Phédon, Les Caractères, La bruyère : analyse

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Voici un commentaire linéaire du portrait de « Phédon » issu du livre VI « Des Biens de fortune » des Caractères de La Bruyère.

Phédon, Les caractères, introduction

Les Caractères (1688-1696) de Jean de La Bruyère dénonce les vices d’une société où l’argent et les apparences valent davantage que le mérite et la vertu.

C’est un portrait pessimiste de l’humanité que dresse La Bruyère dans son œuvre même si le moraliste entend «être utile, et non blesser» (épigraphe).

À travers ses « remarques » allant de la maxime philosophique au portrait mondain, il divertit le lecteur tout en lui adressant un miroir critique où méditer sur sa condition humaine et sociale.

En cela, Les Caractères est une œuvre qui cherche à plaire et instruire et s’inscrit pleinement dans le classicisme. (Voir la fiche de lecture des Caractères de La Bruyère)

« Phédon » constitue le dernier portrait de la sixième partie, « Des Biens de Fortune » dans laquelle le moraliste dénonce l’importance croissante de l’argent.

Phédon est justement dénué d’argent, ce qui affecte sa santé autant que son attitude en société.

Extrait analysé

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre; il dort peu, et d’un sommeil fort léger; il est  abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide: il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui  sont connus; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais  froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur  avis; il court, il vole pour leur rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses  affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche doucement et légèrement, il semble  craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. Il n’est jamais du nombre de  ceux qui forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se  retire si on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur  ses yeux pour n’être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n’y a point de rues ni de galeries si  embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. Si on  le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège; il parle bas dans la conversation, et il articule mal; libre  néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il  n’ouvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il  soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie: il n’en coûte à personne ni salut ni compliment.  Il est pauvre.

Phédon, « Des Biens de fortune », Les Caractères (VI, 83), La Bruyère

Problématique

Comment le portrait dépréciatif de Phédon, homme pauvre à la timidité excessive, témoigne-t-il d’une société où l’argent fonde l’individu ?

Annonce du plan linéaire

Dans une première partie, du début à « stupide », La Bruyère dresse le portrait physique de Phédon, homme à la faiblesse maladive.

Puis, de « il oublie » à « timide », le moraliste dépeint l’incapacité de Phédon à converser.

Ensuite, dans le troisième mouvement, de « il marche doucement » à « sans être aperçu », La Bruyère montre que Phédon est inexistant dans l’espace social.

Et enfin, de «Si on le prie» à la fin, le moraliste explique le malaise de Phédon par sa pauvreté.

I – Le portrait physique de Phédon, homme à la faiblesse maladive

(Du début à « stupide »)

Le portrait de Phédon est d’abord physique et dépréciatif, comme en témoignent les adjectifs à la connotation péjorative : « Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre ».

La précision des descriptions du visage est presque médicale. Elle met l’accent sur la mauvaise santé du personnage.

La faiblesse de cette santé est ensuite expliquée : « il dort peu, et d’un sommeil fort léger ». Le lecteur comprend aisément que Phédon est l’antithèse de Giton qui dort nuit et jour.

Ce déficit de sommeil semble influer sur la personnalité même de Phédon : « il est abstrait, rêveur », comme si son sommeil insuffisant le plongeait dans une somnolence permanente. Il peut même sembler surprenant que le moraliste se consacre à une figure aussi insignifiante. Mais l’œuvre de La Bruyère est justement de dresser un panorama complet des caractères humains.

II – L’incapacité de Phédon à converser

(De «il oublie» à «timide»)

La suite du portrait souligne les comportements paradoxaux de Phédon, exprimés par des antithèses : « et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide : il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui sont connus ; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal ».

Ces antithèses mettent en valeur l’opposition entre l’apparence (« stupide », « oublie » ) et la vérité (« de l’esprit », « sait » ).

Phédon n’est donc pas sot mais il ne sait pas faire valoir ses qualités en société.

Aussi, ses prises de paroles ne suscitent pas l’intérêt : « il conte brièvement, mais froidement ; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. » La parataxe (juxtaposition de propositions, sans mots de liaison) et les négations totales (ne…pas; ne…point) restituent la nullité des réactions qu’il provoque.

Cette incapacité à converser est jugée sévèrement dans un 17e siècle où la conversation est considérée comme une marque de mérite et d’esprit.

Si Phédon ne sait pas faire réagir par ses propos, il surréagit à ceux des autres : « Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ». La répétition du pronom personnel « il » et les verbes d’action témoignent d’un enthousiasme excessif, dépeint ici comme une faiblesse, une forme de sujétion.

Cette infériorisation de soi se traduit également dans l’attitude de Phédon : « il court, il vole pour leur rendre de petits services. » La gradation hyperbolique « court…vole » est comique et montre que Phédon adopte une position subalterne.

Si Phédon pouvait jusqu’alors susciter l’empathie voire la sympathie, la suite de son portrait, plus dépréciative, suscite la désapprobation du lecteur : Phédon « est complaisant, flatteur, empressé ». L’énumération ternaire d’adjectifs péjoratifs inscrit Phédon dans la catégorie des flatteurs et des courtisans.

Il camoufle ses intérêts par hypocrisie et malhonnêteté : « il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur ». Le verbe « mentir » éloigne Phédon de la vérité.

La surabondance d’adjectifs participe d’une volonté de La Bruyère de portraiturer finement un caractère social et de démasquer le mensonge : « il est superstitieux, scrupuleux, timide. »

L’adjectif « superstitieux » est bien sûr péjoratif : le moraliste catholique réprouve la « superstition » qui s’écarte de la foi véritable.

Mais l’écriture de La Bruyère conserve un caractère mondain qui la rend plaisante, et qui favorise ainsi l’adhésion du lecteur. Ce dernier se divertit en reconnaissant son environnement social dans les tableaux du moraliste.

III – L’inexistence de Phédon dans l’espace social

(De « il marche doucement » à « sans être aperçu »)

Le satiriste décrit ensuite la manière avec laquelle Phédon occupe l’espace : « Il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. »

Les adverbes « doucement » et « légèrement », par leur longueur, restituent la démarche excessivement prudente de Phédon.

Les phrases négatives accentuent l’inexistence sociale du personnage : « Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir« , tout comme le champ lexical de l’effacement : « doucement », « légèrement », « les yeux baissés », « derrière », furtivement », « se retire » .

La pauvreté de Phédon, sans être énoncée explicitement, est devinée par le lecteur car ce portrait suit celui de Giton (l’homme riche) et clôt la partie « Des Biens de Fortune » qui dénonce l’importance de l’argent dans la société.

Ainsi, la pauvreté pousse le personnage à une extrême timidité. C’est donc le positionnement social qui conditionne la position de l’individu dans la conversation.

L’argent a une telle importance que celui qui n’en possède pas est exclu de la société comme en témoigne les nombreuses négations totales : « Il n‘occupe point de lieu, il ne tient point de place ».

Phédon devient invisible, presque fantomatique, comme le souligne les négations : « il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n’être point vu […] il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu ».

C’est donc l’argent seul qui fait exister les individus.

IV – Le malaise de Phédon du fait de sa pauvreté

(De «Si on le prie» à la fin)

Ne pas avoir d’argent plonge Phédon dans un inconfort tel qu’il devient inapte à l’interaction sociale, comme en témoigne son incapacité à émettre une parole intelligible : « il parle bas dans la conversation, et il articule mal ».

L’insignifiance de Phédon constitue cependant une qualité aux yeux du moraliste, puisqu’il est « libre néanmoins sur les affaires publiques ».

L’adverbe d’opposition « néanmoins » marque une nuance : ne pas avoir d’argent libère Phédon des entraves sociales. La Bruyère rappelle que la fortune est donc aussi une sujétion.

Phédon semble même rejoindre La Bruyère dans sa dénonciation sociale, puisqu’il est « chagrin contre le siècle ».

Les dernières remarques portent sur les attitudes de Phédon : « il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi ». Les allitérations en « s » et « ch » font entendre les crachotements de Phédon et achèvent de le ridiculiser.

L’ultime phrase (« Il est pauvre. ») est marquante par sa brièveté qui s’oppose à l’ampleur des périodes oratoires.

Cette rupture brutale du rythme restitue la brutalité d’une société qui exclut le pauvre de son champ.

Cette chute invite le lecteur à relire le portrait à l’aune de la pauvreté de Phédon.

Portrait de Phédon, conclusion

Nous avons montré comment le portrait dépréciatif de Phédon, homme pauvre à la timidité excessive, témoigne d’une société où l’argent fonde l’individu.

Jean de La Bruyère a choisi de conclure la partie consacrée aux « Biens de Fortune » sur les effets de l’absence de fortune.

Phédon, incarnation de l’homme pauvre, apparaît presque comme un « déchet » du corps social, un organe malade et ridicule. Sa pauvreté le condamne aux yeux d’une société qui fait primer la fortune sur la vertu.

Ce portrait constitue un diptyque (=œuvre en deux parties) avec celui qui le précède : Giton, l’homme riche. Ces deux portraits se lisent en regard l’un de l’autre.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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un commentaire

  • Bonjour Amélie, je vous remercie pleinement de vos efforts pour les exercices littéraires qui ne sont pas si simples, à la manière de commentaire ou de la dissertation, votre méthode est claire. Bonne continuation

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