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Voici une analyse de l’extrait de Sido au cerisier, dans la première partie du recueil Sido de Colette.
L’extrait étudié va de « Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier » à « l’épouvantail hochait au vent son gibus vide.
»
Sido, Je l’ai vu suspendre dans un cerisier…Introduction
Dans Sido, recueil de souvenirs d’enfance paru en 1930, l’écrivaine Colette (1873-1954) cherche à retracer le portrait de sa mère Sidonie et à mettre en lumière l’héritage spirituel qu’elle lui doit. (Voir la fiche de lecture de Sido suivi des Vrilles de la vigne de Colette)
Personnalité originale, athée, fantasque, cultivée, mais surtout amoureuse de sa province et de son jardin, Sido transmet à sa fille un amour profond de la nature. Elle sait porter une attention pour chaque être vivant, plantes et bêtes, qui confine au mysticisme et au magique.
Dans cet extrait, Colette se souvient avec amusement d’avoir trouvé sa mère en pleine contradiction avec elle-même lorsqu’il s’agissait de protéger les cerises de l’appétit des merles.
Extrait étudié
Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre voisin enrhumé et doux, secoué d’éternuements en série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions humaines…
Sido, Colette, première partie.
– Chut ! ….Regarde…
Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait la chair rosée…
– Qu’il est beau ! …chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec pour vider le noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
– Mais, maman, l’épouvantail…
– Chut ! …L’épouvantail ne le gêne pas…
– Mais, maman, les cerises !…
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
– Les cerises ?…Ah ! oui, les cerises…
Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement…Ce ne fut qu’un moment, – non pas un moment unique. Maintenant que je la connais mieux, j’interprète ces éclairs de son visage. Il me semble qu’un besoin d’échapper à tout et à tous, un bond vers le haut, vers une loi écrite par elle seule, pour elle seule, les allumait. Si je me trompe, laissez-moi errer.
Sous le cerisier, elle retomba encore une fois parmi nous, lestée de soucis, d’amour, d’enfants et de mari suspendus, elle redevint bonne, ronde, humble devant l’ordinaire de sa vie :
– C’est vrai, les cerises…
Le merle était déjà parti, gavé, et l’épouvantail hochait au vent son gibus vide.
Problématique
Comment, par le récit d’une anecdote, Colette tente-t-elle de ressaisir le fond pur, aérien et supérieur du caractère de sa mère ?
Annonce de plan linéaire
Nous étudierons dans un premier mouvement (de « Je l’ai vue suspendre » à « Chut !… Regarde…
») la surprise de la jeune Colette trouvant sa mère en contemplation devant le cerisier.
Nous analyserons ensuite (de « Un merle noir » à « Ah ! oui, les cerises…
») l’absorption de Sido dans la contemplation du merle.
Enfin, nous verrons comment, de « Dans ses yeux passa… » à « son gibus vide
», Colette tente de saisir l’essence aérienne et mystique du caractère maternel.
I- Contemplation devant le cerisier
De « Je l’ai vue suspendre » à « Chut !… Regarde…
»
Pour illustrer la sensibilité de Sido, Colette entame le récit d’une anecdote, signalée par le passé composé : « Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un épouvantail à effrayer les merles.
»
Le verbe (« je l’ai vue
») replace Colette dans la posture de petite fille, témoin des activités maternelles au jardin.
Sido semble vouloir imiter le voisin, propriétaire du jardin qui se trouve à l’ouest. Colette, avec humour, identifie ce voisin au point cardinal, personnifié par la majuscule : « car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux, secoué d’éternuements en série
» .
Le voisin « ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux chemineaux
», c’est-à-dire en vagabonds, sans doute en les affublant de pans de tissus et chapeaux pour effrayer les oiseaux et protéger les cerises.
Par ce « déguisement », les cerisiers sont personnifiés, comme « ses groseillers
», qu’il « coiffait » dans le même but « de gibus poilus
», petits capuchons semblables à des chapeaux haut-de-forme.
L’adjectif « poilus
» semble signifier que ces chapeaux ont un aspect grotesque, taillés dans une étoffe rustique.
À travers cette personnification des plantes et la perception de leur « déguisement » se dessine l’imaginaire amusé de l’enfant.
Mais c’est l’attitude de sa mère qui intrigue Colette : « Peu de jour après, je trouvais ma mère sous l’arbre, passionnément immobile
».
L’adverbe « passionnément » indique une attention et un intérêt soutenus.
Mais l’enfant ne comprend pas tout de suite ce que regarde, sa mère et s’étonne de sa posture : « la tête à la rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions humaines…
». Colette souligne avec amusement le paradoxe de cette posture pour Sido, anticléricale et athée.
Mais si les « religions humaines » sont bannies de l’esprit de Sido, cela ne l’empêche pas d’admirer avec mysticisme la beauté de la nature.
Et tout à sa contemplation, elle impose le silence à sa fille qui risquerait par un mot de mettre fin à la scène qui la captive : « Chut !… Regarde…
». L’exclamation et les paroles retranscrites au discours direct anime la scène.
II- La contemplation du merle
de « Un merle noir » à « Ah ! oui, les cerises…
»
Le lecteur découvre l’objet de l’admiration de Sido en même temps que l’enfant qui lève la tête : « Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises
».
Le sentiment de l’enfant semble mitigé.
En effet, le merle est beau, et la métaphore introduite par le participe « oxydé
», les deux couleurs, donnent à son plumage un aspect métallique et irisé.
L’assonance en [é], musicale, semble restituer le bruit des coups de bec de l’oiseau : « Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises
».
Néanmoins, la succession des trois verbes d’action à l’imparfait laissent deviner l’effarement de l’enfant de voir que l’oiseau « piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait la chair rosée… » . « La chair rosée
» ainsi dévorée assimile le merle à une sorte d’oiseau vampire et sanguinaire.
Sido, sans faire cas du sort des cerises, s’absorbe dans la contemplation de l’oiseau. L’exclamation chuchotée qu’elle émet exprime à la fois l’enthousiasme et la volonté de ne pas l’effrayer : « Qu’il est beau !… chuchotait ma mère.
»
Le passage à l’imparfait montre que cette scène était fréquente et que Sido était coutumière de ces moments d’admiration.
Elle veut y faire participer sa fille et attirer son attention sur l’habileté de l’oiseau.
Ainsi, l’anaphore de l’expression « Et tu vois », initiant la série d’interrogations, scandent l’énumération des qualités de l’oiseau au fur et à mesure que Sido les observe. Cette figure de répétition restitue l’enthousiasme de Sido pour le merle.
La dextérité de l’oiseau retient son attention : « Et tu vois comme il se sert de sa patte ? » ; « Et tu vois les mouvements de sa tête […] ? » ; « Et ce tour de bec pour vider les noyaux ?
».
Enfin, elle admire son « arrogance » et son intelligence : « Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
».
Dans le petit dialogue suivant, l’enfant ne partage pas tout à fait l’admiration maternelle.
Sa première remarque concerne l’inutilité de l’épouvantail : « Mais, maman, l’épouvantail…
» .
La seconde remarque, qui réitère la formulation de la première, concerne la perte des cerises, et sa tournure exclamative témoigne d’un vif regret : « Mais, maman, les cerises !… »
Sido, elle, est loin de ces considérations matérielles et gourmandes.
Tout d’abord, il ne faut pas déranger le merle : « Chut !… », répète-t-elle
.
Puis, répondant à côté de la question : « L’épouvantail ne le gêne pas…
» comme s’il s’agissait de se rassurer sur ce fait. Sido a oublié la fonction même de cet épouvantail.
Quant à la remarque de l’enfant sur les cerises, elle rappelle lentement Sido à la réalité : « Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie
».
Sido est un esprit céleste et aérien ; le mouvement de cet esprit, qui s’était envolé avec le merle sur les branches, est maintenant descendant comme le souligne le verbe « ramener ». Mais la couleur des yeux (« couleur de pluie
» ) souligne que le regard a conservé quelque chose de sa nature céleste.
Il faut un temps à Sido pour comprendre de quoi sa fille lui parle, comme le montre la répétition : « Les cerises ?… Ah ! oui, les cerises…
». Les points de suspension signalent son ton rêveur, une suspension du temps.
III- Sido, un esprit aérien
de « Dans ses yeux passa… » à « son gibus vide
»
Sido n’attache en fait aucune importance à la gourmandise, aux considérations matérielles : « Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement…
».
Ce « mépris
», redoublé de « dédain », concerne toute préoccupation humaine : il est « universel ». Même sa fille n’y échappe pas : « qui me foulait avec tout le reste
».
Mais ce mépris est aussi une joie, une allégresse (« frénésie riante », « allégrement
») qui se fait entendre dans les allitérations en [r] et [d] : « Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement…
».
Colette, adulte, tente alors d’interpréter dans le présent de l’écriture cette indépendance d’esprit maternelle dont elle était fréquemment témoin : « Ce ne fut qu’un moment, – non pas un moment unique.
»
Le temps et le travail de remémoration par l’écriture aident à l’interprétation qui se fait au présent de l’indicatif : « Maintenant que je la connais mieux, j’interprète ces éclairs de son visage
».
Dans la phrase suivante, Colette livre au lecteur son hypothèse : « il me semble que
».
Elle trouve l’origine de ces « éclairs
» dans le « besoin » de Sido « d’échapper à tout et à tous, un bond vers le haut
».
Sido fait preuve d’une indépendance d’esprit comme le suggère le parallélisme « par elle seule, pour elle seule
» et la répétition de l’adjectif « seule » .
Son monde intérieur l’élève au-dessus des considérations communes et dispose de sa propre loi qui remplace toute croyance religieuse : « vers une loi écrite par elle seule, pour elle seule
».
Quant à l’image des « éclairs », prolongée dans le verbe « les allumait », elle fait écho aux « yeux couleur de pluie
» et donne au visage maternel l’aspect d’un ciel d’orage.
Colette conclut son interprétation : « Si je me trompe, laissez-moi errer
». Car la poésie de cette interprétation compte plus qu’une exacte vérité.
Les dernières lignes reviennent à l’anecdote, avec le retour au passé simple : « Sous le cerisier, elle retomba encore une fois parmi nous
».
Ce nouveau mouvement descendant est cette fois définitif avec le verbe « retomber » .
Le pronom « nous » dessine le commun des mortels dont Colette, petite fille, fait partie.
Ce sont finalement les contraintes matérielles et affections familiales qui appesantissent l’esprit de Sido et le ramènent sur terre comme le suggère l’énumération : « lestée de soucis, d’amour, d’enfants et de mari suspendus
».
Sido est le cœur de la vie familiale. Une fois revenue dans « l’ordinaire de sa vie
», redevenue « bonne, ronde, humble
», mère de famille, et après avoir abandonné son aérien « mépris », elle consent à se souvenir des cerises, peut-être avec regret : « C’est vrai, les cerises…
».
La chute de l’extrait revient avec légèreté sur la gourmandise du merle (« Le merle était parti, gavé
»), l’inutilité et le ridicule de l’épouvantail qui « hochait au vent son gibus vide
», dépouillé de ses fruits.
Sido au cerisier, Conclusion
À l’occasion de cette anecdote, Colette tente une nouvelle fois de saisir avec tendresse ce qui faisait la particularité du caractère maternel, et au-delà, ce dont elle a elle-même hérité.
Ici apparaît à nouveau la relation passionnée de Sido à la nature, dont elle est plus proche que du monde des humains.
Si elle ne croit en aucune des « religions humaines
», chaque être de la nature lui reste cependant sacré. Cette connivence qu’elle entretient avec eux, sa compréhension profonde de la nature la rendent comme supérieure au commun des mortels.
La petite fille qu’est alors Colette ressent cette exclusion, cette part inaccessible du caractère maternel. La narratrice adulte les raconte avec humour et poésie.
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Les Vrilles de la vigne, Le dernier feu, les violettes - Les Vrilles de la vigne, jour gris
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