Proust, l’épisode de la madeleine : analyse linéaire

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Voici une analyse ligne par ligne d’un célèbre extrait issu Du côté de chez Swann de Marcel Proust.

Le passage étudié va de « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. » à « l’édifice immense du souvenir. »

Cet extrait peut être mis en relation avec Sido et Les Vrilles de la vigne de Colette, dans le cadre du parcours « La célébration du monde » .

Proust, la madeleine, introduction

Marcel Proust, écrivain majeur du 20ème siècle, est l’auteur de À La Recherche du temps perdu, une œuvre monumentale composée de 7 tomes dans laquelle il s’intéresse à la mémoire et au temps qui passe.

Notre extrait est tiré du premier tome intitulé Du côté de chez Swann.

Ce passage est particulièrement célèbre dans la littérature française. Marcel Proust y évoque de manière très poétique la dégustation d’une madeleine trempée dans du thé.

Le goût de ce gâteau et du liquide chaud fait surgir un souvenir de son enfance qui était profondément enfoui dans sa mémoire.

Il décrit ainsi une expérience universelle, qui relève de la mémoire involontaire, lorsque l’un de nos sens provoque une réminiscence.

Extrait étudié

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté́ ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.

(…) Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

Problématique

Comment le narrateur explique-t-il le processus de la mémoire involontaire, à l’origine d’un souvenir de son enfance ?

Annonce du plan linéaire

Dans un premier mouvement, le narrateur s’attache à décrire de manière exhaustive l’apparition de son souvenir.

Dans un deuxième mouvement, il explique comment la mémoire s’effrite sous l’effet du temps.

Dans un troisième temps, il montre la puissance du goût et l’odorat qui peuvent faire surgir un souvenir.

Enfin, dans un quatrième temps, il évoque le pouvoir magique de la tasse de thé.

I – L’apparition du souvenir

De « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. » à « trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. « 

L’extrait s’ouvre sur la conjonction de coordination « et » renforcée par la locution adverbiale « tout d’un coup » qui insiste sur la soudaineté et la spontanéité de l’apparition.

La phrase est aussi extrêmement brève, ce qui est rare chez Proust et mime la brusquerie de cette réminiscence.

Le narrateur n’est pas maître de ses souvenirs : le pronom élidé « me » est en effet COI du verbe au passé composé « est apparu », tandis que le groupe nominal « le souvenir » est sujet du verbe.

L’emploi de l’article défini « le » devant le substantif « souvenir » indique que le goût de la madeleine associé à un unique souvenir bien particulier.

Le verbe « apparaître » insiste sur le caractère visuel du souvenir. Sa mémoire fait en effet surgir un souvenir présenté ici comme une image.

Dans la phrase suivante, Proust s’attache à décrire ce souvenir : le cérémonial du thé avec sa tante Léonie.

L’antéposition du groupe nominal « ce goût » en début de phrase crée un effet d’emphase et met en relief le sens déclencheur du souvenir : « Ce goût c’était… »

Le narrateur dévoile enfin au lecteur l’origine de ce souvenir : « celui du petit morceau de madeleine ».

Le goût décrit par l’auteur est étroitement lié à une habitude de son enfance, comme le soulignent les deux verbes suivants à l’imparfait : « sortais », « allais » , « m’offrait » .

Plusieurs indications spatio-temporelles ( « le dimanche matin, à Combray » , « avant l’heure de la messe » , « dans sa chambre » ») précisent les circonstances de ce souvenir, dans un effort d’exhaustivité. Cette précision souligne la puissance de notre sens qu’est le goût, qui lui permet de se rappeler dans le moindre détail une habitude de son enfance.

Dans une parenthèse, il insère une proposition subordonnée circonstancielle causale (« parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe ») qui apporte une précision sur le caractère unique des dimanches matin. Enfant, le narrateur n’était pas autorisé à sortir dehors, très probablement pour ne pas salir sa tenue du dimanche.

Une proposition subordonnée circonstancielle temporelle (« quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre ») introduit également l’idée d’un cérémonial, d’un privilège, puisqu’il n’est autorisé que le dimanche à aller saluer sa tante.

Enfin, à la fin de la phrase, est révélé au lecteur l’autre personnage acteur de ce souvenir : « ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul » .

II – l’effritement de la mémoire sous l’effet du temps

De « La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé » à « qui leur eût permis de rejoindre la conscience » .

Le narrateur tente d’expliquer pourquoi le sens de la vue à lui seul n’est pas suffisant pour se remémorer des souvenirs.

Deux sens s’opposent ainsi dans ce début de phrase : « la vue » (« La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé »), et « le goût » (« avant que je n’y eusse goûté »).

Cette antithèse est renforcée par la négation partielle : « ne m’avait rien rappelé́ ». Le narrateur insiste sur l’inefficacité de la vue et l’importance du goût, à l’origine du surgissement du souvenir.

Le narrateur suggère deux hypothèses afin d’expliquer pourquoi la vue à elle seule n’a pu faire surgir le souvenir : « peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ».

Ces deux propositions subordonnées circonstancielles causales sont introduites par la locution adverbiale « peut-être » suivi de la conjonction de subordination « parce que » en anaphore.

Dans la première hypothèse, on retrouve deux termes liés à la vue : « aperçu« , « image ». En effet, le narrateur n’a cessé de voir des madeleines, comme le suggère le pluriel dans le complément circonstanciel de lieu : « sur les tablettes des pâtissiers ».

Ainsi, la vue semble être le temps lié au moment présent, comme l’indique le comparatif « d’autres plus » et l’adjectif « récents ».

Le goût au contraire est un sens associé au passé.

Dans une seconde hypothèse, le narrateur reprend le topos du temps qui passe et détruit les souvenirs, comme le suggère les termes liés à l’oubli (« souvenirs abandonnés » , « hors de la mémoire » , « désagrégeait ») associés au pronom « rien » dans la négation partielle « rien ne ».

Le verbe « désagréger », qui tire son sens du latin « aggregare », soit « mettre en troupeau », illustre parfaitement l’effritement de la mémoire sous l’effet du temps qui passe.

Dans une insertion, marquée typographiquement par deux tirets, Proust associe les « formes » métaphoriques du souvenir, à celles, concrètes, de la petite madeleine. Les deux se superposent et se confondent, pour bien montrer que ce n’est pas la vue de la madeleine qui fait survenir le souvenir, mais bien son goût.

Proust s’attache ensuite à décrire la madeleine avec affection, comme le suggère l’adjectif « petit » devant le substantif « coquillage », qui désigne poétiquement et métaphoriquement la madeleine.

Puis la madeleine est personnifiée par le biais des adjectifs « sévère » et « dévôts ». L’adjectif « sensuel », renforcé par l’adverbe « grassement » fait à la fois référence au beurre présent dans la madeleine et aux courbes féminines.

Les images des souvenirs sont ensuite associés métaphoriquement à des « formes » : ils ont perdu leurs contours et sont devenus flous.

Le champ lexical de l’anéantissement (« ensommeillés » , « perdu la force » « abolir ») suggère l’éloignement du souvenir.

L’image du sommeil, à travers le terme « ensommeillées », associe les souvenirs à un rêve éloigné de la conscience.

III – La puissance de l’odorat et du goût

De « Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste » à « l’édifice immense du souvenir » .

Dans ce troisième mouvement, le narrateur s’intéresse au goût et à l’odorat, ainsi qu’à leur rôle dans la réminiscence d’un souvenir.

La conjonction de coordination « mais » marque d’emblée une opposition entre la vue (dans la phrase précédente) et les deux sens essentiels à ses yeux : « l’odeur et la saveur », qui occupent la place centrale dans la phrase.

La proposition subordonnée circonstancielle temporelle (« quand d’un passé ancien rien ne subsiste ») qui insiste à nouveau sur les effets du temps qui passe. Le nom commun « passé » est renforcé par un adjectif « ancien », dans un effet de pléonasme.

De la même manière, la destruction opérée par le temps s’exprime à l’aide d’une négation « rien ne ».

Deux compléments circonstanciels de temps : « après la mort des êtres, après la destruction des choses » structurés par l’anaphore de « après » , renforcent l’évocation du pouvoir destructeur du temps, avec des termes appartenant au champ lexical de l’anéantissement : « mort » , « destruction » .

« L’odeur et la saveur » sont décrites par une anaphore en 5 temps formée par le comparatif de supériorité « plus » suivi d’un adjectif : « plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles ». Ces adjectifs illustrent l’idée de fragilité mais aussi de permanence de l’odeur et de la saveur.

Le verbe de la proposition principale (« l’odeur et la saveur restent encore longtemps »), au présent de vérité générale, est renforcé par l’adverbe « encore » qui souligne la persistance de l’action et l’adverbe « longtemps » qui exprime la durée.

Ensuite, la description de la saveur et l’odeur se poursuit grâce à une comparaison méliorative : « comme des âmes ». Cette comparaison résume l’énumération précédente des 5 adjectifs puisque dans la religion chrétienne, l’âme est immortelle.

La suite de verbes d’action à l’infinitif : « à se rappeler, à attendre, à espérer, à porter sans fléchir » personnifient le goût et l’odorat en les associant implicitement à des gardiens d’un mausolée. Ce sont les gardiens du souvenir, qui s’opposent au temps qui passe et détruit tout.

Le pouvoir du goût et de l’odorat peut pourtant sembler bien faible comme le suggèrent le suffixe -ette associé à « goutte » (« gouttelette » ), l’adjectif « impalpable » et l’adverbe « presque » qui renforce l’idée de fragilité, d’immatérialité.

Enfin, au milieu des « ruines » du temps, se dresse métaphoriquement dans une antithèse un « édifice » qui symbolise le souvenir. L’adjectif « immense » souligne la puissance du souvenir.

Le goût et l’odorat sont donc présentés comme des gardiens de tous les souvenirs. Ils ont le pouvoir, grâce au processus de la mémoire involontaire, de nous faire pénétrer dans l’édifice de nos souvenirs.

IV – Les pouvoirs magiques de la tasse de thé

Ce quatrième mouvement est construit autour d’une comparaison entre le phénomène de la mémoire involontaire et un jeu japonais où de petits morceaux de papiers, trempés dans un bol de porcelaine, prennent des formes reconnaissables. Cette comparaison exotique permet d’approfondir poétiquement le processus de la mémoire involontaire et ses pouvoirs prodigieux.

L’énumération de verbes restitue le tournoiement des petits papiers dans l’eau : « s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs… ».

Comme la forme de ces petits papiers, les souvenirs d’abord « indistincts » deviennent « reconnaissables ». L’antithèse souligne ici la métamorphose presque féérique des souvenirs qui émergent et se déploient.

Cette métaphore se déploie sur une très longue phrase, comme l’indique la locution adverbiale « de même » qui poursuit et approfondit la comparaison.

Les souvenirs du narrateur remontent alors par bribes grâce à une énumération : « toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs ».

La polysyndète (les groupes nominaux sont systématiquement coordonnées par la conjonction de coordination « et ») restitue l’abondance des réminiscences et leur surgissement continu.

Les images remémorées vont crescendo comme en témoigne la gradation : les premiers souvenirs évoquent des fleurs du jardin, un lieu intime, puis les fleurs du parc, de la région, puis portent sur les habitants du village et les bâtiments.

Le terme final de la gradation « et tout Combray et ses environs » souligne la force des réminiscences, capable de reconstituer dans les moindres détails toute une région.

L’image finale fait songer à la lampe merveilleuse d’Aladin, dans Les Mille et une nuits : « tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. ». La tasse de thé, comme la lampe des Mille et une nuits, semble dotée de pouvoirs magiques car elle est capable de faire surgir le passé.

La madeleine de Proust, analyse, conclusion

Dans ce texte emblématique de La Recherche du temps perdu, la réminiscence d’un souvenir enfoui de son enfance illustre le fonctionnement de la « mémoire involontaire ».

Proust analyse également comment le temps, ce destructeur de la mémoire, n’a pas d’effet sur les sens du goût et de l’odorat, qui ont le pouvoir de faire surgir des souvenirs qui semblaient disparus.

L’écrivaine Colette, dans la nouvelle « Le dernier feu » issu du recueil des Vrilles de la vigne partage également le récit d’une réminiscence. Le « parfum inaliénable » des premières violettes la plonge dans le souvenir des printemps de son enfance.

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Amélie Vioux

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un commentaire

  • Analyse de qualité ; mais malheureusement, séléction d’un passage qui, selon moi, est peu pertinent. « Il y avait bien des années que de Combray… » à « …de thé ou de tilleul » conviendrait davantage.

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