Voyage au bout de la nuit, Céline, L’arrivée à New York : lecture linéaire

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Voici une analyse linéaire de l’arrivée à New-York de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit (1932) de Louis-Ferdinand Céline.

Voyage au bout de la nuit, L’arrivée à New-York, introduction

Voyage au bout de la nuit est un roman publié en 1932 par Louis-Ferdinand Céline.

Cette œuvre largement autobiographique raconte à la première personne les errances de Bardamu, antihéros médiocre et cynique confronté à la cruauté et à la violence absurdes du monde, qu’il subit et dont il témoigne.

Louis-Ferdinand Céline révolutionne le roman par son écriture orale et familière, ainsi que par sa vision nihiliste de la société.

Bardamu quitte malade l’Afrique coloniale, dont il a constaté les violentes injustices, et se fait engager comme galérien pour aller en Amérique. (Voir le résumé de Voyage au bout de la nuit)

Dans cet extrait, il raconte son éprouvante arrivée à New York.

Problématique

Comment la description dépréciative de New York par Bardamu déconstruit-elle le mythe d’une Amérique accueillante et terre des possibles ?

Extrait étudié

Pour une surprise, c’en fut une. À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.
On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n’en pouvait rigoler nous du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s’engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d’une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards.
Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. « C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.
J’aurais peut-être pu essayer, comme d’autres l’avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C’est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C’est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j’avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre.

Voyage au bout de la Nuit, Louis-Ferdinand Céline

Plan linéaire

Dans une première partie, du début de l’extrait à « faire peur », Bardamu décrit New York, « ville debout » et repoussante.

Dans une deuxième partie, de « On en a donc rigolé comme des cornichons » à « avides et cornards », Bardamu et les autres immigrés subissent le froid en abordant New York.

Enfin, dans une troisième partie, de « Pour un miteux » à la fin de l’extrait, Bardamu explique par le culte de l’argent le rejet des miséreux par les Américains.

I – New York décrite comme une ville repoussante

(Du « Pour en surprise, c’en fut une » à « raide à faire peur. »)

Le chapitre s’ouvre sur un effet d’attente en évoquant avec insistance une surprise : « Pour une surprise, c’en fut une. »

Cet effet d’attente est accentué par le groupe prépositionnel « À travers la brume », l’adjectif « étonnant », l’adverbe d’intensité « tellement » et les adverbes temporels « soudain » puis « d’abord » qui retarde la description de cette surprise.

Le spectacle qui s’offre aux galériens est inouï : « c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire ».

On retrouve un vocabulaire propre au registre merveilleux : « surprise » , « étonnant » , « nous nous refusâmes à y croire » .

Cette fascination unanime suggère qu’un spectacle idyllique s’offre à Bardamu.

Néanmoins, la platitude du terme « les choses » contredit cet horizon d’attente et ramène le lecteur à une réalité plus prosaïque.

En effet, les galériens se mettent «à bien rigoler, en voyant ça ». L‘effet d’attente est toujours à son apogée, avec le déictif dépréciatif « ça » qui permet encore une fois de retarder le moment où la surprise sera décrite.

Au paragraphe suivant, Bardamu explique cette hilarité en s’adressant directement au lecteur à l’impératif, ce qui participe à l’oralité du roman : « Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. »

Le déterminant possessif « leur ville » met d’emblée à distance la ville que les galériens sont censés intégrer, ce qui annonce déjà le rejet qu’ils subiront.

La répétition de l’adverbe «debout» crée un effet d’insistance renforcé par l’adverbe hyperbolique « absolument droite ».

New York fait donc rire par sa verticalité, qui contraste avec ce que connaissent les galériens dont fait partie Bardamu : « On en avait déjà vu nous des villes bien sûr ».

Le narrateur vante son expérience par la locution adverbiale « bien sûr » et les adjectifs mélioratifs « belles » et « fameux » qui font entendre une voix populaire.

Ce « chez nous », qui s’oppose à l’Amérique, se caractérise par ses « villes couchées », « qui s’allongent », « attendent le voyageur ».

Les villes européennes sont ainsi personnifiées en femmes sensuelles, attendant de s’offrir au voyageur : « elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur » .

L‘asyndète (absence de mots de liaison) permet de déployer avec fluidité le tableau ondulant de ces femmes : « elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur » .

Louis-Ferdinand Céline crée une image érotique, à travers le champ lexical de la sensualité : « belles » , « couchées » , « attendent » , « se pâmait » .

En revanche, New York constitue une antithèse à ce topos érotique, ce qu’exprime la locution adverbiale « tandis que » qui marque l’opposition et le pronom dépréciatif « celle-là » qui met la ville de New-York à distance: « tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non »

La ville américaine ne se caractérise pas par sa sensualité féminine, mais au contraire par sa verticalité phallique : « elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. »

La répétition de l’adjectif « raide » insiste sur cette rigidité qui suscite le rejet.

Le registre vulgaire de « pas baisante du tout » exprime un dégoût et une déception qui contredit l’espérance que l’Amérique est censée incarner.

Par la personnification masculinisante, Bardamu signifie que l’Amérique est loin d’être une terre d’accueil. Elle rejette ceux qui l’abordent.

II – Bardamu et les autres immigrés subissent le froid en abordant New York

(De « On en a donc rigolé » à « avides et cornards. »)

La comparaison familière « comme des cornichons » assimile les galériens à des maris trompés, trompés dans leurs attentes et leurs espérances.

Leur rire cache leur déception, voire leur crainte face à la raide Amérique, d’où cette insistante répétition sur le rire suscité : « rigolé » , « drôle » , « rigoler » , « spectacle » .

Ce rire est tout ce qui reste aux galériens, et il leur est pourtant arraché par la rigueur du froid: «on n’en pouvait rigoler nous du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large».

La polysyndète en « et » (=répétition de la conjonction de coordination « et ») intensifie l’emprise du froid qui s’engouffre dans leur corps et la ville : « une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante » .

Les termes employés pour décrire la ville de New-York sont dépréciatifs et familiers : « crevasses » , « muraille » , « une eau caca » .

La ville forme un environnement hostile et laid.

Bardamu joue sur la polysémie du terme « galère » qui désigne une embarcation mais aussi, plus familièrement, une situation précaire : « Notre galère tenait son mince sillon » .

Il n’hésite pas à recourir à une métaphore scatologique, avec les termes « sillon » et « eau caca » qui assimilent New York à un arrière-train.

L’allitération en dentale « toute barbotante » rajoute au prosaïsme du texte.

III – Le rejet des miséreux par les Américains

(De «Pour un miteux;» à «en même temps que la fièvre»)

Aux rigueurs du climat, s’ajoute l’exclusion sociale que subit le «miteux» et le « galérien » . Bardamu mobilise ironiquement des termes dépréciatifs pour se définir.

Le narrateur fait preuve d’une cynique lucidité :les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe» car ils les considèrent comme des «anarchistes», et n’acceptent que les étrangers qui ont de l’argent.

La violence du rejet est exprimée par la locution adverbiale « du tout » qui vient renforcer la négation totale :  » les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens » .

Bardamu explique ce rejet des miséreux dont il fait partie par le culte de l’argent, comme en témoigne le champ lexical de l’argent qui se déploie dans les deux derniers paragraphes : « pognon » , « argents » , « fils à Dollar » , « on fait des fortunes » .

 L’argent est une véritable religion pour les gens d’Amérique, comme le souligne ironiquement l’expression « fils à Dollar» forgée sur l’expression chrétienne « Fils de Dieu ».

Ce groupe nominal assimile la devise américaine du dollar à une divinité, d’où la lettre capitale à Dollar.

Bardamu pointe une religion matérialiste qui nie à l’humain son importance.

Ce culte de l’argent explique la plaisanterie de Bardamu, qui envisage de répéter comme une prière «Vive Dollar! Vive Dollar!» comme on dirait « Vive Dieu !  » ou « Vie le Roi ! », afin de se faire accepter par cette société matérialiste.

Bardamu évoque ensuite «le rêve américain» incarné par les selfmade men qui «on fait des fortunes» en Amérique. Il mobilise ici le mythe du « rêve américain » selon lequel toute personne courageuse et travailleuse peut faire fortune en Amérique.

Mais Bardamu précise qu’il ne s’agit que récits sûrement fictifs : «C’est pas sûr,ça se raconte seulement.» Le narrateur moque le mythe d’une Amérique égalitaire et terre de tous les possibles.

Bardamu n’en espère pas moins tirer profit de l’Amérique par «une autre combinaison». Cette mention sucsite un effet d’attente chez le lecteur.

Le narrateur Bardamu est donc contaminé par ce culte de l’argent qu’il vient pourtant de dénigrer : il veut lui aussi faire fortune.

La fin de la phrase, « en même temps que la fièvre », surprend car il s’agit d’une rupture syntaxique. On nomme cela une anacoluthe. Cette anacoluthe rattrape le narrateur de manière comique car elle rappelle à la fin du passage qu’il n’est qu’un miséreux de plus venant tenter sa chance en Amérique.

L’arrivée à New-York, Voyage au bout de la nuit, conclusion

Nous avons vu que la description dépréciative de New York par Bardamu déconstruit avec cynisme le mythe d’une Amérique accueillante et terre des possibles.

Bardamu idéalise le voyage et l’ailleurs. Mais l’Amérique, loin de se présenter comme une terre accueillante, est symbolisée par New York, ville rebutante, dont l’aspect annonce les difficultés que subira Bardamu.

Ce dernier intègrera en effet le prolétariat ouvrier dont se nourrit le capitalisme libéral.

En moquant New York, Bardamu, et Céline à travers lui, porte un regard dépréciatif sur l’Autre monde, dont il dénonce la modernité et le matérialisme.

Tu étudies Voyage au bout de la nuit ? Regarde aussi :

Voyage au bout de la nuit, incipit : analyse
L’Etranger, camus : incipit
La peste, Camus : incipit
Parcours « Notre monde vient d’en découvrir un autre » associé à « Des cannibales » et « Des coches » de Montaigne.

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Amélie Vioux

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un commentaire

  • bonjour merciii beaucoup pour ce que vous faites cela nous aide beaucoup.
    est ce que vous pouvez faire une explication de texte lineaire de celine un voyage au bout de la nuit sur l’extrait de la page 109 et 110 de « au réveille » jusqu’a

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