« Je vis, je meurs » de Louise Labé : lecture analytique

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je vis je meurs commentaireVoici une analyse du poème « Je vis, je meurs » de Louise Labé.

« Je vis, je meurs » de Louise Labé, introduction

Au XVIe siècle, l’amour devient un thème prédominant en poésie, et l’œuvre de Louise Labé ne fait pas exception à cette tendance.

Sous l’influence de Pétrarque, poète italien, l’utilisation du sonnet, forme alors tout juste inventée, se répand dans les milieux littéraires.

Louise Labé, issue d’un milieu bourgeois de Lyon, se fait connaître principalement par la publication en 1555 de ses recueils Débat de folie et d’amour et Elégies et sonnets, dont est tiré « Je vis, je meurs », un sonnet en décasyllabes.

Si le thème du poème est classique pour l’époque (plaintes de l’amant(e) qui subit les tourments de l’amour), Labé parvient à le traiter de manière originale en tirant parti de la forme poétique.

Questions possibles sur « Je vis, je meurs » à l’oral de français :

♦ Comment la construction du sonnet permet-elle de mettre en valeur le thème choisi ?
♦ Qu’est-ce qui fait l’originalité de ce poème « je vis, je meurs » ?
♦ Quels procédés utilise Louise Labé pour traiter le thème du sentiment amoureux ?
♦ Qu’est-ce qui fait l’universalité de ce poème ?
♦ Quels sont les registres dans « je vis, je meurs » ?

Annonce du plan

Nous verrons que ce sonnet est tout d’abord une complainte (I), avant d’aborder la vision de l’Amour dépeinte par Louise Labé (II). Nous finirons en remarquant ce qui fait la profonde originalité de ce poème (III).

I – La complainte amoureuse

A – Un sonnet lyrique

Le premier vers débute par « je », ce qui préfigure le registre lyrique qui domine le poème. On retrouve d’ailleurs la première personne dans chacun des 14 vers de ce sonnet, sous la forme de pronoms personnels sujet (« je ») ou objet (« me ») ou d’adjectif possessif (« mon »).

Un autre sujet apparaît cependant à partir du premier tercet : l’« Amour », personnifié par la majuscule. Le sonnet devient alors un pas de deux, et le lecteur comprend que c’est l’Amour qui mène la danse (« Ainsi Amour inconstamment me mène », v. 9).

Le sonnet est donc centré sur l’expression des sentiments amoureux personnels, dans la tradition de Pétrarque, en décrivant les effets contradictoires de l’amour que subit bien malgré elle la poétesse («  joie » v. 4 et 12, « plaisir » v. 6, « bien » v. 7, qui s’opposent à « ennuis » v. 4, « tourment » v. 6, « douleur » v. 10).

On peut qualifier le sonnet « je vis, je meurs » d’élégiaque, car il laisse paraître un sentiment de mélancolie lié aux tourments que provoque l’amour chez son auteure, comme en attestent les sensations extrêmes qu’elle ressent.

B – Un sonnet charnel

La complainte se concentre d’abord sur le corps et les sensations physiques provoquées par l’amour, prédominantes dans les quatrains :
♦ La chaleur (« me brûle« , « chaud extrême » ) et le froid (« froidure » );
♦ Le mou (« trop molle » ) et le dur (« trop dure » );
♦ Le sec (« je sèche » ) et le mouillé (« me noie » , « larmoie » , « verdoie » ).

Ces sensations sont pour la plupart négatives, illustrant une souffrance certaine : « je meurs : je me brûle et me noie » , « grands ennuis » , « je larmoie » , « maint grief tourment » , « douleur« ‘ , « malheur » .

Louise Labé semble décrire une série de tortures physiques qui reflètent en réalité les désordres intérieurs, dont la cause est annoncée au vers 9, premier vers du premier tercet : « Ainsi Amour inconstamment me mène« .

Ce vers 9 marque une rupture dans le sonnet : une fois le tortionnaire identifié, il s’agit davantage d’analyser les mouvements de l’âme que les sensations physiques. De la souffrance charnelle naît la réflexion sur le sentiment amoureux et ses effets.

Transition : Si le « je » et ses sensations semblent être au centre de ce poème « je vis, meurs », c’est avant tout les effets d’un sentiment amoureux passionnel qui sont décrits ici.

II – L’Amour Passion

A – La dualité de l’Amour

Louise Labé dépeint dans « je vis, je meurs » un amour extrême, symbolisé par les contradictions que l’on retrouve tout au long du sonnet.

Les nombreuses antithèses des premiers quatrains (chaud/froidure, molle/dure, ennuis/joies, ris/larmoie, plaisir/grief, s’en va/dure, sèche/verdoie) témoignent de la souffrance de l’Amante ainsi que de l’imprévisibilité de ses tourments, qui sont inconstants (« Ainsi Amour inconstamment me mène » v. 9).

On remarque par ailleurs la présence d’hyperboles, présentes par l’intermédiaire des adjectifs ou des adverbes, qui renforcent l’idée d’un amour grandiose et trop excessif pour être supporté : « extrême » (v. 2), « trop/trop » (v. 3), « maint » (v. 6), « à jamais » (v. 7).

Il n’y a pas de juste milieu, et l’Amour n’est pas un sentiment mais une multiplicité de sensations et de mouvements de l’âme.

Les sensations et les sentiments contraires sont à la fois opposés et simultanés (« et » v. 1, « en endurant » v. 2, « et trop… et trop... « v. 3, « Tout à coup« , v. 5), traduisant la soumission et la passivité de la poétesse qui ne maîtrise plus ce qui se passe et qui doit se contenter de décrire (« Sans y penser » v. 11).

B – La confusion du sujet

Les antithèses symbolisent autant le caractère extrême de l’Amour Passion que la confusion du sujet.

Tout comme la vie et la mort se confondent (« Je vis, je meurs » ), l’instantanéité et l’éternité se mêlent (« Tout à coup » / « à jamais » ). La temporalité n’existe plus pour l’Amante, qui se perd dans sa passion.

Plus que sujet, elle est objet, comme en témoignent les marques de la première personne : « je » apparaît bien souvent sous la forme de complément d’objet (« me mène » , « me remet » ).

Son raisonnement logique en pâtit, comme en témoignent les nombreuses occurrences de parataxe (juxtaposition des propositions sans lien logique). Le meilleur exemple reste sans doute le premier vers : « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie » : la virgule et le point-virgule permettent d’enchaîner les propositions sans proposer de lien logique.

Le sujet perd pied dans le monde d’illusions que crée le sentiment amoureux. La seule certitude, amenée par l’adverbe « Ainsi » au début du premier tercet, est paradoxalement l’inconstance de l’Amour. Le sujet, lui, pense et croit, mais n’affirme pas (« quand je pense » v. 10, « quand je crois » v. 12).

C – Un sentiment sans fin

De la confusion temporelle naît le sentiment que l’Amour n’a ni début ni fin : les éléments funestes qui rappellent la mort (« grief tourment » v. 6, « plus de douleur » v. 10, « malheur » v. 14) se mêlent ainsi à l‘idée de renaissance qu’évoque le verbe « verdir » v. 8, lié au renouveau de la végétation au printemps.

Le sonnet est lui-même construit comme un cycle. Ainsi, le dernier vers « Il me remet en mon premier malheur » , indique l’idée d’une répétition (re-met) et d’un retour à l’origine (« premier » ).

Par ailleurs, ce vers rime avec la première partie du premier vers, « Je vis, je meurs » , et cet écho sonore permet de lier la fin et le début du poème.

Transition : Louise Labé a su adapter la forme du sonnet au thème : l’Amour passion qui entraîne le sujet dans un cycle infernal. Mais cette structure circulaire est loin d’être la seule originalité du poème.

III – Un sonnet profondément original

A – Par son rythme et sa diversité stylistique

Si la thématique de l’union des contraires se répète tout au long du sonnet, il convient de noter que Louise Labé utilise une grande variété de procédés.

Les antithèses du premier quatrain sont par exemple liées par :
♦ Une simple virgule (je vis, je meurs);
♦ Une conjonction de coordination (« et » );
♦ Un verbe au gérondif (« en endurant » );
♦ Une double coordination (« et trop… et trop… » );
♦ Un adjectif (« entremêlés de » ).

Cette variété permet d’éviter la monotonie, tout comme la succession de mots ou de groupes de mots courts : les mots monosyllabiques sont très présents (je/vis/je/meurs, et/me/noie, mon/bien/s’en/va/et/à/jamais/il/dure), ce qui permet une diction rapide qui accentue l’effet de martèlement, écho de la souffrance de l’auteure.

Mais certains vers plus longs (« J’ai de grands ennuis entremêlés de joie » , v. 8) viennent casser ce rythme rapide. Cet enchaînement traduit, par son irrégularité, l’instabilité émotionnelle du « je » .

B – Par sa construction

À la toute première lecture, les deux quatrains ont de quoi surprendre. En effet, le lecteur n’a aucun élément pour comprendre à quoi sont dus ces états si contradictoires qui agitent le « je » du poème.

L’explication n’arrive qu’au premier vers du premier tercet, introduit par « Ainsi » : c’est l’amour qui mène le jeu et qui est la cause de tous ces troubles.

Les quatrains prennent la forme d’une devinette, forme en vogue au Moyen-Âge et qui souvent se construisait par une succession de phrases énigmatiques commençant par « je » . L’auditoire devait ainsi deviner qui était ce « je » , mais ici Louise Labé surprend le lecteur en taisant son identité et en se focalisant sur l’origine de ses tourments.

Les tercets, qui se concentrent sur la souffrance morale plus que physique (douleur, peine, joie, malheur), annoncent la tendance analytique des romans du XVIIème siècle, notamment La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, dans laquelle une protagoniste féminine, en proie à une passion amoureuse destructrice, analyse en détail ses sentiments.

C – Par sa situation d’énonciation

Il n’y a que deux protagonistes dans ce sonnet : « je » et l’Amour, allégorisé par la majuscule.

Étonnamment, il n’est nulle part fait mention de l’être aimé. Alors que les poèmes d’amour sont souvent une adresse à l’objet de cet amour, ici le sujet (du sonnet, des verbes) est « je » . Le lecteur n’a aucun indice sur la personne qui inspire cet état.

Autre fait étonnant : alors que le poème est écrit à la première personne par une femme, il n’y a aucune trace du féminin, que ce soit dans les pronoms ou dans les adjectifs. Louise Labé prend soin d’écrire « je meurs » , « je sèche » et non « je suis morte » , « je suis sèche » .

Ce choix, ainsi que l’absence de destinataire, confère au sonnet une grande universalité malgré la marque de la première personne et l’expression de sentiments très personnels.

« Je vis, je meurs », conclusion :

Sous l’effet de cette passion amoureuse intense, le sujet du poème devient objet, en proie à des sensations et des sentiments extrêmes sur lesquels il n’a pas de prise.

En unissant les contraires, en omettant le destinataire de cette passion, Louise Labé a su rendre les contradictions du sentiment amoureux de manière à ce que tout lecteur puisse le reconnaître, et se reconnaître dans le « je » .

La dimension universelle de ce sonnet le rend très accessible au lecteur contemporain et le démarque de la poésie amoureuse de son temps.

N’oublions pas par ailleurs que Louise Labé est l’une des seules femmes poètes dont on a retenu le nom, ce qui ajoute à l’originalité de son œuvre, personnelle et charnelle.

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Amélie Vioux

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22 commentaires

  • Merci beaucoup, ça m’a été très utile pour mon oral du Brevet 🙂 merci !
    (peut être faudrait il rajouter qu’il y a une allitération en [r], qui fait référence à la dureté du sentiment amoureux ;))

  • Il me plaît de lire ce magnifique poème novateur, aussi me suis-je toujours posé cette question :
    au vers 13, « Et être au haut de mon désiré heur », le mot heur permet-il de fonder un paradoxe de par son homophonie avec le mot « heurt » lors de la lecture ? ou bien invite-t-il (toujours par son homophonie) à souligner le contraste violent entre la joie et la tristesse ?
    Je vous remercierai de me répondre.

  • Tout d’abord aimerais vous remercier, je me sert beaucoup de votre site. J’ai une question comment repondre à l’aide de ce plan à la problématique aussi fermé que « quels sont les registres dans je vis je meurs  » tout en adaptant le plan proposé. J’espère que vous pourez m’aider!

  • c’estr vraiment super comme site internet en plus j’ai trouvée presque tout ce que je voulais chercher merci beaucoup je reviendrais !!!

  • Bonjour tout d’abord pour tous vos commentaires de texte.
    Vous parlez dans le grand 1 petit À d’une personnification de l’Amour grâce à la majuscule mais ne serai ce pas une allégorie ? En effet l’amour est une idée abstraite contrairement à la personnification dans laquel on prête des qualités humaines à des êtres inanimés ou à des animaux.

  • Bonjour tout d’abord je voudrai vous remercier pour vos analyses extrêmement pertinentes et qui m’aide beaucoup pour l’oral du bac.
    Je voudrais juste vous signalez que tout au long de cette analyse vous écrivez « tout à coup » au lieu de « tout à un coup », peut être que ce n’est pas très important mais je tenais tout de meme à vous le faire remarquer.
    Encore merci pour tout le travail que vous faites.

  • Bonjour Amélie ! Je passe l’oral dans une semaine et ce poème est l’un des textes que je dois preparer. J’aimerai vous poser une question car je n’arrive pas à cerner les registres de ce poème à part le registre lyrique. En effet la problematique « Quels sont les registres dans ce poème? » me pose problème. Quel serait le plan idéal pour cette problematique ? Merci d’avance pour votre aide.

  • Merci pour vote site exceptionnel. Je suis isncrite à votre formation gratuite et j’ai déjà vu les 2 premières vidéos qui sont géniales, mais quand vais-je recevoir les suivantes ? Je trouve vos cours très enrichissants.

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