Les Caractères, La Bruyère, Irène : analyse

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Voici une analyse du portrait d’Irène issu du livre XI « De l’homme» des Caractères de Jean de La Bruyère.

Le portrait d’Irène correspond à la remarque 35 du livre XI. Il est étudiée ici en intégralité.

Irène, Les Caractères, introduction

Dans Les Caractères, publiés en 1688, La Bruyère dresse une série de portraits qui présentent des contre-modèles pour la société classique, portée vers les valeurs de mesure, de modération, de civilité et de vérité.

La Bruyère propose ainsi dans son oeuvre un regard critique sur les hommes et sur l’ignorance de leur propre condition humaine.

Dans son livre XI, intitulé « De l’Homme », il mène une réflexion sur ce qui constitue la nature humaine.

Son constat est pessimiste : l’homme est vaniteux, inconstant, égoïste. Il craint la mort sans savoir apprécier la vie.

Tel est le cas d‘Irène dont il fait le portrait dans la remarque 35 du livre XI. Cette femme hypocondriaque vient consulter un oracle pour trouver une solution à ses maux.

Texte analysé

Irène se transporte à grands frais en Epidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux, D’abord elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu’elle vient de faire. Elle dit qu’elle est le soir sans appétit ; l’oracle lui ordonne de dîner peu : elle ajoute qu’elle est sujette à des insomnies, et il lui prescrit de n’être au lit que pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l’oracle répond qu’elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher : elle lui déclare que le vin lui est nuisible ; l’oracle lui dit de boire de l’eau ; qu’elle a des indigestions, et il ajoute qu’elle fasse diète. « Ma vue s’affaiblit, dit Irène. — Prenez des lunettes, dit Esculape. — Je m’affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j’ai été. — C’est, dit le dieu, que vous vieillissez. — Mais que moyen de guérir de cette langueur ? — Le plus court, Irène, c’est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. — Fils d’Apollon, s’écrie Irène, quel conseil me donnez-vous ? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre ? Que m’apprenez-vous de rare et de mystérieux ? et ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m’enseignez ? — Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ? »

Les Caractères, La Bruyère, livre XI « De l’Homme », remarque 35

Problématique

En quoi le portrait d’Irène permet-il à La Bruyère de faire la satire des courtisanes et de la soif qu’à l’Homme de la jeunesse éternelle ?

Annonce de plan linéaire

Nous étudierons cette remarque 35 en trois mouvements.

Dans un premier mouvement, La Bruyère met en place une saynète de comédie, en s’inscrivant dans l’esthétique classique du 17ème siècle.

Dans un deuxième mouvement, il réalise, à travers Irène et son oracle, la satire des courtisanes et de la médecine.

Enfin, dans un troisième temps, l’oracle prend la figure du philosophe et rappelle à l’homme la fragilité de sa condition.

I – La mise en place d’une saynète dans l’esthétique classique du XVIIème siècle

De « Irène se transporte » à « tous ces maux »

Par le prénom «Irène» Jean de La Bruyère se situe d’emblée dans un registre comique.

«Irène» vient en effet du grec «Eiréné» qui signifie «paix».

Or elle est justement un personnage inquiet et sans paix intérieure comme le montre la succession des trois verbes d’action « se transporte« , « voit« , « consulte » et l’hyperbole «tous ses maux».

La Bruyère transporte plaisamment le lecteur dans l’univers de la mythologie grecque puisque «Epidaure» était le sanctuaire d’«Esculape» (Asclépios) le dieu gréco-romain de la médecine.

Les lecteurs du XVIIème siècle étaient amateurs de références à la mythologie grecque comme en témoignent le succès ses pièces de Racine.

La Bruyère profite de cette occasion pour réaffirmer brièvement son soutien aux Anciens dans la Querelle des Anciens et des Modernes en donnant vie à un personnage hérité de la culture hellénistique.

Le rythme ternaire de la phrase, «Irène se transporte, (…) voit Esculape (…) et le consulte (…)» donne une impression d’équilibre dans le goût classique.

Les allitérations en (p) et (s) «Epidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux» confère une musicalité harmonieuse.

La Bruyère pose ainsi subrepticement mais efficacement les principes de l’art poétique (art d’écrire) prônés durant la période classique : héritage de l’Antiquité, équilibre, modération, harmonie, ce qui le place du côté des Anciens dans la fameuse querelle.

La Bruyère joue également avec le lecteur sur l’espace et le temps : si Irène «se transporte à grands frais en Epidaure», c’est parce qu’elle vient de loin.

Or La Bruyère se plaît à entretenir une sorte de mystère sur son origine. Car Irène est un prénom à la fois donné en Grèce Antique mais aussi au XVIIème.

Le moraliste place ainsi le personnage dans un flou spatio-temporel : Irène semble en réalité venir du XVIIème siècle pour se ressourcer et s’apaiser dans l’Antiquité.

II – La satire des courtisanes et de la médecine

De «D’abord elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue » à… »et je ne suis ni si forte ni si saine que j’ai été»

«Irène» a d’ailleurs tout d’une dame de cour du XVIIème siècle.

À travers le champ lexical de la paroleelle se plaint», «prononce que», «Elle dit», «lui ordonne», «Elle ajoute», «Elle lui demande»), La Bruyère pointe l’hypocondrie d’Irène dont les symptômes de maladie sont infinis.

La redondancelasse et recrue de fatigue») dresse le portrait satirique de la précieuse (=femme qui cherchait à se distinguer par des manières et un langage raffinés).

Le médecin est mentionné par la périphrase ironique «le dieu».

Ce dernier essaie de donner une explication rationnelle et scientifique aux malaises ressentis.

Or, il exprime un truisme(= une vérité évidente) : «lasse» / «longueur du chemin qu’elle vient de faire».

L’allitération en « l » cela lui arrive par la longueur du chemin qu’elle vient de faire»), par les sonorités liquides, trahit un discours peu solide, qui n’a rien d’un raisonnement scientifique.

Le champ lexical religieux qui qualifie le médecindieu», «oracle», «oracle», «dieu», «Fils d’Apollon» plus tard) crée un effet comique en montrant le caractère non scientifique de la médecine de son époque.

Le registre comique est accentué par le paradoxe: «l’oracle lui ordonne de dîner peu». Le verbe «ordonne», à la modalité impérative, ne correspond pas à l’oracle qui devrait théoriquement annoncer ce qui doit advenir.

La Bruyère joue sur les termes scientifiques pour les dévaloriser: le terme «prescrit» n’est pas suivi par un traitement mais pas une attitude quotidienne et prosaïque «de n’être au lit que pendant la nuit».

La Bruyère critique le goût pour l’oisiveté. Ainsi, la négation restrictive «n’être au lit que pendant la nuit» est un trait humoristique et ironique qui dénonce la paresse d’Irène.

La Bruyère laisse transparaître la disgrâce de certaines courtisanes à travers l’adjectif polysémique «pesante» qui signifie à la fois fatiguée physiquement, mais aussi encombrante socialement.

Le moraliste poursuit l’ironie en invoquant le fait de «se lever avant midi» : Irène n’a donc pas d’activités familiales ou sociales. Elle se caractérise par sa position horizontale comme si elle avait perdu son énergie vitale.

La Bruyère accentue l’effet comique par la proposition «et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher».

Le verbe «se servir de» transforme le corps humains («ses jambes») en simple outil comme si Irène devenait une chose et les membres de son corps un simple instrument.

La locution prépositionnelle «pour marcher» souligne ironiquement que le corps d’Irène a perdu sa finalité et son intentionnalité : les jambes ne marchent plus, les yeux ne voient plus bien «Ma vue s’affaiblit».

La Bruyère dresse, à travers Irène, un portrait ironique de la courtisane: par ses excès, par ses frivolités, la courtisane ne s’appartient plus, son corps lui fait défaut, et, pour ainsi dire, elle se perd elle-même.

Il poursuit son tableau ironique par une apparente satire de la médecine.

Esculape ne propose en effet comme remèdes que des truismes (figure de style qui énonce une vérité évidente, banale): «le vin est nuisible / boire de l’eau», «indigestions / qu’elle fasse diète», «Ma vue s’affaiblit / Prenez des lunettes».

Mais le moraliste va déplacer progressivement sa critique sur l’homme lui-même et son désir de jeunesse éternelle.

Car ce n’est pas tant le médecin qui est critiqué que son patient

III – L’oracle : un philosophie qui rappelle la fragilité de la condition humaine

De «C’est, dit le dieu, que vous vieillissez » à « Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage« 

Jusqu’ici, l’échange entre Irène et Esculape se faisait au discours indirect.

À partir de ce troisième, La Bruyère fait parler ses personnages au discours direct comme l’attestent les guillemets et tirets.

Par le discours direct, l’écrivain rapproche cette scène d’une scène de théâtre et utilise une thématique classique chez les Moralistes du Grand siècle : le monde est un théâtre où les hommes se bercent d’illusion.

La Bruyère donne alors à Esculape le rôle d’un philosophe qui révèle la vérité de l’homme.

Irène utilise des tournures négatives «je ne suis ni si forte ni si saine que j’ai été» qui paraissent exprimer des fragilités de santé.

Esculape emploie le présent de vérité générale et un ton soudain philosophique : «C’est, dit le dieu, que vous vieillissez».

La tournure «C’est …que» a un sens causal et s’inscrit dans une démarche explicative et philosophique.

Esculape, jusqu’à présent assez piètre médecin, devient soudain comme Socrate, le philosophe grec, qui fait accoucher de la vérité par le dialogue.

Le ton se fait sérieux et grave. Sa parole se rapproche du memento mori (souviens-toi que tu meurs) du XVIème et XVIIème siècle soulignent la brièveté de la vie.

Irène souhaite ramener Esculape dans le domaine de la médecine comme le montre le champ lexical de la médecine «affaiblit», «affaiblis», «forte», «saine», «guérir», «langueur». C’est une façon pour elle de fuir sa condition humaine.

Mais Esculape revient dans le domaine de la philosophie avec le verbe «mourir» qui rappelle la sagesse de Montaigne dans les EssaisPhilosopher, c’est apprendre à mourir»).

En mentionnant sa généalogie «votre mère et votre aïeule», Esculape sort du domaine de la santé personnelle pour atteindre la condition de tous les hommes, fidèle en cela aux principes du classicisme qui souhaitait à travers les cas particuliers atteindre les vérités universelles (d’où l’appartenance de ce texte à la partie «De l’Homme»).

Par la périphrase «Fils d’Apollon», Irène place Esculape dans la descendance d’Apollon, Dieu des Arts et de la Beauté, et se place elle-même dans une démarche existentielle.

Elle adopte une tonalité tragique à travers une suite d‘interrogations qui apparente sa réplique à une tirade tragique comme si elle voyait clairement la fragilité de la condition humaine.

Le champ lexical de la science: «science», «m’apprenez-vous », «ne savais-je», «m’enseignez» est invoqué en vain : la médecine ne guérit pas de la condition de l’homme.

Irène en fait pourtant le reproche à Esculape dans un dernier sursaut : « ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m’enseignez ?« 

Mais Esculape lui répond par une pointe qui met fin au dialogue: «Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin et abréger vos jours par un si long voyage?»

Ici La Bruyère rend à Esculape le ton d’un oracle, à la fois mystérieux et ironique, prenant Irène au piège de ses illusions.

Par sa question rhétorique, Esculape retrouve le genre des Vanités (=nature morte symbolisant la brièveté de l’existence) en utilisant le verbe «abréger».

Le portrait d’Irène, Les Caractères (livre XI, remarque 35), conclusion

Par ce texte en apparence léger, La Bruyère se place dans la perspective des Moralistes du Grand Siècle.

À travers le type de la courtisane, il vient dresser un portrait de la fragilité de l’homme, de la brièveté de sa condition.

Partisans des Anciens, il est un des derniers représentant du classicisme avant que ne s’ouvre le XVIIIème siècle et le mouvement rococo, présentant une image de l’homme moins tragique.

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Amélie Vioux

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