Tristesse, Musset : analyse

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Mélancolie d’Edward Munch

Voici une analyse du poème « Tristesse » d’Alfred de Musset (1840).

Tristesse, Musset, introduction

Alfred de Musset est un poète et dramaturge français du mouvement romantique.

Il a une vie de « dandy débauché » et rencontre le succès avec ses pièces Les caprices de Marianne puis Lorenzaccio en 1834.

Depuis la publication des Confessions d’un enfant du siècle, il incarne la génération romantique en proie au Mal du siècle, tiraillée entre espoir et désillusions.

Devenu dépressif et alcoolique suite à des échecs amoureux notamment après sa relation houleuse avec George Sand, il publie des poèmes inspirés par le romantisme comme « Tristesse » en 1840.

Questions possibles à l’oral de français sur « Tristesse » de Musset

♦ En quoi ce poème relève-t-il du mouvement romantique ?
♦ Le poème « Tristesse » est-il triste ?
♦ Comment s’exprime la mélancolie dans ce poème et quels sont ses remèdes?

Annonce du plan

Nous verrons que la mélancolie du poète (I) trouve son issue dans la réflexion philosophique, la foi et l’écriture littéraire (III)

I – L’expression de la mélancolie

A – Un passé idéalisé

Dans le premier quatrain de « Tristesse », Alfred de Musset revient sur son passé. Il s’agit d’un passé idéalisé, placé sous le signe de la vitalité.

Les moments de bonheur sont évoqués avec le champ lexical de la vigueur : « force », « vie » « amis », « gaieté », « génie ».

Les termes à la rime « vie » / « génie » ainsi que « gaieté » / « fierté » montre la force créatrice du poète. Il apparaît plein d’énergie et de vigueur créatrice.

Les déterminants possessifs (« ma force », « ma vie », « mes amis », « ma gaieté » « mon génie ») suggèrent une unité passée et une pleine possession de soi et de ses moyens.

Mais cette plénitude poétique est une plénitude révolue.

B – Une mélancolie tragique

Le poème « Tristesse » est en effet une élégie : Alfred Musset y évoque la perte de son passé.

Les termes faisant référence au passé heureux suivent le verbe « J’ai perdu » répété deux fois aux vers 1 et 3.

Les mots consacrés à la vie et à la vigueur sont ainsi niés en même temps qu’ils sont prononcés :
♦ « J’ai perdu ma force et ma vie »
♦ « J’ai perdu jusqu’à la fierté
 »

Les déterminants possessifs qui montrent l’attachement du poète à la vie renforcent du coup l’impression de dépossession de soi et de souffrance.

L’hyperbate (« et ma vie, / Et mes amis et ma gaieté ») donne un effet cumulatif à cette perte qui apparaît encore plus tragique.

L’adverbe « jusqu’à » au vers 3 accentue aussi la sensation de dépossession : « J’ai perdu jusqu’à la fierté« .

Les mots appartenant au champ lexical de la tristesse sont placés à la fin de chaque strophe, ce qui renforce leur importance : « dégoûté » , « sentie », « pleuré » .

Les passés composés (« J’ai perdu », « J’ai perdu », « j’ai connu », « avoir quelquefois pleuré ») soulignent la perte du poète et l’effet du temps destructeur.

Transition : La mélancolie est due à une fragmentation entre un passé idéalisé et un présent douloureux.

C – Un monde illusoire

Dans « Tristesse », Alfred Musset dénonce un monde illusoire et trompeur.

Il utilise tout d’abord le champ lexical de l’illusion : « faisait croire », « J’ai cru », « dégoûté », « tout ignoré ».

Pour le poète, le monde est trompeur : il n’existe aucune certitude.

Les anaphores créent un effet de miroir baroque qui symbolise un univers de duplicité et d’illusion :
♦ « J’ai perdu »/ »J’ai perdu »;
♦  « ma force »/ « ma vie »;
♦ « Quand » / « Quand » ;
♦ « mes amis » / « une amie
 »

La rime « Vérité » / « dégoûté » montre cet état d’acédie où le poète perd le goût du monde, et se détache progressivement de la réalité en dérivant dans un état de mélancolie.

Transition : Le poète transcende cette mélancolie par la méditation

II – L’antidote à la mélancolie par la foi et la poésie.

 A – Une méditation philosophique

Le champ lexical de la sensibilité (« amis », « gaieté », « sentie ») est peu à peu dépassé par des termes plus abstraits et conceptuels appartenant un champ lexical de la philosophie : « fierté », « génie », « Vérité », « éternelle », « monde ».

Le poème « Tristesse » devient alors une méditation philosophique qui permet au poète de dépasser sa mélancolie par la raison.

A l’incertitude des premières strophes succèdent les certitudes avec :
♦ L’article défini « la » dans « la Vérité » qui suggère la clarté d’un chemin retrouvé
♦ l’utilisation du verbe « être » : « elle est éternelle », « Le seul bien qui me reste au monde / Est quelquefois d’avoir pleuré »).

Le poète se libère des illusions et vise à saisir l’essence des choses comme le ferait un philosophe.

Le champ lexical de la connaissance (« Vérité », « comprise », « ignoré », « parle », « réponde ») montre que le poète souhaite se raccrocher au monde par la raison et la foi.

B – Une confession religieuse

Alfred Musset prend des accents religieux dans ce poème.

Le terme « Ici-bas » au vers 11 (« Ici-bas ont tout ignoré« ) fait référence à la religion et rappelle la théologie de Saint-Augustin dans les Confessions ou de Pascal dans les Pensées.

Comme dans une confession, Musset dénonce son propre orgueil.

L’omniprésence de la première personne dans les deux quatrains sature le texte de la première personne :

J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand jai connu la Vérité
Jai cru que c’était une amie;
Quand je l’ai comprise et sentie,
Jen étais déjà dégoûté.

L’allitération en [j] dans le 2ème quatrain démultiplie encore l’expression du « je ».

Mais le vers 8, « J’en étais déjà dégoûté » semble faire écho à la phrase de Pascal selon lequel « le moi est haïssable » et qu’il s’agit de s’en purger.

Le champ lexical de la perte (« perdu », « perdu jusqu’à », « se sont passés » « Le seul bien ») montre que le poète s’est en effet dépouillé.

Le vers 9 qui commence par « Et pourtant » marque une rupture : le poète passe de l’égotisme à la foi, de l’illusion à la certitude.

Musset rompt ainsi le soliloque avec lui-même pour établir une communication avec Dieu : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde ».

L’asyndète (absence de liaison entre les deux propositions) renforce le caractère évident voire impératif de ce dialogue avec Dieu comme le suggère aussi le mode impératif « il faut que » : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde ».

 C – La voie de l’écriture littéraire

Comme un alchimiste, Musset transforme sa mélancolie en création poétique.

Le titre du poème annonce la tristesse. Mais cette tristesse ne tarit pas l’inspiration du poète. Au contraire, c’est la tristesse qui nourrit l’inspiration poétique :
« Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré
. »

Cette tristesse au cœur de l’âme romantique transparaît dans le registre lyrique mais aussi dans la musicalité du poème.

Par exemple, les allitérations en [k] font entendre comme un battement de cœur derrière les bruissements superficiels du « je »:

Quand j’ai connu la vérité,
J’ai cru que c’était une amie
Quand je l’ai comprise et sentie
(…)

Dieu parle, il faut qu‘on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Musset vient faire écouter le cœur de l’âme romantique qui est le véritable centre du lyrisme.

Tristesse, Musset, conclusion

Alfred Musset dans « Tristesse » montre un véritable trajet poétique.

Du dégoût du moi et du mal de vivre, il passe à une reconquête poétique grâce à la pensée, à la foi pour retrouver le sens d’un lyrisme nouveau fondé sur la musicalité.

Cette opposition entre la mélancolie et la vigueur poétique contient en germe l’opposition baudelairienne entre le spleen et l’idéal.

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Amélie Vioux

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