Les Vrilles de la vigne, Colette, bain de soleil : analyse

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Voici une analyse linéaire du fragment « bain de soleil » issu de la nouvelle « En marge d’une page blanche II » (également nommée « en baie de somme« ) dans Les vrilles de la vigne de Colette.

L’extrait étudié va de «Poucette, tu vas te cuire le sang» à «la vapeur azurée qui vibre au-dessus des dunes»

Bain de soleil, Colette, introduction

Gabrielle-Sidonie Colette, écrivaine, romancière, mais aussi journaliste et comédienne française, née en 1873 et morte en 1954, a passé une partie de ses étés dans la baie de la Somme, en Picardie.

Elle a séjourné dans la ville portuaire nommée Le Crotoy à partir de l’été 1906, et y a rédigé le recueil de nouvelles intitulé Les Vrilles de la Vigne. (Voir la fiche de lecture de Sido et Les Vrilles de la vigne)

Dans cette œuvre d’inspiration autobiographique, la nouvelle intitulée «En marge d’une page blanche II» (ou «En baie de Somme» dans certaines collections) débute par le souvenir d’un «bain de soleil».

Ce dernier est l’occasion d’une description du paysage maritime et du plaisir intense que procure à l’écrivaine la torpeur estivale.

Extrait étudié

Poucette, tu vas te cuire le sang ! viens ici tout de suite ! » Ainsi apostrophée du haut de la terrasse, la chienne bull lève seulement son museau de monstre japonais, couleur de bronze. Sa gueule, fendue jusqu’à la nuque, s’entrouvre par un petit halètement court et continu, fleurie d’une langue frisée, rose comme un bégonia. Le reste de son corps traîne, écrasé comme celui d’une grenouille morte…Elle n’a pas bougé; elle ne bougera pas, elle cuit…

Une brume de chaleur baigne la baie de Somme, où la mariée morte-eau palpite à peine, plate comme un lac. Reculée derrière ce brouillard moite et bleu, la pointe de Saint-Quentin semble frémir et flotter, inconsistante comme un mirage…La belle journée à vivre sans penser, vêtue seulement d’un maillot de laine !

…Mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse, et je m’amuse de l’entêtement de Poucette, qui continue sa cure de soleil avec un sourire de suppliciée… »Veux-tu venir ici, sale bête ! » Et je descends l’escalier dont les derniers degrés s’enlisent, recouverts d’un sable plus mobile que l’onde, ce sable vivant qui marche, ondule, se creuse, vole et crée sur la plage, par un jour de vent, des collines qu’il nivelle le lendemain…

La plage éblouit et me renvoie au visage, sous ma cloche de paille rabattue jusqu’aux épaules, une chaleur montante, une brusque haleine de four ouvert. Instinctivement, j’abrite mes joues, les mains ouvertes, la tête détournée comme devant un foyer trop ardent…Mes orteils fouillent le sable pour trouver, sous cette cendre blonde et brûlante, la fraîcheur salée, l’humidité de la marée dernière…

Midi sonne au Crotoy, et mon ombre courte se ramasse à mes pieds, coiffée d’un champignon…
Douceur de se sentir, sans défense et sous le poids d’un beau jour implacable, d’hésiter, de chanceler une minute, les mollets criblés de mille aiguilles, les reins fourmillants sous le tricot bleu, puis de glisser sur le sable, à côté de la chienne qui bat de la langue !

Couchée sur le ventre, un linceul de sable me couvre à demi. Si je bouge, un fin ruisseau de poudre s’épanche au creux de mes jarrets, chatouille la plante de mes pieds…Le menton sur mes bras croisés, le bord de la cloche borne mes regards et je puis à mon aise divaguer, me faire une âme nègre à l’ombre d’une paillote…Sous mon nez sautent, paresseusement, trois puces de mer, au corps de transparente agate grise…Chaleur, chaleur…Bourdonnement lointain de la houle qui monte ou du sang dans mes oreilles ?…Mort délicieuse et passagère, où ma pensée se dilate, monte, tremble et s’évanouit avec la vapeur azurée qui vibre au-dessus des dunes…

Les Vrilles de la vigne, Colette, « En marge d’une page blanche II », « Bain de soleil »

Problématique

Comment, dans ce passage tout en sensualité, Colette nous conduit-elle au cœur de cette torpeur ?

Annonce du plan linéaire

Dans un premier mouvement, de «Poucette, tu vas te cuire le sang» à «vêtue seulement d’un maillot de laine», nous étudierons le tableau pastel et impressionniste qui se dresse sous nos yeux.

Puis, de «mon pied nu tâte amoureusement» à «la marée dernière», nous verrons comment, par le travail de l’écriture, le sable devient mer, la plage un gouffre de lumière qui nous conduisent au cœur de la torpeur.

Enfin, dans un troisième mouvement, nous verrons comment la narratrice se laisse engloutir dans la mer de sable et de lumière qui s’étend à ses pieds, jusqu’à une sorte de dissolution.

I – Un paysage impressionniste

De « Poucette, tu vas te cuire le sang ! » à « vêtue seulement d’un maillot de laine.« 

Le le titre du passage, «Bain de soleil», annonce d’emblée la thématique estivale.

La nouvelle commence ensuite in medias res (=dans l’action) par une apostrophe comique qui joue sur la surprise du lecteur: «Poucette, tu vas te cuire le sang ! viens ici tout de suite !».

L’exclamation prévient du danger de rester en plein soleil. On n’apprend qu’un peu plus loin l’identité de Poucette, petite «chienne bull» de l’auteur.

Le décor, lui, est suggéré par la précision «du haut de la terrasse», mais on n’en sait pas plus pour le moment, car c’est un portrait amusé de Poucette, écrasée de chaleur, que dresse à présent Colette.

L’ordre est donc inefficace, comme le souligne l’adverbe «seulement» dans «la chienne bull lève seulement son museau».

La description de Poucette en «monstre japonais couleur de bronze» lui donne l’aspect pesant et immobile d’une statue.

La seule partie mouvante de son corps est sa gueule: «fendue jusqu’à la nuque». Elle«s’entrouvre pour un petit halètement court et continu», signe que l’animal a chaud.

Sa langue est comparée à une fleur, tout d’abord par le participe «fleurie», métaphorique, puis par la comparaison «rose comme un bégonia». On retrouve l’univers sensuel et poétique de Colette, proche de la nature.

Hormis cette gueule mouvante et colorée, «le reste de son corps» est terrassé de chaleur: il «traîne, écrasé comme celui d’une grenouille morte», la comparaison suggère des pattes courtes et repliées.

L’immobilité de l’animal est mise en valeur par la conjugaison du même verbe au passé composé puis au futur, et par la répétition de la négation: «Elle n’a pas bougé; elle ne bougera pas». Il s’agit d’une épanorthose qui souligne avec humour la détermination de la chienne.

Le dernier verbe, «elle cuit», constitue la chute amusée du paragraphe. Le choix de ce verbe souligne la situation de Poucette qui profite et souffre en même temps du plein soleil.

Le regard de la narratrice se lève alors sur le paysage, que le lecteur découvre en même temps qu’elle.

C’est un horizon flouté par la «brume de chaleur», qualifié un peu plus bas de «brouillard moite et bleu».

Le verbe «baigne», métaphorique, fait de cette brume une sorte de mer aérienne qui imprègne tout.

L’endroit est nommé, «la baie de Somme», paysage de mer et de dunes.

L’adjectif « morte » dans «marée de morte-eau palpite à peine» fait écho à la «grenouille morte» du paragraphe précédent : le paysage est immobile et écrasé de chaleur, à l’image de Poucette.

La comparaison «plate comme un lac» insiste encore sur l’immobilité et le silence de ce paysage maritime.

La terre elle-même semble perdre consistance, devenir légère, car l’air chaud brouille les lignes comme le souligne le champ lexical de la confusion (« brouillard », « moite », « flotter », « inconsistante », « mirage »): «Reculée derrière ce brouillard moite et bleu, la pointe de Saint-Quentin semble frémir et flotter, inconsistante comme un mirage…».

Dans ce paysage pastel et impressionniste, terre, ciel et mer semblent se confondre, et les lignes et contours s’estomper.

La dernière phrase du paragraphe prépare l’entrée en scène de la première personne. C’est une exclamation de plaisir de Colette qui, comme Poucette, compte participer à cette torpeur générale («La belle journée à vivre sans penser»).

La narratrice compte profiter du bien-être et de la liberté corporelle que procure la chaleur («vêtue seulement d’un maillot de laine»).

II – Une mer de sable et de lumière

De « Mon pied nu tâte amoureusement » à «la marée dernière»

Avec sensualité, la première personne entre dans le récit à travers l’adjectif possessif « mon » : «Mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse».

C’est par la plante des pieds, par le toucher, que Colette prend conscience de la chaleur intense et bienfaitrice du soleil.

L’adverbe «amoureusement» signale le désir physique de cette chaleur.

Le regard de la narratrice revient à Poucette, personnifiée avec humour et légèreté: «je m’amuse de l’entêtement de Poucette, qui continue sa cure de soleil avec un sourire de suppliciée…».

Ce paradoxal sourire illustre encore le bonheur et la souffrance causée par la chaleur.

L’expression «sotte bête», piquante par ses deux monosyllabes et la répétition du son [t], ajoute à l’aspect humoristique de la scène.

Tout en renouvelant vainement son ordre à Poucette, la narratrice descend comme vers une mer de chaleur et de lumière: «Et je descends l’escalier dont les derniers degrés s’enlisent, recouverts d’un sable plus mobile que l’onde».

Le verbe «s’enlisent», l’adjectif «mobile» et la comparaison du sable à «l’onde» donnent à ce dernier un aspect liquide.

Alors que tout est figé dans la torpeur et semble mort, seul le sable est «vivant»: «ce sable vivant qui marche, ondule, se creuse, vole».

L’énumération de verbes de mouvement fait du sable une force mouvante qui, comme la mer, dresse ses vagues ou se fait plat selon le vent: « et crée sur la plage, par un jour de vent, des collines qu’il nivelle le lendemain…».

L’opposition des compléments de tempspar un jour de vent», «le lendemain») en montre l’inconstance.

La plage est une fournaise. Avec la lumière éblouissante qui s’élève du sable («La plage éblouit…») vient aussi la chaleur: «…et me renvoie au visage […] une chaleur montante».

La métaphore suivante, «une brusque haleine de four ouvert», donne à la plage un aspect de gouffre monstrueux et dévorateur.

L’adjectif «brusque» souligne la surprise de la narratrice.

La «cloche de paille rabattue jusqu’aux épaules», qui sert de chapeau à la narratrice, semble insuffisante face au danger : «Instinctivement, j’abrite mes joues, les mains ouvertes, la tête détournée».

Éblouissement et chaleur sont insoutenables. La comparaison au « foyer trop ardent» et l’adverbe «trop» en soulignent l’excès.

La plage est devenue brasier, et la métaphore de la «cendre blonde et brûlante » pour désigner le sable le confirme.

Et de même que la narratrice avait plaisir à sentir sur la plante de ses pieds la chaleur du sol, c’est par les «orteils», devenus sujets d’un verbe d’action qu’elle cherche la fraîcheur: «Mes orteils fouillent le sable pour trouver […] la fraîcheur salée, l’humidité de la marée dernière…».

III – La dissolution dans le paysage

De « Midi sonne au Crotoy » à « qui vibre au dessus des dunes« .

«Midi sonne au Crotoy»: le soleil est donc à son zénith, la lumière et la chaleur à leur maximum.

L’image de l’ombre «courte» qui «se ramasse»aux pieds de la narratrice signale que le soleil est à l’aplomb, écrasant.

Colette ne se départ jamais de son humour et de sa légèreté, comme le montre la comparaison du chapeau à un «champignon».

Dominée par cette chaleur, vulnérable, la narratrice cède elle aussi peu à peu à la torpeur, en une longue phrase qui occupe tout le paragraphe et constitue une exclamation de plaisir: «Douceur de se sentir sans défense…!».

À travers le champ lexical du combat, Colette souligne toujours l’aspect double de cette chaleur, bienfaisante et dangereuse : « sans défense », implacable », « criblés de milles aiguilles ».

L’expression «sous le poids d’un beau jour implacable», reprend cette dualité, avec d’une part le «beau jour», de l’autre l’idée de «poids», d’écrasement, d’une chaleur «implacable» et donc impitoyable.

Les sensations physiques témoignent des effets intenses de ce bain de soleil : «les mollets criblés de mille aiguilles, les reins fourmillants sous le tricot bleu».

La narratrice cède progressivement à cet écrasement, comme le montre la succession de verbes à l’infinitif: «hésiter», «chanceler une minute», «puis […] se glisser sur le sable».

La voilà vaincue comme Poucette : «à côté de la chienne qui bat de la langue !». Les termes monosyllabiques ou bisyllabiques restituent l’halètement de l’animal.

Comme Poucette, la narratrice est «couchée sur le ventre», écrasée de chaleur.

C’est alors la métaphore de la mort qui revient, avec le terme «linceul» (métaphore reprise à la fin de l’extrait) : «un linceul de sable me couvre à demi».

Les sensations physiques prédominent, dans une description pleine de sensualité.

Le sens du toucher, passant à nouveau par la plante des pieds, en contact avec le sable, est évoqué: «Si je bouge, un fin ruisseau de poudre s’épanche au creux de mes jarrets, chatouille la plante de mes pieds».

La métaphore du ruisseau donne à nouveau un aspect liquide au sable.

C’est ensuite la vue: «Le menton sur mes bras croisés, la cloche de jonc borne mes regards» .

Si la narratrice ne peut voir au loin, ce chapeau lui donne aussi la liberté de rêver sans être vue: «je puis à mon aise divaguer».

Alliée à la chaleur, la paille du chapeau lui évoque une image exotique: «me faire une âme nègre à l’ombre d’une paillote».

Ce champ de vision rétrécisous mon nez») lui permet d’apercevoir les «trois puces de mer» qui «sautent, paresseusement». L’adverbe « paresseusement » montre qu’elles non plus n’échappent pas à la torpeur ambiante.

Une métaphore précieuse vient en décrire la couleur, proche de celles du sable et de la brume: «au corps de transparente agate grise».

Ces sont des phrases nominales qui closent ce paragraphe, et qui, alliées aux points de suspension, donnent l’impression d’une pensée qui plonge elle aussi dans la torpeur, divague et s’interrompt: «Chaleur, chaleur…».

La pensée s’absorbe toute entière dans la sensation, les choses se confondent: la narratrice ne distingue plus entre le bruit du vent («bourdonnement lointain de la houle qui monte») ou celui «du sang dans [s]es oreille»comme l’indique le point d’interrogation. La pensée est de plus en plus confuse, comme les sensations physiques.

La métaphore de la mort conclut ces impressions, avec l’oxymore «Mort délicieuse et passagère», qui signale encore une fois l’ambivalence entre plaisir et souffrance.

L’énumération de verbes dans la dernière phrase illustre l’impossible résistance de la pensée : «ma pensée se dilate, monte, tremble et s’évanouit». La pensée se dissout progressivement dans le paysage.

Elle se confond alors avec la brume bleue et moite dont elle suit le mouvement : «et s’évanouit avec la vapeur azurée qui vibre au-dessus des dunes…».

Les Vrilles de la vigne, Colette, bain de soleil, conclusion

À partir de l’image comique de la chienne qui profite du soleil implacable, cet extrait « bain de soleil », rédigé tout au présent, nous introduit dans un paysage estival où le temps est suspendu.

Tout se tient à la fois immobile et ondoyant de chaleur, les tons sont doux et pastels : brume bleue, sable blond, puces de mer «grise agate». Tout y semble transparent, les contours sont flous.

Descendue de la terrasse pour faire remonter Poucette, la narratrice plonge dans la torpeur de l’été et est finalement happée elle-même par le gouffre de chaleur et de lumière que constitue la plage éblouissante.

Allongée dans le sable qui devient mer de lumière, elle s’y fond, et sa pensée elle-même s’absorbe dans le bleu de la brume.

Tout en sensualité, consacré aux sensations estivales, évoque un profond bien-être et une grande tranquillité.

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Amélie Vioux

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