Barbara, Prévert : analyse

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prévert barbaraVoici une analyse du poème « Barbara » issu du recueil Paroles (1946) de Jacques Prévert.

Dans « Barbara » Jacques Prévert dénonce l’horreur de la guerre, en faisant référence aux bombardements de la ville de Brest entre 1940 et 1944.

Cliquez ici pour lire la fiche de lecture de Paroles de Prévert.

Problématiques possibles à l’oral sur « Barbara » :

♦ En quoi ce poème est-il une dénonciation de la guerre ?
♦ Analyser les effets de contraste et de symétrie dans ce poème
♦ Etudiez la progression du poème
♦ Quel rôle joue le souvenir dans ce texte ?

Poème étudié

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

Nous verrons dans ce commentaire que le poème se présente d’abord comme un poème d’amour (I) à travers l’évocation d’un souvenir heureux (II). Pourtant, le texte bascule progressivement vers la guerre et la mort (III).

I – Un poème d’amour

A – Célébration de la femme

Le poème porte le nom d’une femme : Barbara. Le poète célèbre sa beauté, qui passe principalement par le sourire : « souriante » (v. 3), « Tu souriais » (v. 9).

A ce sourire est associé un sentiment de ravissement : « Épanouie » et « ravie » (v. 4 et v. 21).

La beauté de Barbara se caractérise aussi à travers sa gestuelle, marquée par une gradation : « Et tu marchais » (v. 3), « Et tu as couru » (v. 20), « Et tu t’es jetée dans ses bras » (v. 22).

Cet hymne à la beauté féminine se caractérise enfin à travers le contraste entre le paysage pluvieux de Bretagne et la beauté radieuse de la femme, qui illumine ce décor.

B – Une scène de rencontre

On pourrait croire que la rencontre a lieu entre le poète et Barbara, puisqu’il s’adresse directement à elle tout au long du poème à travers une apostrophe familière à la deuxième personne : « Rappelle-toi Barbara » (vers 1, 11, 29).

Le poète évoque leur rencontre au vers 8 : « Et je t’ai croisée rue de Siam », puis l’échange d’un sourire : « Tu souriais / Et moi je souriais de même » (v. 9-10).

On retrouve cette symétrie un peu plus loin, où le poète précise qu’ils ne se connaissent pas : « Toi que je ne connaissais pas / Toi qui ne me connaissais pas » (v. 12-13).

Barbara retrouve en fait son amant. Leur rencontre s’opère dans un cri d’amour : « Et il a crié ton nom / Barbara » (v. 18-19).

Le poète n’est donc que le témoin de cette scène de retrouvailles.

C – La place du poète

Malgré le tutoiement, le poète se place en observateur externe et garde une distance physique avec le couple d’amoureux.

Prévert exprime sa sympathie pour les amoureux en général : « Je dis tu à tous ceux qui s’aiment / Même si je ne les connais pas » (v. 27-28).

Le rôle du poète est avant tout de célébrer et de chanter la vie et l’amour.

Le poète partage ici avec les amoureux un souvenir précieux.

II – L’évocation d’un souvenir heureux

A – Un souvenir heureux

Le champ lexical du souvenir et de la mémoire est présent : « Rappelle-toi » (v. 1, 6, 11, etc.), « N’oublie pas » (v. 16 et 30), « avant » (v. 47).

Le champ lexical du bonheur indique qu’il s’agit d’un souvenir heureux : « souriante » (v. 3), « souriais » (v. 9-10), « ravie » et « épanouie » (v. 4 et 21), « heureuse » (v. 31 et 33), « heureux » (v.32).

Le souvenir est décrit à l’imparfait : « Il pleuvait » (v. 2 et 7), « s’abritait » (v. 17) et au passé composé : « je t’ai croisée » (v. 8), « il a crié » (v. 18), « tu as couru » (v. 20).

Jacques Prévert évoque ce souvenir avec nostalgie (« ce n’est plus pareil », v. 48).

B – Résurgence d’un souvenir précis dans le présent

Le souvenir évoqué dans « Barbara » est un souvenir particulier : « ce jour-là » (v. 2), « cette pluie » (v. 31 et 34), aux références précises : « Brest » (v. 2, 7), « rue de Siam » (v. 8), « le bateau d’Ouessant » (v. 36).

L’emploi du passé composé (voir A) indique que le souvenir est réactualisé et a une répercussion sur le présent.

Le souvenir est le prétexte d’une comparaison entre « avant » (v. 47) et « maintenant » (v. 39).

Au vers 46, le poème bascule définitivement dans le présent : « Il pleut sans cesse sur Brest »

Le contraste avec le passé est bien marqué par l’inversion des temps et le parallélisme avec le début du poème:
« Il pleut sans cesse sur Brest » // « Il pleuvait sans cesse sur Brest » (v. 2 et 7), « Comme il pleuvait avant » (v. 47).

C – Insistance incantatoire du poète

Les anaphores (reprise des mêmes termes) traduisent l’insistance du poète : « Rappelle-toi Barbara » (vers 1, 6, 11, 23, 29), « Rappelle-toi » (v. 14 et 15), « Sur » (vers 32, 33, 35, 36), « Et » (vers 3, 8, 10, 18, 20, 22, 24), « Même si » (v. 26 et 28), « Cette pluie » (v. 31 et 33).

Ces anaphores expriment une douleur lancinante et donnent au poème  un fort pouvoir persuasif.

Le poème, dans un style presque incantatoire, insiste sur la nécessité de ne pas oublier le passé (« Rappelle-toi », « N’oublie pas »).

III – Le basculement du poème

A – L’irruption de la guerre

La guerre est directement nommée au vers 38 et se manifeste à travers un champ lexical : « l’arsenal » (v. 35), « fer » (v. 40 et 51), « feu », (v. 41), « acier » (v. 41 et 51).

On trouve aussi un champ lexical de la mort : « sang » (v. 41, 51), « mort » (v. 44), « deuil » (v.49), « crèvent » (v. 53), « pourrir » (v. 56).

Au vers 38, le ton du poème change soudainement.

La familiarité et la sympathie laissent place à la vulgarité et à la violence d’un langage antipoétique qui rompt avec le lyrisme : « Quelle connerie ».

Cette violence transparaît également dans les sonorités :

L’allitération en « » et en « » des vers 39 à 58 marque l’agressivité du poète, et une forte allitération en « r » dans les quatre derniers vers du poème dénonce la violence de la guerre : « sur Brest », « pourrir », « reste », « rien ».

Prévert exprime ici son dégoût face à l’horreur de la guerre.

B – La métamorphose du paysage

La métaphore de la pluie présente dès les premiers vers subit une métamorphose progressive.

On passe d’une « pluie sage et heureuse » (v. 31) à une « pluie de fer / De feu d’acier de sang » (v.40-41) et enfin « une pluie de deuil terrible et désolée » (v. 49).

La pluie semble ainsi associée au personnage de Barbara : d’abord heureuse comme la jeune femme, elle finit par partager le deuil hypothétique de son amant (« Est-il mort disparu », v. 44).

La métaphore de l‘orage au vers 50 pour représenter les bombardements destructeurs (« Ce n’est même plus l’orage / De fer d’acier de sang » )  laisse place à un paysage ravagé : « tout est abîmé » (v. 48).

C – Progression du poème vers le Néant

On note dans « Barbara » une gradation descendante vers l’anéantissement absolu.

Le poème se termine en effet sur le mot « rien » (v. 58).

Cet anéantissement se traduit également par une déshumanisation progressive.

Dans la comparaison entre les nuages et les chiens, les hommes sont déjà effacés : « des nuages / Qui crèvent comme des chiens » (v. 52-53).

Il n’est plus question d’humains dans les derniers vers, mais uniquement de « chiens qui disparaissent » (v.54)

Même si les soldats sont implicitement comparés aux chiens et aux nuages, le poète suggère que l‘humanité a disparu avec l’apparition de la guerre.

On note d’ailleurs la présence du champ lexical de la disparition : « disparu » (v. 44), « plus » (v.48 et 50), « disparaissent » (v. 54), « au loin » (v. 56-57).

L’expression « tout simplement » (v. 52), réductrice, souligne ce processus de néantisation.

De plus, les phrases prennent une tournure impersonnelle : « Il pleut » (v. 46), « ce n’est plus pareil » (v. 48), « C‘est », « Ce n’est même plus » (v. 49-50), « dont il ne reste » (v. 58).

Enfin, l’anadiplose (reprise au début d’une proposition de termes de la proposition précédente) aux vers 53-54 (« …comme des chiens / Des chiens qui disparaissent ») et aux vers 57-58 (« …au loin / Au loin très loin de Brest ») produit un effet d’écho qui marque l’idée d’une résonance liée au vide.

« Barbara » : conclusion

« Barbara » de Jacques Prévert est un poème déstabilisant et pessimiste qui dénonce l’horreur de la guerre.

Le poète créé à travers des effets de contraste et de rupture un choc entre la douceur du souvenir des deux amoureux et l’intervention brutale et violente de la guerre, qui menace le bonheur du couple.

Témoin à la fois de l’amour et de la mort, Prévert exprime son dégoût et son impuissance dans une forme poétique libre et sans contrainte, la poésie demeurant sa seule arme face à la destruction de la ville de Brest qu’il aimait tant.

Tu étudies « Barbara » ? Regarde aussi :

La grasse matinée, Prévert (commentaire)
La colombe poignardée et le jet d’eau, Apollinaire  (commentaire)
Ce cœur qui haïssait la guerre, Robert Desnos (commentaire)
Je vais te dire un grand secret, Aragon : analyse
Strophes pour se souvenir, Aragon (faire le lien entre ce poème et celui de Prévert est intéressant)

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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37 commentaires

  • Bonjour, je suis actuellement en 1ère S.
    Ma prof nous a donner le poème « Arbres » de J.Prévert mais ne nous a pas donner les idées principales du poème.
    Pourrirez-Vous m’aidez ?
    Merci 🙂

  • merci Amélie de tout cœur.
    Je ne sais pas comment vous exprimer ma gratitude, ma reconnaissance pour cet effort louable.
    Amélie, vous etes pour moi un grand soutien.
    J’aurais aimé vous écrire un écrire un long message pour faire part de ma profonde considération.
    Ceux qui nous encadrent au ministère de l’éducation nationale ne font à cotée de ce que vous faites.
    merci infiniment
    cordialement
    enseignat du FLE au MAROC

  • Merci pour ce commentaire limpide. Je comprend bien mieux car le plan de mon prof était complètement farfelu. Le votre, comme tout les commentaires de votre site est beaucoup plus clair et simple, vous savez tout organiser pour que ça semble logique et couler de source. Je vous assure que vous aidez toute une classe en détresse !!!

  • Pourquoi peut-on établir une analogie entre ce poème et celui de Louis Aragon, strophes pour se souvenir? Mercii
    P-S: votre site est un miracle ❤️

  • Bonjour je n’ai pas très bien compris ce que signifie « l’hymne à la beauté féminine ». Est ce que cela reviens à dire « Ce poème à la beauté féminine » ?

    Merci d’avance

    ps: C’est toujours une joie de retrouver un texte qu’on étudie sur votre site.

    • Tu ne dois pas chercher à répondre à la question de ton professeur en seulement deux mots. Ce qui fait la force de ce poème, c’est l’ensemble des éléments que j’analyse dans mon commentaire ! Lis le poème plusieurs fois puis lis attentivement mon analyse. Ensuite, ferme mon site internet et essaie de rédiger une réponse à partir des éléments dont tu te souviens.

  • Bonjour, j’aime beaucoup votre site donc tout d’abord un grand merciiii 🙂
    Est-ce que vous pourriez proposer une ouverture possible pour ce poème s’il vous plait.
    Merci d’avance

  • Bonjour, je suis en classe de troisième et je passe donc l’épreuve d’histoire des arts cette année. On nous demande de mettre en relation l’oeuvre qu’on a choisie avec une autre oeuvre (de n’importe quelle nature) Pourriez vous me donner des conseils quant à Barbara? merci d’avance!!

  • Bonjour,
    Je dois analyser le poème « Le chat et l’oiseau » de Jacques Prévert .
    Je dois donner le nombre de strophe(s) et combien chacune d’elle contient de vers ?
    Sur la copie que j’ai il n’y a qu’un blanc avant le dernier vers et de plus le poème est dit « libre » !
    Pouvez-vous m’aider s’il vous plaît ? En ma basant sur mes cours je ne trouve pas la solution, soit 2 strophes (25-1), soit pas de strophe ou 6 strophes (5-5-5-5-5-1) ?

    MERCI d’avance si vous pouvez m’éclairer car là je cale !!
    Amélie

  • Bonjour, bien que n’étant pas en 1ère (je suis en 3ème), votre site m’a été très utile quant à la réalisation de mon recueil de poésie. J’ai peut-être raté quelque chose mais j’ai une question : peut-on dire que ’’ Barbara’’ est un poème engagé ? C’est une des conditions pour qu’il fasse parti de mon recueil et j’aimerais bien le prendre. Merci d’avance.

  • bonjour je suis en troisième et j’étudie ce poème, notre professeur nous demande de trouver un sentiment d’espoir vers la fin de ce poème, pourriez vous m’aider ?

  • Bonjour, Merci pour tout ce que vous faite !
    Je voulais savoir quelle est le registre de ce poème. Est-ce comique, pathétique ou lyrique ?
    Merci 🙂

  • Bonjour, j’aimerais savoir, auriez-vous des ouvertures pour ce texte s’il vous plait ?

    PS: votre site est super ! il m’a beaucoup aidé, particulièrement pour les textes de Candide.

    Bonne journée et merci d’avance 🙂

  • bonjour
    quand un auteur est du XXe ou du XXIe, que mettre pour le mouvement littéraire s’il n’appartient à aucun cité en cours ?
    ici Prévert, à quel mouvement appartient il ?
    Peut on citer, le mouvement littéraire de l’absurde dès que la guerre figure dans le texte ?
    j’ai déjà tenté de poser cette question en cours mais, dès que l’on pose une question, on reçoit une pluie de ricanements, je n’ose plus poser de questions
    merci

    • Tous les auteurs ne se rattachent pas à un mouvement littéraire. Il ne faut donc pas chercher à mettre tous les auteurs dans des cases. Évoquez un mouvement littéraire uniquement lorsque vous êtes sûrs de vous à 100%.

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