Pascal, Pensées, Imagination : explication linéaire

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Voici une lecture linéaire du fragment « Imagination » des Pensées de Blaise Pascal.

Pascal, Pensées, Imagination : introduction

Dans les Pensées, publiées en 1670 mais rédigées dans les années 1650, Blaise Pascal, philosophe, scientifique, mathématicien et théologien français, se penche sur l’imagination.

Le 17ème est un siècle cartésien (= du philosophe Descartes), c’est à dire un siècle rationaliste, qui se méfie de l’imagination pour deux raisons :
1) L’imagination empêche de suivre la méthode permettant d’accéder à la vérité.
2) L’imagination divertit de la foi, faisant persévérer l’homme dans le péché.

Dans cet extrait, Pascal propose au lecteur de débusquer les tromperies de l’imagination.

Problématique

Comment Pascal montre-t-il que l’imagination est le pire des divertissements, celui qui détourne des vérités de la foi?

Texte étudié – Fragment « Imagination » –

Imagination.

C’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité si elle l’était infaillible du mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux. Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages et c’est parmi eux que l’imagination a le grand droit de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.
Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l’homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages, et rien ne nous dépite davantage que de voir qu’elle remplit ses hôtes d’une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux‑mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire, ils disputent avec hardiesse et confiance, les autres avec crainte et défiance. Et cette gaieté de visage leur donne souvent l’avantage dans l’opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de faveur auprès des juges de même nature.
Elle ne peut rendre sages les fous, mais elle les rend heureux, à l’envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables, l’une les couvrant de gloire, l’autre de honte.
Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante? Combien toutes les richesses de la terre insuffisantes sans son consentement.
Ne diriez‑vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime et qu’il juge des choses par leur nature sans s’arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles? Voyez‑le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par l’ardeur de sa charité. Le voilà prêt à l’ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l’ait mal rasé, si le hasard l’a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu’il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.
Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au‑dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.
Je ne veux pas rapporter tous ses effets. Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l’écrasement d’un charbon, etc. emportent la raison hors des gonds. Le ton de voix impose aux plus sages et change un discours et un poème de force. L’affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve‑t‑il plus juste la cause qu’il plaide! Combien son geste hardi la fait‑il paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence ! Plaisante raison qu’un vent manie et à tout sens !

Annonce de plan linéaire :

Dans un premier temps, de « C’est cette partie dominante dans l’homme » à « une satisfaction bien autrement pleine et entière« , Pascal donne une définition philosophique et théologique de l’imagination.

Dans un second temps, de « Les habiles par imagination se plaisent » à « Plaisante raison qu’un vent manie et à tout sens !« , Pascal va traquer l’imagination dans différentes situations pour en montrer toute la supercherie.

I – Une définition de l’imagination

De « C’est cette partie dominante dans l’homme » à « une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison.« 

A – Une définition de l’imagination comme source d’erreur

Pascal propose d’emblée au lecteur de définir l’imagination avec l’emploi de l’expression « C’est » : « C’est cette partie dominante« 

Par le déictique «cette» et le terme « partie » (« c’est cette partie de l’homme« ), le philosophe invite le lecteur dans une anatomie de l’âme. Comme un chirurgien, il ouvre le monde intérieur de l’homme pour en isoler une « partie« .

La périphrase péjorative «cette maîtresse d’erreur et de fausseté;» donne le ton du regard porté sur l’imagination : il s’agit d’un regard profondément critique.

Le champ lexical de la tromperie ( «erreur»,«fausseté», «fourbe», «mensonge», «fausse») montre que, dans un XVIIème siècle profondément influencé par Descartes, l’imagination est vue comme une entrave à la méthode pour parvenir à la vérité.

B – L’imagination est équivoque

Le problème soulevé par Pascal est que l’imagination est « fourbe » car elle n’est pas de manière univoque du côté du faux, ce que souligne l‘antithèse « vérité / mensonge » : « elle serait règle infaillible de vérité si elle l’était infaillible du mensonge.« 

L’antithèse entre « vrai » et « faux » («marquant du même caractère le vrai et le faux» ) suggère également le caractère ambigu et fuyant de l’imagination.

L’imagination est ainsi l’allégorie de l’équivoque que rejette le 17ème siècle épris d’unité et de vrai.

On retrouve cette opposition dans l’antithèse entre «fous» et «sages » : l’imagination réduit à néant la distinction entre sagesse et folie car elle domine autant les uns que les autres (« Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages » )

Pascal oppose ensuite l’imagination et la raison.

C – L’imagination domine la raison

Pascal fait de l’imagination et de la raison des allégories car il représente ces deux idées abstraites sous une forme concrète. Ainsi, l’imagination est représentée comme une « superbe puissance ennemie de la raison » et la raison crie comme une personne. Ces allégories rendent son discours plus compréhensible et imagé.

Pascal représente alors le monde intérieur comme un théâtre tragiques’affronte la raison et l’imagination.

L’expression «La raison a beau crier» fait de la raison une victime de tragédie tandis que l’imagination a le statut de destin implacablel’imagination a grand droit de persuader les hommes»).

Le champ lexical de la domination («superbe puissance», «se plaît»,; «contrôler», «dominer», «elle peut en toutes choses») donne à l’imagination la force de la fatalité.

L’imagination exerce un empire absolu sur l’homme et sur la raison comme le suggère la périphrase «superbe ennemi de la raison» et le verbe «se plaît» qui souligne sa toute-puissance.

Ce statut dominant de l’imagination s’oppose au rationalisme du XVIIème siècle. Pascal en déplore naturellement le pouvoir exercé sur l’homme.

D – L’imagination, trace du péché originel

Pascal souligne que l’imagination « a établi dans l’homme une seconde nature« .

L’expression de «seconde nature» reprend la théologie des deux ordres chez Pascal : l’ordre de la grâce auquel correspond la pure nature et l’ordre de la nature auquel correspond la nature souillée par le péché originel.

L’imagination serait donc la marque de cette nature souillée par le péché originel qui empêche d’accéder à la vérité.

Pour Pascal, l’imagination est le règne de la contradiction et des paradoxes comme le montre l’accumulation d’antithèses «Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains , ses malades, ses riches, ses pauvres(…) ses fous et ses sages».

Cette accumulation s’inspire d’une esthétique baroque qui suggère l’inconstance du monde, et l’incapacité à se fixer dans la vérité.

La répétition du sujet « Elle«  (l’imagination) en début de phrase («Elle a … Elle fait croire …Elle suspend….Elle les fait sentir…Elle a ses fous») montre que l’imagination est la véritable maîtresse de l’homme.

Elle coupe même l’homme du monde comme le suggère la gradation «Elle fait croire, douter, nier la raison».

Le polyptote «sens», «sentir» (« Elle suspend les sens, elle les fait sentir » ) témoigne que l’imagination prend la maîtrise sur la raison de l’homme grâce au pouvoir des sens.

Le comparatif «satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison» atteste que l’homme a choisi la voie de l’illusion et du péché plutôt que celle de la raison et de la vérité car l’imagination est plus séduisante et apporte une satisfaction immédiate.

II – Pascal traque l’imagination dans différentes situations

De « Les habiles par imagination se plaisent » à « Plaisante raison qu’un vent manie et à tout sens ! » .

A – L’imagination : un instrument de réussite à la cour et à la ville

Pascal compare les hommes menés par l’imagination (« les habiles par imagination » ) et ceux conduits par la raison (« les prudents » ) dans un balancement permanent : «Les habiles se plaisent tout autrement que (…) Ils / les autres (…)».

La répétition du verbe plaire renforce le parallélisme entre ces deux types de personnes.

Pascal révèle que l’imagination est un instrument d’intégration dans la vie de cour et à la ville.

Ainsi, l’imagination est liée au champ lexical du plaisir : « plaire » , « gaieté » , « rend heureux » , mais aussi de la notoriété : «réputation» , «respect» , «vénération» , «grands».

L’imagination est donc un instrument du plaisir et du prestige social, mais elle n’instruit pas, alors que l’idéal classique du XVIIème siècle est fondé sur un mélange des deux principes, selon la devise « plaire et instruire » .

B – L’imagination, opposé à l’idéal de l’honnête homme

De surcroît, l’imagination relève de la soif de conquête comme le montre le champ lexical du pouvoir: «empire», «hardiesse», «confiance», «avantage», «faveur».

Au rebours de l’honnête homme qui est conduit par la raison, l’homme guidé par son imagination est assimilable à l’homme de cour, l’homme intrigant.

En moraliste du grand siècle, Pascal réalise un portrait en action à travers le personnage du magistrat comme le suggère le déterminant démonstratif déictique «ce magistrat».

Le champ lexical de la philosophie («vieillesse», «raison», «pure», «sublime», nature») laisse entendre que ce magistrat est guidé par un jugement clair et distinct, dicté par l’expérience.

Pascal nous invite à la représentation de ce magistrat par les déictiques «Voyez-le», «Le voilà».

Mais par une question rhétorique et ironique, Pascal souligne que l’imagination peut également s’emparer d’un tel personnage (« je parie la perte de la gravité de notre sénateur » ).

Il suffit en effet au prédicateur d’un « tour de visage bizarre« , ou d’un visage « mal rasé » pour que le magistrat devienne sourd aux «grandes vérités qu’il annonce».

La situation est d’autant plus inquiétante que le verbe « annoncer » met le lecteur dans une perspective religieuse (on annonce normalement la bonne nouvelle, la vérité).

L’imagination détourne donc de la foi comme le souligne le champ lexical de la religion («sermon», «dévot», «solidité», «ardeur», «charité» ).

Pascal pointe ici un problème sur la transmission de la vérité. Il reproche aux hommes d’être plus sensible à la rhétorique qu’à la parole elle-même.

Ainsi, le champ lexical du défautenrouée», «bizarre», «mal rasé», «barbouillé») vient détourner de la vérité (« les grandes vérités qu’il annonce » ).

Pascal se moque de l’auditoire qui se laisse divertir par l’apparence, par les images, par le superflu alors que le prédicateur lui donne l’occasion du rachat.

D – L’imagination soumet également le philosophe

Pascal souligne également l’empire de l’imagination sur celui qui devrait en être le plus épargné: le philosophe.

Il imagine «Le plus grand philosophe du monde sur une planche» , plaçant ainsi le personnage du philosophe dans une situation expérimentale.

La structure syntaxique de la phrase rappelle d’ailleurs un protocole scientifique avec :

♦ L’hypothèse : « S’il y a en dessous un précipice » ;
♦ L’opposition : « Quoique sa raison le convainque de sa sûreté » ;
♦ La conclusion au futur : « son imagination prévaudra » .

La position du philosophe sur une planche est cocasse et décalée. Il semble s’agir d’un clin d’oeil à l’Apologie de Raimond Sebond dans les EssaisMontaigne montre le rôle trompeur de l’imagination pour la perception de la vérité (Essais, II, 12 «Qu’on loge un philosophe …») .

Le registre comique est accentué par le décalage entre le philosophe, homme de raison, et sa soumission physique à l’imagination « sans pâlir et suer

Pour finir, Pascal déplore la soumission de notre raison à nos sens («vue», «ton de la voix») aux sensations («affection», «haine») et à l’aviditébien payé»).

L’imagination masque le vrai comme le montre le champ lexical de l’apparence : «hors des gonds», «change (…) de force», «change la justice de face», «dupés», «apparence», «vent», «à tous sens».

Pire, elle nous détourne de la justice (« changent la justice de face » ), ce qui rapproche ce texte des pensées de Pascal sur la justice : «Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.»

Pascal, fragment Imagination : conclusion

Pour Pascal, l’imagination est pourvoyeuse d’erreur et éloigne de Dieu. Elle est opposée à la modération et à la raison, et détourne donc l’homme de lui-même.

Cette vision de l’imagination n’a rien de surprenant au XVIIème siècle, grand siècle rationaliste.

Au XIXème siècle, les romantiques verront au contraire dans l’imagination une manière de retrouver le sens de Dieu, inversion des valeurs qui montre le retournement philosophique issu de la Révolution française.

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