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Voici une analyse linéaire du poème « Il fait un temps d’insectes affairés » issu du recueil Mes forêts d’Hélène Dorion.
Le poème étudié figure aux pages 73-75 de l’édition de poche Bruno Doucey.
Il fait un temps d’insectes affairés, mes forêts, Dorion : introduction
Hélène Dorion fut successivement critique, membre de la rédaction de revues, collaboratrice à des émissions culturelles et radiophoniques, enseignante en littérature, directrice des Éditions du Noroît.
Née en 1958 à Québec, elle fut élue membre de l’Académie des Lettres et nommée Chevalière de l’Ordre National du Québec en 2006.
Elle a acquis sa place dans la littérature francophone grâce à ses ouvrages en prose, à sa poésie, à ses nombreux prix littéraires et aux multiples traductions de son œuvre.
Son recueil Mes forêts, publié à l’automne 2021 aux Éditions Bruno Doucey, se caractérise par une écriture en vers libres, sans ponctuation. (Voir la fiche de lecture de Mes forêts d’Hélène Dorion)
Le poème étudié, « Il fait un temps d’insectes affairés » est issu de la troisième section du recueil, « L’onde du chaos » qui évoquent les menaces du monde moderne et interroge la possibilité d’existence de la poésie dans un tel monde.
Problématique
En quoi ce poème, appartenant à la section « L’onde du chaos », rend-il compte d’une destruction créatrice ?
Plan linéaire
Dans la première strophe, la poétesse fait référence à un châtiment divin qui s’abat sur le monde.
Dans la deuxième strophe, elle fait état d’un monde moderne bouleversé et, dans la troisième strophe, de sa consternation.
Enfin, la quatrième strophe évoque une voix poétique qui invite à une prise de conscience.
I – Une punition divine
Première strophe : de « il fait un temps d’insectes affairés » à « au-dessus des vagues »
Hélène Dorion crée sa propre météorologie, en reliant l’expression classique « il fait un temps de
» à une suite originale « d’insectes affairés
».
Les allitérations en « f » et « r » restituent les sons liés à l’activité intense des insectes : « Il fait un temps d’insectes affairés / de chiffres et de lettres
« .
Ainsi, le poème s’ouvre sur une réminiscence d’une des plaies d’Égypte, les sauterelles. Par là, l’auteure évoque implicitement l’application d’un châtiment, d’une punition, que vient confirmer le groupe nominal « sur la terre souillée
». La souillure implique en effet l’idée d’altération de ce qui était pur à l’origine.
La suite de l’énumération rejetée au vers suivant « de chiffres et de lettres
» confère une aura énigmatique au paysage. Ces termes font signe vers l’activité humaine d’écriture et de comptabilité, qui se superpose sur l’activité naturelle des insectes.
Le rythme des deux derniers vers semble mimer le mouvement incessant et croissant des vagues.
II – Un ordre du monde bouleversé
Deuxième strophe : de « dans nos corps » à « comme un vêtement usé
»
De la météorologie externe de la nature, le lecteur passe à une météorologie interne initiée par le groupe nominal « dans nos corps
».
La première moitié de la strophe fonctionne sur une présentation atypique : visuellement, des espaces béants viennent déstructurer le vers.
La strophe est construite sur un rythme saccadé, fait de monosyllabes, qui peuvent se lire ou s’épeler : « arn », « ram », « zip », « chus », « sdf », « vip », « k »
…
Par le choix de ces acronymes, la poétesse donne à voir un monde contemporain inquiétant, presque vidé de son sens, un monde dominé par l’éclatement et l’éparpillement.
Tout d’abord, ce monde s’appuie sur les vaccins ARN (Acides RiboNucléiques) Messager, connus depuis la pandémie du Covid-19 : « il fait un temps d’arn
» .
Puis, ce monde consacre le règne du numérique avec la RAM (Random Access Memory) et le ZIP (modalité de compression des fichiers).
L’expression « et chus
» peut être lue comme elle est écrite au sens de « et tombés » ou comme elle est prononcée, c’est-à-dire « échus » au sens de « expirés ».
Les acronymes « sdf » et « vip » sont placés sur le même vers et renvoient à deux conditions sociales antithétiques : une personne Sans Domicile Fixe (sdf), une Very Important Person (vip). L’espacement visuel entre ces deux acronymes suggère l’éclatement de la société.
De la même façon, le vers « usa made in China
» oppose deux géants aux systèmes politique et économique antithétiques. De façon implicite, la course à la mondialisation est accusée.
Quant à l’expression « il fait triple k
», elle crée une nouvelle météorologie. Elle fait référence à une reprise de l’activité économique en « k », c’est-à-dire de façon très hétérogène : la fracture économique réside dans le fait que certains secteurs reprennent leur activité pendant que d’autres continuent de pâtir.
L’ordre du monde est radicalement bouleversé. L’absence de liaison entre ces acronymes est révélatrice.
Le désenchantement du poète est patent, comme l’indiquent les vers « un temps de ko / pour nos émerveillements
».
La chute est donc consommée (« Il fait casse-gueule
»), puis développée par les trois vers suivants. L’allitération en « r » (« bruit », « ferraille », « déchire
») rend ainsi sonore le déchirement de la société.
La société se caractérise désormais par des déchets, comme le suggèrent le terme « ferraille
» et la comparaison dépréciative « comme un vêtement usé
».
III – La perte de sens et d’espérance
Troisième strophe : de « il fait refus et rejet » à « questions rudoyées
»
Progressivement, la nature disparaît donc au profit d’un monde qui court à la productivité, fabrique des déchets et consacre le numérique (« un temps de pixels d’algorithmes
»).
L’espacement entre les termes restitue encore une fois l’éclatement du monde et l’absence de lien.
Le premier vers de cette strophe – « il fait refus et rejet
» – peut se comprendre de deux manières. Le pléonasme (refus et rejet sont synonymes) restitue la violence d’un monde dominé par la froideur du numérique et de l’automatisation.
Mais ce vers peut aussi se lire comme une prise de position claire : « il fait refus et rejet
». La poètesse s’élèverait contre cette société qui fait courir l’Homme à sa perte, « sur des routes invisibles
».
En effet, rien n’est tangible ni durable, comme l’indique la proposition subordonnée « que le vent dévore aussitôt
».
La présence des éléments naturels (« vent », « écorce », « feu ») ne suffit pas à sauver la société.
Le vers « Il fait chimère
» clôt la strophe, sans laisser d’espoir. Elle suggère que le monde contemporain poursuit des projets vains et irréalisables.
Les deux vers suivants, à la construction grammaticale nominale, confirment la fin de l’espérance : « et rêve de rien du tout
». L’absence de verbe restitue l’absence de sens et de direction du monde contemporain.
La poétesse est confrontée à une perte de sens et d’espérance. L’Homme malmène le monde dans lequel il vit, comme le suggère l’expression « un siècle de questions rudoyées
».
IV – La prise de conscience
Dernière strophe, de « Le bord d’une falaise » à « tout ce que l’on perdra
«
La chute préparée dès le début du poème intervient physiquement dans la dernière strophe : « le bord d’une falaise
» symbolise une frontière dangereuse, un précipice.
Dans ce monde au bord du gouffre, le pouvoir de la poésie semble limité puisque les poèmes « chutent ». La neige tombe également.
C’est la contemplation d’une Nature éphémère qui invite à la prise de conscience. Les derniers vers « et la neige / nous apprend à perdre / tout ce que l’on perdra
», qui se termine par un verbe au futur de l’indicatif, lancent une prophétie inquiétante.
De la destruction de la Nature, le poète parvient à créer une voix poétique pour éveiller les consciences. Le tissu sonore des deux derniers vers, qui repose sur un effet d’écho entre les sonorités « r » et « d », fait entendre cette voix poétique :
« nous apprend à perdre
«
tout ce que l’on perdra
Il fait un temps d’insectes affairés, Mes forêts, Hélène Dorion, conclusion
En définitive, le poème rend compte d’un monde souillé, bouleversé sur les plans écologique, social et économique.
Par le recours à une écriture rythmée, aux blancs et aux acronymes, ce poème heurte volontairement.
Le lecteur découvre alors une société fissurée, fragile, contradictoire.
Mais de cet état de destruction naît une voix poétique qui crée : elle transmet sa consternation, sa perte d’espoir, mais aussi la nécessité d’une prise de conscience : le tout numérique, les fractures sociales, la productivité sont autant d’éléments qui font oublier à l’Homme sa place au sein de la Nature.
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pour « chus » j’y vois plutôt un autre acronyme : centre hospitalier universitaire de Sherbrook, dans la region de l’Estrie où vit Hélène Dorion ( il complète arn et renvoie à la situation sanitaire, elle a composé le recueil pendant le confinement et la crise du Covid )
Ce n’est pas une critique car j’apprécie votre travail et recommande votre site à mes élèves pour sa qualité. Mais je pense qu’ici on est dans une énumération d’acronymes… chus en fait partie
cordialement
Merci Claire pour votre apport !