De l’esclavage des nègres, Montesquieu : commentaire

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de l'esclavage des nègres montesquieuVoici un commentaire du texte « De l’esclavage des Nègres » issu de L’esprit des Lois de Montesquieu.

« De l’esclavage des Nègres », Montesquieu, introduction :

En 1748 paraît l’ouvrage De l’Esprit des Lois : Montesquieu, philosophe des Lumières, y analyse d’un point de vue politique et sociologique les mœurs de son époque.

Dans « De l’esclavage des Nègres », extrait du livre XV, Montesquieu feint de défendre la thèse esclavagiste pour mieux la critiquer.

Questions possibles à l’oral de français sur « De l’esclavage des nègres » de Montesquieu :

♦ Qu’est-ce qui fait l’efficacité de ce texte ?
♦ Quels sont les procédés argumentatifs utilisés par Montesquieu dans « De l’esclavage des nègres » ? En quoi sont-ils efficaces ?
♦ « De l’esclavage des nègres » est-il un texte pour ou contre l’esclavage ?
♦ Dans quelle mesure ce texte constitue-t-il un réquisitoire?
♦ Comment Montesquieu s’y prend-il pour discréditer les partisans de l’esclavage ?
♦ Analysez l’ironie dans ce texte.

Annonce du plan:

Si ce texte apparaît à première vue comme un plaidoyer en faveur des thèses esclavagistes (I), l’ironie grinçante qui le caractérise en fait en réalité un fin réquisitoire contre l’esclavage (II).

I – En apparence : un plaidoyer en faveur de l’esclavage

A – Montesquieu, porte-parole de la thèse esclavagiste

Dans le préambule, Montesquieu se présente comme le porte-parole des défenseurs de l’esclavage.

C’est en effet en son nom qu’il propose de défendre la thèse esclavagiste. Il utilise ainsi le pronom « je » : « Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves… » (l. 1)

Il donne davantage de poids à ce « je » en l’inscrivant dans un groupe : le peuple qui a institutionnalisé l’esclavage, « nous ».

Il souligne qu’il a la loi en sa faveur : l’esclavage institutionnalisé est un « droit » (« le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves » l. 1).

C’est donc en son nom et en se réclamant de la loi, que Montesquieu établit un catalogue d’arguments en faveur de l’esclavage.

B – Une argumentation rigoureuse

Le discours de Montesquieu est construit comme une démonstration qui repose sur une argumentation rigoureuse et logique.

Les neuf arguments juxtaposés visent à justifier le recours à l’esclavage.

Montesquieu utilise un vocabulaire logique pour avancer ses arguments comme s’il s’agissait d’une démonstration scientifique :

Les termes qu’il emploie relèvent en effet de ce domaine : « voici» (l. 1) ; « Une preuve que » (l. 16) ; « Il est impossible que » (l. 18).

Montesquieu insiste sur les causes qui sont à l’origine de l’esclavage, mettant en avant un schéma mathématique cause/effet.

Par exemple, dans le premier argument, le gérondif « ayant exterminé » et l’emploi du verbe devoir insiste sur l’idée que le recours aux esclaves en Afrique a été rendu nécessaire par la pénurie d’indiens en Amérique : « Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique.  » La phrase s’articule donc autour d’un rapport de cause à effet qui semble a priori logique.

Montesquieu fonde également son argumentation sur des postulats, c’est-à-dire des principes de base supposés vrais mais non démontrés parce qu’ils semblent intuitivement non contestables : « Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité» (l. 10) ; « On peut juger de la couleur de peau par celle des cheveux » (l. 13).

 C – Des thèmes sérieux

Par ailleurs, son argumentation repose sur des domaines sérieux : ils relèvent tour à tour du domaine économique, ethnologique, sociologique, politique ou théologique.

A un niveau économique, il invoque l’argument de la rentabilité.

Il affirme notamment que l’usage des esclaves permet à la société toute entière de réaliser des économies : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves » (l. 5).

Il s’agit là d’un discours démagogique, qui flatte les espoirs et les aspirations de la population.

A un niveau ethnologique, Montesquieu s’appuie sur l’exemple de civilisations racistes (« les peuples d’Asie» l. 11 ; « les Egyptiens » l. 13) pour affirmer que la différence entre des races supérieures et inférieures constitue l’essence même de l’humanité.

A un niveau sociologique, il souligne que les noirs sont des sauvages parce qu’ils n’ont pas conscience des valeurs essentielles à une société humaine : « ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui chez les nations policées, est d’une si grande conséquence» (l. 16-17)

A un niveau théologique, il associe la couleur noire avec le mal, justifiant ainsi le racisme par la volonté de Dieu: « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir » (l. 8-9).

Enfin, à un niveau politique, il défend la légitimité des gouvernements d’Europe qui ont institutionnalisé l’esclavage pour toutes les raisons évoquées.

Montesquieu présente donc une juxtaposition d’arguments empruntés à des domaines sérieux qui sont censés légitimer le recours à l’esclavage.

II – En réalité : un réquisitoire contre l’esclavage

A- La distance de Montesquieu

A y regarder de plus près, on remarque que Montesquieu prend de la distance par rapport à ses propos.

En effet, s’il se présente de prime abord comme un porte-parole de la cause esclavagiste, il se dissocie rapidement du groupe auquel il prétend appartenir.

Les pronoms « je » et « nous » de la première ligne cèdent ainsi la place au pronom impersonnel « on » et à la troisième personne du pluriel, « ils ».

Par ailleurs, la première phrase du texte est volontairement ambiguë : « Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais. » En effet, la conjonction « si » associée au conditionnel (« ce que je dirais ») peut se comprendre de plusieurs façons :

♦ Le lecteur peut considérer que Montesquieu va exprimer les arguments qu’il serait possible d’avancer si on lui demandait de défendre l’esclavage. Le conditionnel exprime alors la possibilité.

♦ Mais le lecteur peut aussi comprendre que Montesquieu va exprimer les arguments qu’il avancerait dans un monde imaginaire où il serait pro-esclagiste. Le conditionnel exprime alors l’imaginaire, l’irréel. En expliquant ce qu’il répondrait s’il était défenseur de l’esclavage, Montesquieu sous-entend qu’il n’est justement pas pro-esclavagiste.

B – L’ironie

L’ironie consiste à dire/ écrire le contraire de ce que l’on pense. En d’autres termes, il s’agit de faire semblant d’adhérer à une proposition fausse (de telle manière que l’on montre que l’on n’est pas d’accord avec la proposition évoquée) pour souligner le décalage entre cette proposition et la réalité.

Or c’est exactement ce que fait Montesquieu tout au long de ce texte.

L’antiphrase est en effet omniprésente : Montesquieu suggère systématiquement le contraire de ce qu’il dit.

Par exemple, dans le troisième argument, Montesquieu soutient que les esclaves « ont le nez si écrasé qui est presque impossible de les plaindre. » Or l’emploi de l’adverbe de quantité « presque » suggère justement qu’il est possible de plaindre les esclaves, trahissant ainsi l’opinion réelle de Montesquieu.

De même, l’incise « surtout une âme bonne » dans la phrase « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir » déconstruit la proposition précédente (les personnes noires ont une âme) en suggérant justement qu’elles ont une âme mais que celle-ci ne peut pas être bonne.

Le recours fréquent à des formes de l’exagération souligne également l’ironie de l’auteur.

Par exemple, l’argument économique choque par sa disproportion. En effet, Montesquieu pointe que la finalité de l’esclavage est d’acheter du sucre bon marché : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. » Le sucre n’étant pas une denrée vitale, cette finalité de l’esclavage est dérisoire et disqualifie l’argument économique.

On observe également de nombreux superlatifs – « Si écrasés » (l. 6) ; « si naturel » (l. 10) ; « d’une si grande conséquence » (l. 17) – et des hyperboles – « les meilleurs philosophes du monde» (l. 14) – qui discréditent, par leur disproportion, les thèses esclavagistes.

Montesquieu utilise l’ironie pour se moquer des arguments esclavagistes et les discréditer. Il fait également ressortir l’absurdité des thèses esclavagistes.

 C – Un raisonnement par l’absurde

Montesquieu construit son discours comme une démonstration logique, mais juxtapose en réalité une suite d’arguments qui se détruisent d’eux-mêmes par leur absurdité.

En s’appuyant sur des postulats, Montesquieu met par exemple en relief l’absence de fondements de la pensée raciste : « Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité » (l. 10) ; « On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux » (l. 13) ; « Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun » (l. 16).

Le premier argument selon lequel les peuples d’Europe ont dû mettre en esclavage les peuples d’Afrique car ils avaient exterminé les peuples d’Amérique prouve la folie meurtrière des européens et non la supposée infériorité des peuples d’Afrique.

Il établit aussi des liens et des analogies entre des faits qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

Ainsi, dans le 4ème argument, Montesquieu avance qu’on peut juger les hommes par la couleur de leur peau puisque les Egyptiens jugeaient les hommes par la couleur de leurs cheveux. Encore une fois, l‘analogie (=la comparaison) établie est si absurde que l’argument est ridiculisé.

Le huitième argument est également parlant : Montesquieu utilise la forme du syllogisme pour donner les apparences de la logique. Mais le propos est absurde : il consiste à dire que le traitement réservé aux noirs est tellement inhumain et contraire aux principes religieux que les esclavagistes, pour justifier leurs actes, doivent nécessairement rejeter les noirs hors de l’humanité. Or la logique suppose justement le contraire : si les Européens étaient de bons chrétiens, ils incluraient les peuples d’Afrique dans le genre humain.

En dénonçant l’hypocrisie des défenseurs de l’esclavage qui cherchent à se donner bonne conscience, Montesquieu montre que l’esclavagisme va à l’encontre des principes humanistes, rationnels et chrétiens qu’il défend.

« De l’esclavage des Nègres », Montesquieu, conclusion :

Ce texte est un brillant réquisitoire contre la pensée raciste que Montesquieu démystifie en en déconstruisant méticuleusement la logique.

En mettant en place un faux plaidoyer en faveur de l’esclavage, Montesquieu pousse son lecteur à réfléchir et à questionner la logique de cette institution, dans une démarche fidèle à celle des philosophes des Lumières.

C’est au nom des idéaux des Lumières – la raison, la tolérance, l’humanité – et contre l’obscurantisme, que Montesquieu démontre l’absurdité des thèses esclavagistes.

Le parallèle peut être établit avec le chapitre 19 de Candide dans lequel Voltaire dénonce également avec ironie le caractère infamant de l’esclavagisme.

Tu étudies « De l’esclavage des nègres » de Montesquieu ? Regarde aussi :

Jacques le Fataliste, incipit, Diderot : analyse
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, histoire de Polly Baker
Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, l’aumônier
♦ Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, discours du vieux tahitien
Lettres persanes, Montesquieu [fiche de lecture]
Voltaire [fiche auteur]
Rousseau [Fiche auteur]

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Amélie Vioux

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