La Faute de l’Abbé Mouret, Zola, description du Paradou : analyse

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Voici une analyse linéaire de la description du Paradou dans La Faute de l’Abbé Mouret de Zola.

Ce texte peut être étudié dans le cadre du parcours « La célébration du monde » associé à Sido et Les Vrilles de la vigne de Colette.

La description du Paradou, introduction

Par sa fresque romanesque des Rougon-Macquart, ses critiques d’art et son engagement pour le capitaine Dreyfus, Émile Zola a marqué la fin du XIXème siècle.

Considéré comme le chef de file du mouvement naturaliste, il écrit La Faute de l’Abbé Mouret, cinquième tome de sa fresque, en 1875.

Le personnage principal, Serge Mouret, est prêtre dans un village du Midi.

Après une maladie, suivie d’une amnésie, il découvre l’immense parc du Paradou dont la description constitue notre objet d’étude.

Problématique

Comment Zola parvient-il à rendre la luxuriance de ce paysage grâce à une hypotypose poétique ?

Extrait analysé

Une mer de verdure, en face, à droite, à gauche, partout. Une mer roulant sa houle de feuilles jusqu’à l’horizon, sans l’obstacle d’une maison, d’un pan de muraille, d’une route poudreuse. Une mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l’innocence de la solitude. Le soleil seul entrait là, se vautrait en nappe d’or sur les prés, enfilait les allées de la course échappée de ses rayons, laissait pendre à travers les arbres ses fins cheveux flambants, buvait aux sources d’une lèvre blonde qui trempait l’eau d’un frisson. Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout. C’était une débauche telle de feuillages, une marée d’herbes si débordante, qu’il était comme dérobé d’un bout à l’autre, inondé, noyé. Rien que des pentes vertes, des tiges ayant des jaillissements de fontaine, des masses moutonnantes, des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés.

À peine pouvait-on, à la longue, reconnaître sous cet envahissement formidable de la sève l’ancien dessin du Paradou. En face, dans une sorte de cirque immense, devait se trouver le parterre, avec ses bassins effondrés, ses rampes rompues, ses escaliers déjetés, ses statues renversées dont on apercevait les blancheurs au fond des gazons noirs. Plus loin, derrière la ligne bleue d’une nappe d’eau, s’étalait un fouillis d’arbres fruitiers ; plus loin encore, une haute futaie enfonçait ses dessous violâtres, rayés de lumière, une forêt redevenue vierge, dont les cimes se mamelonnaient sans fin, tachées du vert-jaune, du vert pâle, du vert puissant de toutes les essences. À droite, la forêt escaladait des hauteurs, plantait des petits bois de pins, se mourait en broussailles maigres, tandis que des roches nues entassaient une rampe énorme, un écroulement de montagne barrant l’horizon ; des végétations ardentes y fendaient le sol, plantes monstrueuses immobiles dans la chaleur comme des reptiles assoupis ; un filet d’argent, un éclaboussement qui ressemblait de loin à une poussière de perles, y indiquait une chute d’eau, la source de ces eaux calmes qui longeaient si indolemment le parterre. À gauche enfin, la rivière coulait au milieu d’une vaste prairie, où elle se séparait en quatre ruisseaux, dont on suivait les caprices sous les roseaux, entre les saules, derrière les grands arbres ; à perte de vue, des pièces d’herbage élargissaient la fraîcheur des terrains bas, un paysage lavé d’une buée bleuâtre, une éclaircie de jour se fondant peu à peu dans le bleu verdi du couchant. Le Paradou, le parterre, la forêt, les roches, les eaux, les prés, tenaient toute la largeur du ciel.

— Le Paradou ! balbutia Serge ouvrant les bras comme pour serrer le jardin tout entier contre sa poitrine.

Emile Zola, La Faute de l’Abbé Mouret, 1875

Annonce de plan linéaire

Dans un premier temps, de « Une mer de verdure » à « s’abattant de tous côté », nous étudierons l’envoûtement provoqué par ce paysage qui oscille entre terre et mer.

Dans un deuxième temps, de « À peine pouvait-on » à « du vert puissant de toutes les essences », nous verrons que ce jardin donne lieu à une véritable explosion de couleurs.

Enfin, dans un troisième temps, de « À droite, la forêt escaladait » à la fin de l’extrait, nous analyserons les contradictions et ambivalences inhérentes à ce jardin d’Éden.

I – Un paysage envoûtant, entre terre et mer

De « Une mer de verdure » à « s’abattant de tous côté« 

La description s’ouvre sur trois phrases nominales qui font du paysage « une mer ». L’emploi de phrases nominales donne l’impression que le paysage surgit comme une image.

L’auteur file une métaphore entre le jardin et une mer : « une mer de verdure », «une mer roulant sa houle de feuilles », « une mer déserte, vierge, sacrée ».

Ce qui marque d’emblée est en effet l’immensité du paysage végétal, tel un océan, qui devient une « houle de feuilles » : rien ne l’arrête, comme le suggère l’énumération en rythme ternaire « d’une maison, d’un pan de muraille, d’une route poudreuse ».

La mention du cadre spatial « en face, à droite, à gauche, partout » souligne également l’émerveillement du narrateur face à cette immensité.

Le sentiment de plénitude qui se dégage vient également de la pureté de cette mer, caractérisée par les épithètes « déserte, vierge, sacrée » et l’oxymore « douceur sauvage ».

Aucune présence humaine ou animale ne vient troubler ce tableau. En effet, le seul acteur est le soleil, sujet du premier verbe d’action : « Le soleil seul entrait là ».

Ses effets sont rendus avec précision (« en nappe d’or », « ses rayons », et un peu plus loin « q>sous ce poudroiement de flammes »), allant jusqu’ à être personnifié, comme l’illustrent les expressions « ses fins cheveux flambants », « buvait aux sources d’une lèvre blonde ». Cette personnification du soleil participe à la création d’une atmosphère merveilleuse dans ce jardin.

La description du Paradou est avant tout visuelle et caractérisée par l’exubérance, comme en témoigne les termes appartenant au champ lexical de l’abondance : « une extravagance de bête heureuse », « une débauche », « si débordante », « jaillissements », « masses moutonnantes ».

Le narrateur associe la solitude et la liberté qui émergent de la contemplation du paysage, à travers le parallélisme de construction et les échos sonores dans l’expression : « loin de tout, libre de tout ». La liberté et le bonheur sont associés à l’isolement, à l’éloignement de la civilisation.

Les échos à la métaphore maritime initiale sont toujours présents, à travers le champ lexical de l’eau : « une marée d’herbes », « inondé », « noyé », « des jaillissements de fontaine », « des masses moutonnantes », à l’instar de l’écume.

Au jeu des couleurs entre le vert et l’or, qui fait signe vers le merveilleux, succède progressivement une description qui montre un foisonnement plus inquiétant de la végétation.

En effet, la dernière phrase met en évidence des « rideaux de forêts hermétiquement tirés », des « plantes grimpantes traînant à terre », des « rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés ».

L’allitération en « t » fait entendre un son sourd et menaçant, suggérant déjà l’ambivalence de cette nature : « des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés. »

La très longue phrase ample, structurée par une suite d’énumérations, accompagne l’hypotypose, figure de style consistant à faire une peinture vive et frappante d’un paysage. Le lecteur a en effet l’impression qu’un tableau riche en couleurs s’anime sous ses yeux.

II – Un tourbillon de couleurs

De « À peine pouvait-on » à « du vert puissant de toutes les essences »

Le deuxième mouvement s’ouvre, quant à lui, sur le commentaire du narrateur qui permet d’ancrer, certes avec difficulté, la géographie du lieu, c’est-à-dire « l’ancien dessin du Paradou ». L’expression évoque l’idée du paradis perdu.

Le foisonnement inquiétant de la végétation est confirmé par le groupe nominal « cet envahissement formidable ».

L’adjectif qualificatif « formidable » a un double sens : un sens étymologique latin qui évoque la terreur, et un sens dérivé qui évoque l’émerveillement. Il s’agit donc d’un jardin ambivalent, qui héberge à la fois la joie exubérante et la menace de la sauvagerie.

Puis, la description se structure selon le regard du personnage qui observe le paysage (« en face », « plus loin », « plus loin encore », « à droite », « à gauche »). Ce dernier tente de retrouver des souvenirs, comme l’illustre le verbe « devait se trouver le parterre ».

Il semble retrouver l’architecture du passé, mise en évidence par l’énumération en quatre temps « avec ses bassins effondrés, ses rampes rompues, ses escaliers déjetés, ses statues renversées ».

Le champ lexical des ruines souligne que ce passé est révolu : « effondrés », « rompues », « déjetés », « renversées ».

La nature sauvage a repris ses droits comme le suggère l’antithèse « blancheurs »/ « gazons noirs » qui illustre la tension entre les vestiges du passé et le présent.

Puis, le champ lexical des couleurs reprend le dessus pour asseoir l’hypotypose : « les blancheurs », « gazons noirs », « la ligne bleue », « ses dessous violâtres », « rayés de lumière », « tachées du vert-jaune, du vert pâle, du vert puissant ».

Cette profusion de couleurs chatoyantes s’ajoute aux quatre éléments naturels convoqués : le ciel (« l’horizon« ) , la terre (« une forêt » ; « roches nues »), l’eau (« une nappe d’eau »), le feu (grâce au soleil : « rayés de lumières »).

La description se fait de plus en plus poétique, jouant également sur les sonorités, comme le suggère l’allitération en « f » « fouillis », « fruitiers », « futaie », « enfonçait », qui semble faire entendre le bruissement des feuilles.

III – Un paysage plein de contradictions

De « À droite, la forêt escaladait » à la fin de l’extrait.

L’hypotypose se poursuit.

Les éléments naturels sont sujets de verbes d’action à l’imparfait de description, ce qui amplifie l’impression de mouvement, de voir le paysage s’animer sous nos yeux car les éléments naturels semblent mus par leur propre volonté : « la forêt escaladait des hauteurs, plantait des petits bois de pins, se mourait… », « des roches nues entassaient », « des végétations ardentes y fendaient le sol ».

La description oscille entre observations délicates et mentions effrayantes. Ainsi, on retrouve le champ lexical de la finesse dans les groupes nominaux « petits bois de pins », « un filet d’argent » ou « une poussière de perles », « broussailles maigres » mais aussi des références à une immensité sombre et menaçante : « se mourait en broussailles », « rampe énorme », « écroulement de montagne barrant l’horizon », « fendaient le sol ».

A ce stade, le paysage apparaît plus complexe qu’à première vue et une contemplation plus attentive peut provoquer la terreur. En effet, l’apogée de cette inquiétude apparaît avec des « plantes monstrueuses immobiles dans la chaleur comme des reptiles assoupis » : le choix de cette comparaison va dans le sens d’une nature qui peut être dangereuse.

Au même moment, dans un mouvement inverse, le regard du personnage se pose avec délicatesse sur la légèreté de l’eau calme qui traverse le parterre.

Le paysage se fait plus idyllique comme l’indique les termes « eaux calmes », « indolemment », « vaste prairie », « quatre ruisseaux ».

La rivière sur laquelle se pose le regard du personnage apparaît comme une véritable source de vie et de fraîcheur : le lecteur, lui aussi, la cherche partout, comme l’indiquent les compléments circonstanciels de lieu en rythme ternaire : « sous les roseaux, entre les saules, derrière les grands arbres ».

L’hypotypose se poursuit, à travers l’accumulation des couleurs (« pièces d’herbage », « buée bleuâtre », « éclaircie de jour », « bleu verdi du couchant »). C’est un véritable tableau qui apparaît sous les yeux du lecteur, dont tous les détails sont dignes d’intérêt.

Les seuls mots prononcés par l’Abbé Serge Mouret sont une exclamation qui n’a nul besoin d’être développée : « Le Paradou ! »

Son émotion se lit dans sa voix balbutia ») et dans son geste de plénitude : « ouvrant les bras comme pour serrer le jardin tout entier contre sa poitrine. » En effet, le personnage semble vouloir embrasser la nature tout entière, comme pour faire corps avec elle.

La Faute de l’Abbé Mouret, la description du Paradou, conclusion

Cette description de Paradou apparaît comme une pause poétique au sein du roman de Zola.

Par la richesse du vocabulaire, la profusion des couleurs, l’intérêt porté aux éléments naturels, le recours aux métaphores et aux jeux sur les sonorités, elle constitue une hypotypose par laquelle le lecteur accède à un paysage complexe : à la fois débordant de vie et inquiétant.

Même si le dernier mot reste l’émerveillement de l’Abbé Mouret qui communie avec un véritable Eden, le lecteur peut pressentir une suite moins idyllique. D’ailleurs, la nature sera aussi le siège d’un amour interdit entre l’Abbé et Albine.

Pour aller plus loin (parcours « La célébration du monde ») :

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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