Sido, Colette, Car j’aimais tant l’aube : analyse

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Voici une explication linéaire d’un extrait de la partie I de Sido de Colette.

L’extrait étudié va de « Car j’aimais tant l’aube… » à « …cette gorgée imaginaire »

Sido, Colette, car j’aimais tant l’aube, introduction

Sido est un recueil de souvenirs d’enfance publié en 1930 par l’écrivaine Gabrielle-Sidonie Colette.

Celle-ci raconte en première personne les années de sa pré-adolescence dans un village de Bourgogne, son rapport à la nature et à sa mère, Sidonie, dont le surnom Sido donne son titre à l’œuvre. (Voir la fiche de lecture pour le bac sur Sido et Les Vrilles de la vigne)

Sido, figure maternelle, tutélaire (protectrice) et initiatrice, éveille sa fille à la magie du monde sauvage.

Dans ce passage, Colette raconte les promenades solitaires qu’elle faisait à l’aube, très jeune, et le bonheur qu’elle ressentait dans ce contact privilégié avec une nature mystérieuse et à peine éveillée.

Texte étudié

Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demis, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraise, les cassis et les groseilles barbues.

À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…

Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, – « chef-d’oeuvre », disait-elle. J’étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord… Je l’étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour, et de ma supériorité d’enfant éveillé sur les autres enfants endormis.

Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d’avoir mangé mon soûl, pas avant d’avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de deux sources perdues, que je révérais. L’une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L’autre source, presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu’à parler d’elles je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire…

Sido, Colettte (1930)

Problématique

Comment Colette revient-elle dans ce passage aux origines de sa personnalité et de son lien profond et sensuel avec la nature ?

Annonce du plan linéaire

Du début de l’extrait jusqu’à « tout le reste de mon corps », Colette se remémore ce « bain » initiatique d’aube et de brouillard qu’elle prenait en solitaire, au lever du jour.

De « J’allais seule » à « les autres enfants endormis », l’écrivaine nous fait part de la fierté qu’elle retirait sa communion avec la nature, de son sentiment d’un privilège.

Enfin, le dernier paragraphe présente à la fois l’éveil des sens de l’enfant au sein de la forêt et le respect mystique qu’elle éprouve pour la nature.

I – Un bain initiatique d’aube et de brouillard

De « Car j’aimais tant l’aube » à « tout le reste de mon corps »

La fillette qu’est Colette au moment du souvenir se distingue par une passion particulière : surprendre la nature à l’aube : « Car j’aimais tant l’aube, déjà… ».

L’adverbe « déjà » souligne le caractère précoce de cette passion.

L’enfant sollicite le privilège de voir l’aube comme une « récompense » : les expressions « ma mère me l’accordait » et « j’obtenais d’elle » montrent qu’elle en demande l’autorisation.

Le réveil se fait très tôt : « à trois heures et demie », signe d’un moment privilégié.

Le prétexte est la cueillette de baies cultivées dans des « terres maraîchères » : « je m’en allais, un panier vide à chaque bras », « vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues ». L’image de la fillette au panier et l’énumération de fruits rouges dessinent l’image paradisiaque d’une enfance champêtre, heureuse, placée sous le signe de l’abondance.

Le lieu à atteindre est reculé, peut-être difficile d’accès, comme l’indiquent le verbe « se réfugiaient », qui personnifie les « terres », mais aussi leur situation dans « le pli étroit de la rivière ».

Mais c’est surtout la communion avec une nature mystérieuse, encore endormie, qui fait l’attrait de cette promenade, comme en témoigne le champ lexical du mystère : « bleu original« , « confus« , « brouillard » .

Cette promenade est un plongeon dans le silence et l’immobilité de la nature comme le souligne l‘imparfait de description : « tout dormait ».

C’est un bain initiatique : « quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes… ».

La descente est progressive : après les jambes, c’est « mon petit torse ».

Au fur et à mesure que l’enfant se fond dans ce magma confus, ses sens s’éveillent. Ainsi, le brouillard « atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… » : c’est comme si ce brouillard bleu avait un goût (celui des fruits cueillis), un son (le silence de l’aube) et un parfum (celui des plantes dans la fraîcheur de la nuit).

II – La conscience d’un privilège

De « J’allais seule » à « les autres enfants endormis »

Solitaire (« j’allais seule »), sans crainte (« ce pays mal pensant était sans dangers »), la fillette tire une fierté de son accès particulier à la nature.

L’anaphore du présentatif « c’est » et l’usage du démonstratif « ce / cette » dans « c’est sur ce chemin, c’est à cette heure » montrent l’aspect unique de ce moment.

La petite fille se considère comme valorisée par son rapport fusionnel et contemplatif à la nature : « je prenais conscience de mon prix ».

Elle sait que cette expérience possède un caractère magique ou divin, qui dépasse les mots : « cet état de grâce indicible ».

Elle a le privilège d’assister à la naissance du jour, de tisser une « connivence » avec l’éveil du monde : « avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion ».

Le champ lexical de la naissance s’exprime dans la répétition de l’adjectif « premier », l’adverbe temporel « encore » pour le soleil qui, « ovale », est très bas sur l’horizon et le terme « éclosion ».

Le terme « éclosion » est d’ailleurs métaphorique : il fait du soleil un oiseau sorti de l’œuf, et fait écho à l’adjectif « ovale » qui signifie étymologiquement « en forme d’œuf ».

Une cosmogonie (= récit décrivant la naissance du monde) s’ébauche ici.

Le paragraphe suivant s’ouvre avec le point de vue maternel : « elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, – « chef-d’œuvre » ».

Dans le regard admiratif de sa mère, la fillette devient aussi une sorte de soleil à peine éclos qui s’élance sur la colline.

Le surnom « Joyau-tout-en-or » tisse un lien, par la couleur et l’éclat qu’il évoque, avec l’astre.

Colette se souvient avec amusement de ces surnoms et de la beauté que sa mère lui prêtait. Dans « j’étais peut-être jolie », l’adverbe « peut-être » marque un doute qui s’exprime ensuite avec humour : « ma mère et les portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord ».

Pour l’écrivaine, sa beauté était due uniquement à son rapport à la nature. Elle relie ainsi chacune de ses qualités physiques à un élément naturel :
– Sa jeunesse reliée à l’aube : «à cause de mon âge et du lever du jour»
– La couleur de ses yeux, embellie par la verdure : «à cause des yeux bleus assombris par la verdure»
– Sa coiffure un peu sauvage, comme la nature : «des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour».

Cet autoportrait est celui d’une enfant baignée des couleurs de l’aube.

Mais c’est surtout cette « supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis », cette fierté d’être le seul témoin de la naissance du jour qui lui donnent sa plus grande fierté.

III – L’éveil des sens et d’une mystique de la nature

De « Je revenais à la cloche de la première messe » à « gorgée imaginaire« 

Fondue dans le brouillard de l’aube, la fillette connaît un éveil des sens et devient animale.

Avant de revenir au village, rappelée par le tintement de « la cloche de la première messe », elle s’est repue de baies telle un animal sauvage : « pas avant d’avoir mangé mon saoul » .

Elle se compare ensuite au « chien qui chasse seul », animal au flaire affûté, endurant (« pas avant d’avoir décrit un grand circuit »).

L’anaphore de l’expression « pas avant d’avoir » signale sa détermination.

Et comme l’animal, elle a « goûté l’eau de deux sources perdues » qu’elle est seule capable de trouver.

Ces sources sont comme deux divinités cachées au cœur des bois « que je révérais » . Le verbe « révérer » montre le respect mystique que leur porte la fillette.

Les sources sont personnifiées ou animalisées.

Ainsi, la première source est sujet d’un verbe d’action puisqu’elle « se haussait » hors de la terre. L’expression « une convulsion cristalline » mêle l’animal et le minéral en soulignant sa courbe tortueuse et sa limpidité.

L’expression « une sorte de sanglot » et le verbe « se décourageait » lui donnent voix et sentiments humains.

De plus, la source semble « tracer elle-même son lit sableux», comme si elle était dotée d’une volonté propre.

La seconde source, tortueuse également, est comparée à un « serpent ».

Toutes deux sont presque imperceptibles, comme le souligne le champ lexical de l’invisibilité : la première « à peine née », « replongeait sous la terre ». L’autre, « presque invisible » est qualifiée de « secrète » et seule la présence des narcisses la signale, dans « un pré » enchanteur où les fleurs printanières forment une « ronde ».

Ce passage s’achève sur le sens du goût : la première source a un goût forestier, « de feuille de chêne » ; l’autre, circulant sous les fleurs, « de fer et de tige de jacinthe ».

En y goûtant, la fillette accueille en elle-même la sève de la nature, devient fleur.

Le souhait exprimé au présent dans la phrase finale (« je souhaite que »), où Colette qualifie le goût de ces eaux du terme sensuel de « saveur », montre la volonté intacte de l’écrivaine de « s’emplir » du goût de la nature et de se fondre en elle.

Sa mort même (« au moment de tout finir ») ne peut être que le paroxysme de cette sensation.

Le souvenir de cette « gorgée imaginaire » devient finalement comme le trésor le plus précieux de l’auteur.

Sido, Colette, « Car j’aimais tant l’aube », conclusion

Souvenir essentiel, ce passage de Sido revient à la « source » de la personnalité de l’écrivaine.

Il relate l’initiation de la jeune Colette aux mystères de la nature, et la naissance de son amour fusionnel pour le monde sauvage.

La fillette n’est pas seulement contemplative face au spectacle de l’aube, elle est partie intégrante de ces bois où elle se fond, se promène, hume les parfums, mange les baies, boit aux sources comme le chien de chasse.

Le rapport qui se dessine ici est profondément sensuel, et se définit comme un privilège, une supériorité.

Ce passage est symbolique : l’aube mais aussi le printemps, évoqué par les jacinthes, représentent autant la naissance du monde que l’éveil de la personnalité de l’écrivaine.

Cet extrait fait songer au poème en prose « Aube » de Rimbaud, issu des Illuminations dans lequel l’adolescent narre l’éveil de la nature sous l’action presque magique du poète.

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Amélie Vioux

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