Green, Verlaine : commentaire linéaire

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Voici une analyse linéaire du poème « Green » issu du recueil Romances sans paroles (1874) de Paul Verlaine.

Green, Verlaine, introduction

«Green», poème composé de trois quatrains, fait partie de la partie «Aquarelle» du recueil Romances sans paroles de Paul Verlaine.

Verlaine compose les poèmes d’ «Aquarelle» en Angleterre après sa séparation avec Mathilde Mauté qu’il a épousée en 1870.

Cette séparation conjugale résulte d’une scène de violence qui laisse Verlaine dans un désespoir et des remords profonds.

Le titre «Green», terme anglais, introduit une dissonance et suggère l’exil du poète maudit qui met en valeur la distance physique et linguistique qui le sépare désormais de Mathilde.

Poème « Green »

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

« Green », Romances sans paroles (1874), Verlaine

Problématique

Quelle image Verlaine donne-t-il de la femme aimée dans ce poème?

Plan linéaire

Dans les deux premières strophes du poème « Green », le poète offre son coeur à la femme aimée (I) dans un schéma chevaleresque (II). Mais l’étude de la troisième strophe montre que les mots d’amour cachent la hantise de la séparation (III).

I – Le poète offre son cœur à la femme aimée

(1re strophe)

Le premier vers s’ouvre sur le champ lexical de la nature qui rappelle la poésie amoureuse et champêtre de Ronsard: «fruits» ,«fleurs», «feuilles», «branches».

L’allitération en «f» donne une vitalité initiale au premier vers qui lance le poème comme l’ouverture d’un morceau musical: «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches».

Néanmoins, ce premier vers est déjà placé sous le signe de l’élégie (=la plainte).

En effet, dans la gradationdes fruits, des fleurs, des feuilles et des branches»), on attendrait le passage des branches aux fleurs pour suggérer la constitution d’un bouquet. Mais les fruits et les fleurs, symboles lyriques, s’effacent pour laisser place au «feuilles» puis aux «branches» dépouillées de tout lyrisme.

Cette gradation du premier vers suggère donc déjà subtilement l’échec du lyrisme amoureux.

Le rythme de ce premier vers est également saccadé, haletant, comme si le poète était étouffé par la peur ou la timidité.

Le vers 2 poursuit la gradation du vers 1, établissant une continuité entre le monde végétal et le monde humain: «Et puis voici mon cœur».

Comme dans les Métamorphoses d’Ovide, l’arbre se transforme en homme, ce qui donne une tonalité fantastique au poème.

Le champ lexical de l’amourcœur», «bat», «déchirer», «doux») place l’expression du sentiment au cœur du poème.

Le «je» lyrique apparaît à travers l’adjectif possessif «mon» dans «mon cœur».

Ce «je» lyrique trouve son destinataire qui apparaît à travers la deuxième personne du singulier «vous». La première et la deuxième personne du pluriel sont imbriqués dans le poème et symbolisent une fusion des âmes, marque du lyrisme amoureux.

Le champ lexical du corps dans la première strophe («cœur», «vos deux mains blanches», «vos yeux si beaux») constitue un véritable blason comme en écrivaient les poètes de la Pléiade (un blason est un court poème célébrant une partie du corps féminin).

Mais ce corps est constitué ici à la fois du poète et de la femme aimée, ce qui symbolise la fusion des corps et des cœurs.

Le poète offre son cœur comme une offrande à une divinité («Voici mon cœur», «l’humble présent»).

L’adverbe intensif «si» («vos yeux si beaux») reprend le topos de la divinisation de la femme aimée.

Le ton du poète est d’ailleurs celui de l’imploration face à la femme aimée vue comme la belle dame sans merci.

Verlaine prie pour éviter ses rigueurs: «Et qu’à vos yeux si doux l’humble présent soit doux».

Néanmoins, le verbe «déchirer» détone dans cette première strophe lyrique car il laisse déjà entendre la souffrance et le tourment amoureux.

On remarque aussi que cette première strophe compose un tableau impressionniste. Il faut se rappeler que ce poème fait partie du recueil Romances sans paroles et particulièrement de la section «Aquarelles» qui fait signe vers la peinture.

Le champ lexical de la nature apparait sous formes de touches comme le montre le rythme du premier vers «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches».

L’énumération est comparable à la technique impressionniste visant à représenter le réel par touches en éclairant le paysage par la lumière («mains blanches»).

L’énumération donne un effet d’accumulation qui correspond à la luxuriance et la richesse des tableaux de Renoir.

Ce poème est comme une aquarelle et Verlaine fond l’ensemble dans une harmonie dont le vert est la couleur matricielle.

Le titre «Green» (qui signifie vert en anglais) donne la nuance chromatique dans laquelle le tableau va se composer («fruits», fleurs», «feuilles» et «branches»).

II – Les retrouvailles apportent un moment de paix après les tourments

(2ème strophe)

Dans la deuxième strophe, Verlaine s’inscrit dans un schéma chevaleresque et reproduit le repos du guerrier.

En effet, le verbe «J’arrive» qui ouvre le vers 5 implique un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur qui suggère le retour d’un héros.

Les retrouvailles interviennent après des moments tourmentés dans un lieu manifestement hostile: «vent», «glacer», «fatigue».

Le verbe souffrir constitue un hypallage car il s’adresse à la femme aimée souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée») alors qu’on s’attendrait à voir ce verbe rattaché au poète exténué à son arrivée.

Le champ lexical du repos assimile les retrouvailles à un moment de calme et de paix: «reposée», «chers instants», «délasseront».

Les «chers instants» rappellent le carpe diem ronsardien et invitent ainsi au délassement.

Néanmoins, le verbe «glacer» et le champ lexical du repos sont frappés d’une certaine ambiguïté, le poète se mettant en retrait, s’effaçant.

Il demeure en effet une distance entre la femme aimée et le poète. Le vouvoiement vient d’ailleurs corriger la fusion apparente des premiers vers.

III – Un amour menacé par la mort

(3ème strophe)

Mais l’amour du poète demeure imparfait et semble même menacé par la mort.

L’expression «laisser rouler ma tête» au vers 9 suggère à la fois la sensualité d’un geste amoureux mais laisse aussi et surtout apparaître l’image d’une décapitation.

Cette image est d’autant plus forte qu’elle est accolée à celle du «jeune sein», formant une antithèse entre la sensualité de la jeunesse et la mort violente.

Le mode impératif «laissez rouler», «laissez-la s’apaiser» montre que le poète est en situation de requête. Ces impératifs formulent une prière qui laisse deviner un rejet voire une violence potentielle.

L’évocation des «derniers baisers» au v.10 est également polysémique. L’adjectif «derniers» peut avoir un aspect inachevé (et signifier «récents») ou un aspect achevé (et signifier «il n’y en aura plus») suggérant alors une rupture.

Le poème partait de la fusion de deux cœurs mais le lecteur voit les deux amants s’éloigner progressivement l’un de l’autre.

Au vers final, le verbe «reposer» à la forme intransitive désigne le fait de rester étendu et immobile mais s’emploie aussi pour désigner un cadavre gisant. Ainsi, on pourrait lire ce poème comme une épitaphe célébrant sur un ton élégiaque les amours mortes (l’épitaphe est l’inscription funéraire placée sur la pierre tombale).

Le sentiment d’échec ou de manque transparaît également dans la forme même du poème.

Le poème commence en effet comme un sonnet en rimes croisées, mais la troisième strophe est un quatrain comme si le poète ne parvenait pas à achever le sonnet, forme lyrique par excellence de la poésie classique (le sonnet est en effet constitué de deux quatrains et deux tercets). La forme du poète suggère donc un amour imparfait ou inachevé.

Verlaine met son amour passé en musique, sans doute pour conjurer la souffrance.

Ainsi, les effets de rime internetoute sonore encore de vos derniers baisers») suggèrent le calme et l’apaisement de la musique poétique qui conjure la souffrance amoureuse.

L’allitération en «p» donne un final harmonieux à ce poème, faisant presque entendre le bruit d’un tambour, et reproduisent les sensations auditives des baisers évoqués:

«Laissez-là s’apaiser de la bonne tempête
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
»

Green, Verlaine, conclusion

Paul Verlaine compose avec «Green» un poème ambigu qui célèbre la femme aimée mais dit aussi la disparition douloureuse de cet amour.

Si les mots, fondamentalement équivoques, disent la douleur de la séparation, Verlaine conjure ces amours mortes par l’esthétique en créant un poème musical.

On comprend ainsi pourquoi ce poème a été mis en musique par les artistes comme Claude Debussy, Reynaldo Hahn, Gabriel Faure ou encore Léo Ferre.

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