avec le terme «yeux» qui relève de la galanterie et l’adjectif «infortunés» qui relève du pathétique.

Par le champ lexical de la cruauté, elle met à jour la violence de Pyrrhus: «condamnés», «ennemi», «rendre un fils à sa mère», «faire payer». Elle ramène Pyrrhus à son statut militaire et politique.

Le discours d’Andromaque est donc celui de la lucidité et de la vérité. Elle ôte à Pyrrhus son masque de galant pour que l’on voie le tyran et elle ôte son masque de femme convoitée pour que l’on voie l’héroïne tragique.

Andromaque propose une autre voie, celle d’un héroïsme intérieur, qui dépasse les conflits anciens pour accéder à la pitié et à l’empathie comme le montre le champ lexical de la générosité: «respecter la misère», «Sauver», «combattre», «asile».

Andromaque, acte I scène 4, conclusion

Nous avons vu que Pyrrhus met en place un stratagème amoureux pour conquérir Andromaque. Il la place cruellement dans une situation d’inquiétude pour se rendre admirable et indispensable.

Mais Andromaque n’est pas dupe et lève le masque de Pyrrhus. Enfermée dans une situation tragique, elle fait appel à la vertu chrétienne de charité conformément à la foi janséniste de Racine.

Andromaque symbolise ainsi la voie de la vérité et la possibilité de rachat puisqu’elle propose une issue digne à la situation dans laquelle s’est mis Pyrrhus.

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Amélie Vioux

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