Nevermore, Verlaine : lecture linéaire

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Voici une analyse linéaire pour le bac de français du poème « Nevermore » issu du recueil Poèmes Saturniens de Paul Verlaine.

Nevermore, Verlaine, introduction

Paul Verlaine est considéré comme l’un des plus grands poètes français de la fin du XIXe siècle.

Il est issu de la bourgeoisie catholique, et évolue dès sa jeunesse parmi les cercles littéraires parisiens.

Il fait partie des mouvements parnassiens, symbolistes, et décadentistes.

Son existence tragique (misère, amours malheureux avec Rimbaud, alcoolisme, emprisonnement et hospitalisation) lui inspire une poésie mélancolique et hantée par le spleen baudelairien.

Verlaine incarne et bâtit la figure du « poète maudit » (recueil de 1884), synonyme de génie visionnaire méprisé par son époque.

Sa poésie est novatrice de par sa musicalité moderne, avec des rythmes impairs et fluides qui restituent les élans d’une âme brisée qui chante pourtant.

Poèmes saturniens, son premier recueil, est publié en 1866.

Verlaine inscrit sa poésie sous l’ « Influence maligne » de la planète Saturne, considérée depuis l’Antiquité comme source de la mélancolie.

« Melancholia » est d’ailleurs le titre de la première section du recueil où « Nevermore » occupe la deuxième place.

Le titre Nevermore, qui signifie « Plus jamais » en anglais rend hommage au poème « Le corbeau » d’Edgar Allan Poe, traduit par Baudelaire.

Ce mélancolique sonnet en alexandrin constitue une adresse nostalgique du poète à une femme, allégorie de la mémoire.

Problématique

Comment ce sonnet amoureux exprime-t-il la mélancolie de Verlaine ?

Le texte

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant
 » Quel fut ton plus beau jour?  » fit sa voix d’or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées !
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

Plan linéaire :

Dans le premier quatrain, Verlaine se replonge dans une atmosphère automnale.

Dans le deuxième quatrain, il se souvient d’une promenade amoureuse.

Dans un troisième temps, des vers 10 à 14, le poète évoque avec mélancolie les premières amours défuntes.

I – Le poète se replonge dans une atmosphère automnale

(Vers 1 à 4)

Le poème s’ouvre sur une adresse au souvenir : « Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? »

La répétition de « souvenir » au premier vers, par sa redondance sonore, inscrit d’emblée ce sonnet sous le signe de la mélancolie.

Succède l’interrogation du poète : « que me veux-tu ? » Le ton familier, avec le tutoiement, indique que le souvenir se manifeste souvent au poète.

La question « que me veux-tu ? » est monosyllabique (chaque mot est constitué d’une seule syllabe). Cette simplicité suggère l’épuisement moral du poète face aux harcèlements d’une mémoire persistante.

Ce premier vers s’achève par un contre-rejet qui met en valeur, « L’automne », saison allégorique de la mélancolie.

Le passage à l’imparfait de description plonge le poème dans un passé révolu, dans le souvenir : « L’automne / Faisait voler la grive » .

L’allitération en « r » et l’assonance en « a » (« la grive à travers l’air atone ») restituent l’atmosphère automnale.

Cet automne est « atone », soit sans force.

Même le soleil semble dévitalisé, car il « dardait un rayon monotone ».

Cette monotonie est restituée par la longueur de la phrase, qui court sur quatre vers, ainsi que par les rimes plates, qui n’offrent aucune diversité.

Le long participe présent adjectivisé « jaunissant » ralentit également le rythme du quatrième vers et rend compte de la puissance de pourrissement de l’automne.

Dans cette atmosphère déclinante, seule « la bise détone », c’est à dire fait du bruit. Il s’agit donc d’un paysage silencieux, presque morbide.  

Verlaine s’amuse avec l’emploi ironique du terme« bise » qui est polysémique. La bise désigne en effet le vent mais aussi l’impossible baiser auquel le poète aspire.

II – Le poète se remémore une promenade amoureuse

(Vers 5 à 9)

C’est cependant dans cet automne que s’inscrit une promenade amoureuse : « Nous étions seul à seule et marchions en rêvant » (v.5).

Ce cinquième vers fluide et pur de toute ponctuation restitue la liberté et l’innocence des amants.

Les expressions « seul à seule » et « Elle et moi » , mettent constamment les amants en miroir, exprimant la réciprocité de cet amour.

On observe un zeugma au vers 6 : « les cheveux et la pensée au vent » . Le zeugma est une figure de style qui coordonne deux éléments qui se situent sur un plan syntaxique ou sémantique différent. Ici, la coordination de « cheveux » et « pensée » montre que le corps et l’esprit des amants se fondent, fusionnent.

Le participe présent « rêvant » au v.5 rime avec l’énergie du « vent » au v.6. Ce phonème dynamise toute cette strophe, formant une antithèse sonore avec la précédente.

L’adverbe temporel « Soudain » (vers 7) crée la surprise. Il introduit le discours direct de la femme aimée, qui anime le souvenir dans le moment présent : « Quel fut ton plus beau jour ?« 

Néanmoins, l’emploi du passé simple dans la question suppose que ce bonheur ne peut qu’être révolu.

La répétition de « sa voix » aux vers 8 et 9 divinise celle qui parle.

Le poète lui attribue d’ailleurs un « frais timbre angélique ». Cette divinisation tend à désincarner la femme et à la rendre inaccessible.

L’allitération en « s » et l’assonance en « i » font entendre cette voix chuchotante et souriante :
« Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique
 »

Ces vers créent une intertextualité avec un autre poème de Verlaine, « Mon rêve familier », publié également dans Poèmes Saturniens où la voix douce et sonore est associée à la femme rêvée :
 » Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore.« 

On peut noter les audaces formelles de ce poème : les rimes sont plates, et le deuxième quatrain se prolonge sur le tercet suivant avec la reprise du mot « voix ».

On peut cependant s’interroger sur la nature de cette mystérieuse figure féminine, qui semble ne former qu’une seule personne avec le poète. Ne serait-elle pas une allégorie de la mémoire ?

Le poème s’ouvre en effet sur une adresse au souvenir. La femme pose ensuite une question qui pourrait être celle posée par la mémoire du poète : « Quel fut ton plus beau jour ? » .

Cette promenade amoureuse représenterait donc la méditation mélancolique d’un poète solitaire.

III – Le poète fait l’éloge de l’amour défunt

(Vers 10 à 14)

Le poète répond par «Un sourire discret» (v.10).

L’emploi de la synecdoque* « un sourire discret lui donna la réplique » participe à l’effacement du poète (* la synecdoque est une figure de style qui désigne la partie pour le tout – ici le sourire désigne le poète.)

Cet effacement est renforcé par l’emploi de l’article indéfini « un » (« un sourire » ) et de la troisième personne (« lui donna » ). Le poète semble disparaître derrière ses souvenirs.

L’expression théâtrale «donner la réplique» confère au vers 10 une dimension tragique et met à distance le poète qui devient le spectateur de ses propres souvenirs.

Le vers 10 marque également un tournant dans le poème. En effet, le passage de l’imparfait au passé simple « lui donna la réplique » crée une tension dramatique.

L’apparition de rimes embrassées (ABBA) rompt également avec la monotonie des deux quatrains.

Ces ruptures créent un effet d’attente chez le lecteur.

Au vers suivant (vers 11), le poète témoigne de son amour par des manière galantes qui rappellent la tradition courtoise : « je baisai sa main blanche, dévotement. »

L’adverbe « dévotement » exprime la sacralisation de l’amour chez Verlaine.

Mais l’adjectif « blanche » apporte une note inquiétante. La blancheur pourrait être celle d’un cadavre, et le baiser celui d’un adieu.

Le poète évoque peut-être ici l’allégorie d’un bonheur amoureux qu’il ne vivra plus, d’où le titre « Nevermore ».

Le dernier tercet évoque le bonheur amoureux par une série de topoï romantiques : « fleurs […] parfumées », « murmure charmant », « lèvres bien-aimées ».

La simplicité du vocabulaire et le recours aux clichés amoureux peuvent laisser penser que Verlaine est ironique ou nostalgique d’un bonheur qui n’a jamais vraiment existé.

Le présent de l’indicatif réapparaît dans ce dernier tercet. Le souvenir évoqué appartient au passé, mais le présent actualise la souffrance du poète qui se lamente, à la forme exclamative :
« Le premier oui qui sort des lèvres bien-aimées !« 

Nevermore, Verlaine, conclusion

Le poème « Nevermore » exprime toute la mélancolie de Paul Verlaine.

La femme aimée dans ce poème apparaît comme une allégorie de la mémoire. Elle incarne le souvenir et l’impossibilité de l’amour pour le poète, cet être solitaire que son génie distingue de l’humanité.

Le bonheur n’est envisageable que dans un passé fantasmé qui n’est « Plus jamais » accessible, sinon poétiquement.

Verlaine rend hommage au poème narratif « Le Corbeau » d’Edgar Poe, que Baudelaire traduisit. Dans ce texte de Poe, l’oiseau lugubre perché sur une porte répète inlassablement au narrateur : « Jamais plus » .

Tu étudies Poèmes Saturniens ? Regarde aussi :

Chanson d’automne
Mon rêve familier
Monsieur Prudhomme
L’enterrement

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Amélie Vioux

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un commentaire

  • Bonjour vous avez mentionné la synecdoque comme figure de style seulement je n’ai pas vu d’explication alors j’aimerais savoir en quoi consiste cette dernière ? Svp

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