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Voici une analyse du poème « El Desdichado » de Gérard De Nerval (1854).
El Desdichado, introduction
« El Desdichado » est issu du recueil Chimères publié en 1854 après deux crises de folie que Gérard de Nerval, encore très affecté par la mort de Jenny Colon en 1842, a subies en 1851 et 1853.
Le poème porte les traces de cette souffrance affective et s’inscrit de ce point de vue dans le romantisme.
Questions possibles à l’oral de français sur « El Desdichado »
♦ Expliquez le titre du poème « El Desdichado« .
♦ En quoi ce poème appartient-il au courant romantique ?
♦ En quoi le poème « El Desdichado » est-il une quête d’identité ?
♦ Quelle image du poète et de la poésie se dégage de ce poème ?
Plan de la lecture analytique :
Dans le cadre d’un romantisme noir, Nerval tente dans « El desdichado » de reconstruire son identité fragmentée par la folie (I) à travers une langue poétique nouvelle (II).
I – Un poème romantique
A – Un poème mélancolique
Le poème de Nerval est placé sous le signe de la mélancolie comme le montre le champ lexical de la tristesse : « inconsolé », « mélancolie », « consolée », « cœur désolé
».
Le poète est marqué par le deuil, notamment celui de l’actrice Jenny Colon décédée en 1842 et dont Gérard de Nerval a été amoureux.
La métaphore « Ma seule Etoile est morte
, » assimile la femme aimée à une étoile, une divinisation qui s’inscrit pleinement dans la poésie romantique.
Les termes du premier vers – « Ténébreux », « Veuf » et « Inconsolé » portent une majuscule. Ces majuscules font du poète une allégorie du veuvage et de la souffrance, comme si la mort s’inscrivait de manière indélébile dans son âme.
Le substantif « Veuf » est d’ailleurs mis en valeur par sa place dans le vers : il vient casser le rythme de l’alexandrin en (6//2/4), soulignant la brisure qui s’est produite dans l’âme du poète.
Le champ lexical des couleurs accentue l’atmosphère mélancolique du poème : « Ténébreux », « noir », « rose », « rouge
». Il s’agit de couleurs crépusculaires qui dessinent un tableau mélancolique.
B – Une quête d’identité
Dans « El Desdichado », Gérard de Nerval évoque une quête d’identité.
Le poème s’ouvre sur le pronom personnel « Je » qui est le sujet du poème et qui semble donc bien affirmé.
Mais l’identité du poète est marquée immédiatement par l’éclatement.
Tout d’abord, le titre du poème – « El desdichado » – en langue espagnole, crée une impression énigmatique comme si le poète ne parvenait pas à se définir avec la langue française.
Ensuite, dans le premier vers, le poète se définit par trois termes qui tournent autour de la thématique du deuil : « Ténébreux », « Veuf », « Inconsolé
». Nerval ne parvient donc pas à se définir en un seul mot. L’affirmation initiale « Je suis », péremptoire et presque théâtrale, laisse ainsi place à une identité démultipliée.
De plus, les tirets dans le poème donnent l’impression d’un dialogue intérieur comme si le poète utilisait plusieurs voix.
Cette polyphonie intérieure correspond bien à l’esprit romantique qui privilégie l’expression des sentiments et la sensibilité. Mettant en silence la voix unificatrice de la raison, Nerval fait entendre les multiples voix intérieures de l’âme.
Le « Je » du poème est donc rapidement dispersé. Ainsi, la forme affirmative « Je suis » laisse place à la forme interrogative qui suggère le doute : « Suis-je Amour ou Phebus ? …. Lusignan ou Biron
? ».
La conjonction de coordination exprimant l’alternative « …ou… » souligne encore davantage la perte d’identité du poète qui ne sait qui il est.
L’oxymore « le Soleil noir de la Mélancolie
» accentue encore la contradiction dans laquelle l’identité du poète se perd.
Transition : Dans « El Desdichado », l’identité du poète est donc dispersée, éclatée. Mais le poète tente de restaurer l’unité d’un moi en empruntant des identités multiples.
C – Le mysticisme romantique
Dans « El Desdichado », De Nerval semble faire une expérience mystique.
Le mysticisme romantique correspond à une dépersonnalisation : le poète perd son identité habituelle pour entrer en contact avec le divin.
C’est bien cette dépersonnalisation que l’on retrouve dans « El Desdichado » où Gérard de Nerval prend des identités multiples.
Le poète s’immerge tout d’abord dans un univers médiéval :
♦ « Le Prince d’Aquitaine » désigne Edouard de Woodstock (1330-1376) dit le Prince Noir un personnage à l’identité problématique lui aussi, à la fois Prince de Galles et Prince d’Aquitaine.
♦ « Lusignan » et « Biron » désignent des familles nobles et suggèrent les valeurs chevaleresques du Moyen Age.
Cette fascination pour le Moyen Age est une caractéristique du Romantisme noir, une variante du romantisme empreinte de mysticisme.
Ensuite, Nerval semble prendre l’identité du Christ. En effet, plusieurs références font songer à la passion du Christ :
♦ Le rythme ternaire du premier vers rappelle la figure de la Trinité et de la Croix : « le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé » .
♦ Le « front rouge » et les « Soupirs de la Sainte » évoquent l’épisode la crucifixion.
Cette dimension mystique apparaît ensuite à travers les allusions aux lames du tarot utilisées dans la cartomancie comme la « Tour abolie » qui rappelle l’arcane XVI « La maison Dieu » ou « Ma seule Etoile » qui fait référence à l’arcane XVII « l’Etoile ».
Nerval fait entrer le surnaturel dans le poème. Conformément à la tradition naissante de Romantisme noir, il considère que le poète est un interprète non seulement de la nature mais aussi du divin.
Cette dimension surnaturelle est accentuée par des références aux mythes gréco-latins :
♦ « Amour », fils de Venus, déesse de l’amour;
♦ « Phébus », dénomination latine d’Apollon;
♦ La « treille » qui fait référence à Dionysos;
♦ « l’Achéron »;
♦ «la lyre d’Orphée »
Ce champ lexical de la mythologie montre le caractère protéiforme du poète (= qui prend plusieurs formes). En endossant ces identités mythologiques, le poète dépasse son existence habituelle dans une sublimation du moi.
Transition : Mais c’est aussi grâce à une langue poétique nouvelle que le poète reconstruit son identité fragmentée.
II – La quête d’une nouvelle langue poétique
A – Une versification traditionnelle
Nerval se définit comme le « Desdichado », c’est-à-dire le déshérité.
Mais il semble vouloir retrouver un enracinement en convoquant la mythologie gréco-latine.
De plus, «Pausilippe », « mer d’Italie », la « treille », « la Grotte
» sont des espaces géographiques qui rappellent les Géorgiques
de Virgile comme si Nerval tentait de faire revivre la poésie latine.
On peut être surpris de voir que la versification est très traditionnelle dans ce poème. En effet, Nerval compose un sonnet (deux quatrains suivis de deux tercets). Les rimes des deux quatrains sont croisées (ABAB) et les deux tercets sont conçus selon le modèle rimique traditionnel (CDD CAA).
En reprenant cette versification traditionnelle, Gérard de nerval s’ancre dans la tradition. Mais il reste « Veuf » car cette langue originelle est morte et il se met en quête d’une langue nouvelle.
B – Le poète, un nouvel Orphée
Dans « El desdichado », Nerval se compare à Orphée.
Dans la mythologie grecque, Orphée est un poète et musicien qui joue de la lyre. Sa femme Eurydice meurt le jour de leur mariage. Il parvient à aller aux enfers pour la retrouver mais échoue à la faire revenir du monde des morts. Inconsolable, Orphée passe le restant de ses jours à errer et chanter accompagné de sa lyre.
Dans « El Desdichado », le parallélisme entre Nerval et Orphée est frappant :
Tout d’abord, comme Orphée, Nerval pleure une femme aimée, Jenny Colon disparue en 1842.
Ensuite, comme Orphée, Nerval va surmonter un obstacle de taille. Orphée traverse le fleuve qui entoure les enfers pour retrouver Eurydice. Nerval, lui, traverse l’Achéron, qui semble être une allégorie de la folie. En effet, le vers 12 « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron
» rappelle que Gérard de Nerval a traversé deux crises de folie en 1851 et 1853. Comme Orphée, Nerval parvient à dépasser cette épreuve comme le souligne le mot « vainqueur », adjectif épique par excellence.
Enfin, comme Orphée, Nerval transforme cette douleur en beauté par la poésie et la musique comme le montre le champ lexical de la musique : «luth », « modulant », « lyre », « Orphée
».
Les allitérations et assonances créent une musicalité qui donne une unité harmonieuse à un poème menacé de dissolution :
♦ Allitération en [m] : « Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé / Porte le Soleil noir de la Mélancolie
»);
♦ Allitération en [s] : « Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée
»);
♦ Assonances en [ou] et [on] « Suis-je Amour ou Phébus ? … Lusignan ou Biron ? / Mon front est rouge encor du baiser de la Reine
»
De plus, certains mots se dédoublent et se répondent comme « Tour » (v.2) et « tour à tour
» (v.13) mettant en relief l’harmonie de la langue.
C – L’invention d’une nouvelle langue
Nerval invente une nouvelle langue poétique.
S’il a recours à un sonnet traditionnel, Gérard de Nerval perturbe néanmoins la syntaxe des phrases dans des anacoluthes :
♦ « Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie
»;
♦ « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron
».
Ces distorsions syntaxiques montrent le besoin de sortir d’une langue enfermée dans la logique ou dans les principes rationnels.
Nerval souhaite donner à la langue une liberté nouvelle.
Il semble en outre sortir des codes d’écriture de la langue française. Le titre du poème est espagnol « El Desdichado » et l’utilisation presque systématique des majuscules pour les noms communs (« Ténébreux » « Veuf », « Inconsolé », « Prince », « Tour
»…) rappelle la langue allemande (En allemand, les noms communs portent des majuscules).
Nerval cherche ainsi à reconstruire une langue universelle.
A ce titre, la « Tour abolie » au v.2 peut faire songer à la Tour de Babel. Le poète est nostalgique d’une langue universelle ante-babélienne qui permettait d’unifier les hommes et la pensée.
El desdichado, Nerval, conclusion
« El Desdichado » de Nerval est une réponse à la folie qui menace le poète et qui l’emportera en 1855.
Figure majeure du romantisme noir français, Nerval est un alchimiste qui transforme le désordre et la folie en poésie.
Le mysticisme de Nerval intéressera les surréalistes qui verront en lui, avant Rimbaud, un voyant.
Ainsi, Arcane 17 d’André Breton est un hommage discret à Nerval, lointain précurseur selon lui du surréalisme.
Tu étudies El Desdichado de Nerval ? Regarde aussi :
♦ Les rimes en poésie (vidéo)
♦ Le Rouge et le noir, Stendhal : fiche de lecture
♦ Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand : résumé
♦ Tristesse, Musset : analyse
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Bonjour
Pensez vous que le poète réfléchit également sur la création poétique et le rôle du poète notamment par la métaphore avec Orphée ?
Bonjour,
Je voulais juste vous posez la question suivante : Ceci est un commentaire mais est-ce que cela fait également office de lecture linéaire pour l’oral du bac ?
Merci
Bonjour Sacha,
Pour l’oral, il faut proposer une lecture linéaire, ce qui implique de mettre les analyses de mon commentaire dans l’ordre, afin de suivre le fil du texte.
Quels sont les axes de lecture de ce poème ?
Bonjour. Dans votre analyse vous ne parlez pas du titre original de ce poème qui « le Destin ». Ce titre peut aussi aider à comprendre le texte.
Bonjour,
Effectivement, le premier titre était « Le Destin ».
Bonjour Amélie , merci pour ces explications très éclairantes et pertinentes, qui donne des lumières sur ce que je partage de ma vision de la poésie avec Nerval: un trait d’union entre la nature et le divin, c’est une bouffée d’oxygène, un pansement,pour ne pas dire un « pensement » que de pouvoir s’élevé au dessus du niveau du sol, et de sentir que l’on peut toucher les étoiles….
bonjour
C’est passionnant et très enrichissant, cependant il faut que je trouve les principales oppositions thématiques sur lesquelles s’articulent le sonnet (El DESDICHADO de Nerval) : -Ma seule etoile…de la mélancolie- mais après je suis un peu perdue
Je vous remercie
g eu 18 je vous ai déjà envoyé un message mais je ne connaissais pas mes résultats, j’étais super content mais à l’écrit j’ai eu 6 et cette année je refais ma première dans l’armée (il n’y avait pas le choix il faux avoir 18 ans pour passer le bac à l’armée) et premier bac blanc j’ai 2,5 sur 20 alors que j’ai fait une introduction un développement et une conclusion qui était pour moi correct mais pas pour la prof je pense que le français ne m’aime pas malgré mes efforts mais je ne perds pas espoir car des personnes comme vous existe il faut juste que je bosse régulièrement ce que je vais faire ces vacances qui pour moi sont d’une semaine
Salut Amélie. Je suis charmé par la pertinence de votre commentaire et bien sur sa profondeur. Et on pouvait garder le contact!!! Quelle différence y aurait-il entre Hugo et Nerval puisque tous les deux vivent la mélancolie et l’exprime poétiquement?
Interessant je sai ke chui la derniere à lire sa mai bah je sui vraimen sidérée par ttout ceci des explications claires et nettes j’ai ce texte en guise d’exercice mai je vois ke je serai pertinente dans mes dires merci
je suis bien sidéré par ce travail hautement intellectuel. Je suis certain, cela participe à l’amélioration de notre niveau en français et surtout dans l’acquisition et la rédaction du commentaire composé. merci à vous et bon courage. Personnellement je suis satisfait et content de vous.
Merci ! Tu as raison : la lecture de commentaires aide à comprendre les enjeux de l’exercice et à affiner le regard qu’on porte sur les textes. C’est un très bon exercice !
Bonjour je voulais vous remerciez pour tous ce que vous faites j’ai eu mon oral ce matin je suis tombé sur El Desdichado un poème que vous avez fait il n’y a pas longtemps je l’ai appris par cœur et j’ai super bien géré. Autre chose que j’ai acqui grâce à vous, au cours de l’année plusieurs fois j’avais envi de tous lâcher je pensais que ce que je faisais ça ne servait à rien je vais pas y arriver je vais tomber sur un texte que je ne maîtrise pas. Ben grâce aux personnes comme vous, je m’en sort super bien et je saurais l’année prochaine pour la deuxième partie du bac qu’il ne fait jamais rien lâcher même si on a l’impression qu’on fait du caca, y aura toujours quelqu’un pour t’aider si vraiment tu es perdu.
Bonjour, peut-on dire qu’il y a une dimension autobiographique dans ce poème ?
Bien sûr, tout cela est expliqué dans mon commentaire.
merci beaucoup amelie je suis pleinnement satisfaite du commentaireton aide m a ete tres precieuse
Très bonne analyse, passionnante ! En revanche, j’ai noté une petite coquille, il n’y a pas de tiret à Moyen Âge. 🙂
Merci pour ton message Chris. Effectivement, j’ai corrigé la coquille !