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Voici une lecture linéaire pour l’oral de français de la remarque 15 du livre IX des Caractères de Jean de La Bruyère : le portrait de Théophile.
Le portrait de Théophile, introduction
Dans Les Caractères (1688), La Bruyère propose une réflexion critique sur la société de son temps et sur les caractères humains, dans des maximes, des remarques et de brefs portraits satiriques. (Voir ma fiche de lecture pour le bac des Caractères de La Bruyère)
En tant que moraliste, il s’attaque aux dérives qu’il observe à la Cour de Louis XIV, au jeu des apparences et à l’hypocrisie des ambitieux.
Le portrait de Théophile prend place dans le livre IX, intitulé « Des grands », qui traite du rapport des hommes au pouvoir.
Homme d’église – son nom signifie « qui aime dieu » (theo- : « dieu » ; phil- « aimer » en grec) –, Théophile est une sorte de Tartuffe (Molière, 1669) : la compagnie des puissants, l’approche du pouvoir par l’hypocrisie et l’intrigue lui importent plus que la religion.
Extrait étudié
Quelle est l’incurable maladie de Théophile ? Elle lui dure depuis plus de trente années, il ne guérit point : il a voulu, il veut, et il voudra gouverner les grands ; la mort seule lui ôtera avec la vie cette soif d’empire et d’ascendant sur les esprits. Est-ce en lui zèle du prochain ? est-ce habitude ? est-ce une excessive opinion de soi-même ? Il n’y a point de palais où il ne s’insinue ; ce n’est pas au milieu d’une chambre qu’il s’arrête : il passe à une embrasure ou au cabinet ; on attend qu’il ait parlé, et longtemps et avec action, pour avoir audience, pour être vu. Il entre dans le secret des familles ; il est de quelque chose dans tout ce qui leur arrive de triste ou d’avantageux ; il prévient, il s’offre, il se fait de fête, il faut l’admettre. Ce n’est pas assez pour remplir son temps ou son ambition, que le soin de dix mille âmes dont il répond à Dieu comme de la sienne propre : il y en a d’un plus haut rang et d’une plus grande distinction dont il ne doit aucun compte, et dont il se charge plus volontiers. Il écoute, il veille sur tout ce qui peut servir de pâture à son esprit d’intrigue, de médiation et de manège. À peine un grand est-il débarqué, qu’il l’empoigne et s’en saisit ; on entend plus tôt dire à Théophile qu’il le gouverne, qu’on n’a pu soupçonner qu’il pensait à le gouverner.
Les Caractères, La Bruyère, livre IX « Des Grands », remarque 15.
Problématique
Quel caractère, plus inquiétant que ridicule, se dévoile progressivement dans ce portrait satirique ?
Annonce du plan linéaire
Du début de la remarque 15 jusqu’à «une excessive opinion de soi-même
», La bruyère présente avec ironie l’«incurable maladie
» du pouvoir.
De «il n’y a point de palais
» à «il faut l’admettre
», sont énumérés les procédés par lesquels Théophile, en parasite, parvient à infiltrer les sphères du pouvoir.
Enfin, dans la dernière partie du portrait de Théophile, se dessine le profil d’un inquiétant prédateur.
I- Théophile : un malade incurable
(du début jusque «excessive opinion de soi-même
»)
Le personnage est introduit par une interrogation ironique et moqueuse qui suscite la curiosité du lecteur : «Quelle est l’incurable maladie de Théophile ?
».
L’adjectif hyperbolique « incurable » nous met d’emblée sur la voie de la satire.
Le narrateur joue ensuite sur l’attente du lecteur (ou suspense). La phrase suivante n’apporte en effet pas de réponse ; elle confirme la gravité et la durée de cette maladie sans la nommer : «elle lui dure depuis plus de trente années, il ne guérit point
». La négation totale dans la dernière proposition tombe comme un couperet : le cas de Théophile semble désespéré.
La Bruyère définit ensuite cette «incurable maladie
» : «il a voulu, il veut et il voudra gouverner les grands
». Le polyptote* sur le verbe vouloir (*fait de répéter un même mot sous plusieurs formes grammaticales) conjugué au passé composé, au présent et au futur, insiste sur l’obsession de Théophile et la permanence temporelle de sa maladie.
La rude allitération en « r », dans « voudra gouverner les grands
», souligne combien cette soif de pouvoir est puissante.
Sa maladie est telle que la mort apparaît comme le seul moyen de guérison : «la mort seule lui ôtera avec la vie…
». Cette référence à la mort, emphatique et faussement tragique, fait sourire le lecteur et confirme l’incurabilité de Théophile.
Trois termes soulignent l’obsession de Théophile pour le pouvoir : « gouverner », « empire », « ascendant ».
Enfin, la métaphore de la « soif » montre le caractère inextinguible de cette folie : «La mort seule lui ôtera avec la vie cette soif d’empire et d’ascendant.
»
Les trois interrogations suivantes sont ironiques. Elles présentent chacune une hypothèse pour expliquer l’origine de cette soif de pouvoir :
- la première, «
Est-ce en lui zèle du prochain ?
», fait mine de croire que cette passion viendrait de la bonté de caractère de Théophile et de sa générosité pour ses semblables. - L’interrogation suivante, «
est-ce habitude ?
», nous porterait vers l’idée d’une attitude répétitive et presque inconsciente d’elle-même. - La troisième, enfin, soupçonne «
une excessive opinion de soi-même
»: le personnage s’estimerait au-dessus de tout
.
Bien qu’aucune de ces interrogations ne reçoive de réponse, l’adjectif « excessive » et le terme « zèle » constituent des blâmes qui confirment la démesure du personnage.
II- Théophile : le parasite en action
(de « il n’y a point de palais » à « il faut l’admettre »)
Jean de la Bruyère présente ensuite Théophile en action, dans les lieux où il opère.
Dans «Il n’y a point de palais où il ne s’insinue
», la négation totale (ne…point) signale qu’aucun des lieux de pouvoir ne lui échappe.
Le verbe « s’insinue » est péjoratif et suggère un personnage intrusif, qui entre là où il n’est pas invité, adroitement, par ruse.
Les propositions suivantes confirment la sournoiserie du personnage.
En effet, une nouvelle négation, « ce n’est pas au milieu d’une chambre qu’il s’arrête », témoigne du caractère excessif de son comportement intrusif, qui le porte jusqu’ « au cabinet », lieu où se font conversations intimes et décisions politiques.
Là, Théophile semble tout-puissant : « on attend qu’il ait parlé
». Le narrateur adopte, grâce au pronom « on », le point de vue de l’auditoire, prisonnier des longs discours de Théophile.
Cette « attente » se caractérise en effet par l’impatience et l’ennui, comme le montre la double précision «et longtemps et avec action
», alourdie par la répétition de la conjonction « et ».
De plus, «avec action
» suggère que Théophile accompagne son discours d’attitudes et de gestes théâtraux : il agit ainsi «pour avoir audience, pour être vu
». L’asyndète (ou juxtaposition) des deux propositions crée un balancement qui souligne l’expression « être vu » et le thème des apparences.
Théophile ne s’insinue pas seulement dans les espaces, mais aussi dans les esprits puisqu’« il entre dans le secret des familles
», où il se donne de l’importance en toutes circonstances : « il est de quelque chose dans tout ce qui leur arrive de triste ou d’avantageux
».
Son omniprésence est marquée par l’adverbe « tout » et l’antithèse « de triste ou d’avantageux » : il est partout présent, en toutes circonstances.
L’énumération d’actions qui suit le montre dans tout son ridicule, courant partout pour se mêler de « tout »: «il prévient, il s’offre, il se fait de fête, il faut l’admettre
». La juxtaposition de courtes propositions et l’omniprésence du pronom personnel « il » restituent l’agitation du personnage qui veut passer pour indispensable.
La tournure impersonnelle «il faut l’admettre
» indique l’obligation où chacun se trouve de le laisser agir.
Théophile vainc donc par son impudence : on ne parvient pas à se débarrasser de lui. Il ressemble à la mouche dans « Le Coche et la mouche » des Fables de La Fontaine.
III- Un inquiétant prédateur
De « Ce n’est pas assez pour remplir
» à la fin de la remarque 15
Mais cet ambitieux choisit ses « proies ».
Chargé du salut de «dix mille âmes
», formule hyperbolique qui signifie que son temps serait largement occupé s’il remplissait son rôle d’homme d’église, il méprise ses paroissiens, comme le suggère la négation : «ce n’est pas assez pour remplir son temps ou son ambition
».
Son attention est dirigée vers un autre type d’« âmes » : «il y en a d’un plus haut rang et d’une plus grande distinction
». Seuls l’intéressent les « grands », «dont il ne doit aucun compte, et dont il se charge plus volontiers
: ces deux propositions s’opposent (« ne doit aucun compte
» et «se charge
» sont antithétiques), mais La Bruyère les relie par la conjonction de coordination « et » et non par « mais », pour souligner avec ironie le paradoxe. Théophile se mêle donc bien de ce qui ne le regarde pas.
Enfin, comme un prédateur tapi dans l’ombre, « il écoute, il veille
».
Le terme de « pâture
» confirme la métaphore de la prédation et de la dévoration.
Théophile fond sur sa proie : «À peine un grand est-il débarqué, qu’il l’empoigne et s’en saisit
». Ces deux verbes soulignent la violence de l’action : « empoigner » désigne un geste engageant le « poing » ; « se saisir de » renvoie à une action brusque.
Le « grand » est ainsi pris au piège dans les serres de Théophile.
L’énumération «son esprit d’intrigue, de médiation ou de manège
» restitue les manœuvres retorses du personnage. Théophile devient une sorte de rapace ou de vampire pour ses semblables.
La chute du portrait revient à la fois sur l’obsession du pouvoir de Théophile (le verbe « gouverner » est présent deux fois dans la phrase) et sur la rapidité de prédateur (« on entend plus tôt dire… que… »).
Le parallélisme final dénonce le jeu des apparences : Théophile est plus prompt à se vanter de ses manigances que ses spectateurs à les deviner («on entend plus tôt dire à Théophile qu’il le gouverne, qu’on n’a pas pu soupçonner qu’il pensait à le gouverner
»).
Portrait de Théophile, La Bruyère, Conclusion
Théophile se dévoile donc par étapes : moqué tout d’abord pour sa ridicule passion du pouvoir, il se révèle religieux hypocrite (et donc mal nommé), parasite intrusif et manipulateur tout-puissant. Les « grands » sont victimes de ses machinations.
Prédateur, Théophile représente le type inquiétant de l’ambitieux, marqué par l’esprit d’intrigue et l’hybris ( qui signifie « démesure », « outrance » en grec), contraires à la mesure qui fonde l’idéal classique de l’« honnête homme ».
Il est l’un des caractères de ce theatrum mundi (théâtre du monde) corrompu par l’argent, le pouvoir et le jeu des apparences. Ce vif portrait en action peut-être mis en parallèle avec le portrait d’un autre « Grand », Pamphile, l’aristocrate orgueilleux et hypocrite dépeint dans la remarque 50 du livre IX.
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