Voltaire, Prière à Dieu : commentaire

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voltaire prière a dieuVoici un commentaire de la Prière à Dieu issue du Traité sur la tolérance de Voltaire (1763).

 Prière à Dieu, Voltaire, introduction

Le Traité sur la tolérance a été écrit en 1763 par Voltaire suite à l’affaire Calas.

Le 13 octobre 1761, Marc-Antoine Calas est retrouvé assassiné dans la maison familiale. Son père, Jean Calas, un protestant, est condamné à mort puis brûlé car on le soupçonne d’avoir tué son fils pour que ce dernier ne se convertisse pas au catholicisme.

Voltaire rédige alors le Traité sur la tolérance pour contribuer entre autre à réhabiliter la mémoire de Jean Calas, injustement condamné.

Nous verrons dans ce commentaire qu’à travers cette prière a Dieu (I), ce sont en réalité les hommes qui sont visés par Voltaire qui fustige leur intolérance et leur fanatisme (II) avant d’affirmer un déisme qui surmonte les divisions entre catholiques et protestants (III)

Texte étudié

« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
« Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant. »

Questions possibles à l’oral de français sur « Prière à Dieu » de Voltaire

♦ Ce texte est-il vraiment une prière ?
♦ Comment pouvez-vous définir le déisme d’après ce texte ?
♦ Le registre satirique dans « Prière à Dieu ».
♦ En quoi cette prière à Dieu est-elle une réponse à l’affaire Calas ?
♦ De quoi Voltaire fait-il la satire dans cette prière à Dieu ?
♦ Quels sont les buts de Voltaire dans ce texte ?

I – Une prière à Dieu

 A – Une prière classique

Ce texte a toutes les apparences d’une prière.

Le champ lexical de la religion est omniprésent : « Prière à Dieu », « éternels », « cierges », « robe d’une toile blanche », «manteau de laine noire », « célébrer », « t’adorer », « frères ». Le vocabulaire utilisé par Voltaire fait référence à la religion et plus particulièrement aux rites attachés à la religion catholique et protestante.

Voltaire adopte ensuite un style liturgique (c’est à dire un style qui rappelle les textes religieux).

Le titre « Prière a Dieu » place d’emblée le lecteur dans l’espace sacré du culte.

La démultiplication de la deuxième personne du singulier rappelle les prières : «c’est à toi », « te demander », « à toi », « à toi », « Tu ne nous as point donné », « ton soleil », « il faut t’aimer », « t’adorer », « ta bonté ».

La deuxième personne du singulier est omniprésente, déclinée sous toutes les natures et les fonctions grammaticales (tu, te toi). Cela renforce l’omniprésence divine et le respect profond que le locuteur porte à Dieu comme le suggère l’anaphore « à toi ».

Voltaire fait aussi des références bibliques comme en témoigne l’expression « ne nous déchirons pas les uns les autres » qui rappelle L’Evangile selon Saint Jean : « Aimez-vous les uns les autres »

Les verbes à la modalité jussive (impérative) « fais que… que …que », « Puissent tous », « Qu’ils aient… », « ne nous déchirons pas les uns les autres » rappellent le mode impératif utilisée dans les prières chrétiennes comme le Notre Père.

Ce mode impératif est assorti de modalisations qui suggèrent l’humilité du locuteur : « s’il est permis (…) d’oser te demander quelque chose». Cette humilité devant la grandeur divine est typique des prières chrétiennes.

B – Une prière pascalienne

La prière adressée par Voltaire à Dieu est aussi une réécriture des Pensées de Pascal, un auteur du 17ème siècle qui a profondément influencé les philosophes des Lumières.

Tout d’abord, comme dans les Pensées de Pascal, on retrouve dans « Prière à Dieu » une rhétorique et un vocabulaire religieux.

On relève aussi le champ lexical de la misère humaine (« faibles créatures »,  « fardeau d’une vie pénible et passagère », « atomes appelés hommes », « débiles corps », « tas de boue de ce monde », « vanités », « l’instant de notre existence ») et celui de la grandeur divine (« immensité », « décrets immuables », « ta bonté »), deux champs lexicaux omniprésents dans les Pensées de Pascal.

De plus, certains termes sont immédiatement associés à de célèbres pensées de Pascal. Par exemple, le terme « vanité » dans « Prière à Dieu » fait songer au fragment « Vanité » de Pascal. Le terme « disproportionnés » renvoie au fragment intitulé « Disproportion de l’Homme ».

Voltaire se place donc dans le sillage de Pascal pour s’adresser à Dieu. S’il célèbre la grandeur divine, il déplore surtout comme Pascal la misère et la vanité des hommes qui les mènent à l’intolérance et aux divisions.

Transition : C’est pourquoi, plus qu’une prière à Dieu, ce texte est surtout une critique des hommes.

 II – Une critique des hommes

 A – Une satire de l’intolérance

Si Voltaire semble d’abord s’adresser à Dieu, le lecteur se rend compte qu’il s’adresse en réalité aux hommes.

La deuxième personne du singulier (« tu ») laisse place à la première personne du pluriel, soulignant que la prière de Voltaire se concentre sur les hommes : « Tu ne nous as point », «  nous haïr », «  nous égorger », «nos ».

Voltaire déplore le déchaînement des violences dû à l’intolérance religieuse comme en témoigne le champ lexical de la haine : «calamités », « haïr », « égorger », « haine », « persécution », « tyrannie », « brigandage », « force », « fléaux de la guerre ».

Voltaire souligne que cette violence est exercée librement par les hommes alors que Dieu les a destinés à la fraternité : « Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ». Ce n’est donc pas Dieu qui est à l’origine de ce déchaînement de haine, mais bien les hommes.

Les hommes sont ainsi caractérisés par les termes péjoratifs, souvent marqués par la forme négative : «débiles corps », «nos langages insuffisants », « nos usages ridicules »,  « nos lois imparfaites », «  opinions insensées ».

Le champ lexical de la violence rappelle le vocabulaire d’Agrippa d’Aubigné, un poète du 16ème siècle qui dénonçait dans les Tragiques la violence et la haine entre catholiques et protestants (Pour en savoir plus sur Agrippa d’Aubigné, regardez cette vidéo sur le baroque).

Cette intertextualité avec Agrippa d’Aubigné souligne que l’affaire Calas est une résurgence de la violence de la guerre de religions entre catholiques et protestants au 16ème siècle.

B – Un appel à la fraternité

A travers cette prière, Voltaire souhaite éveiller la tolérance dans l’esprit des hommes.

Il fait appel à des valeurs émergentes en cette fin de 18ème siècle : le pacifisme et le cosmopolitisme (le cosmopolitisme est le fait de se sentir citoyen du monde et non seulement citoyen de sa propre patrie). Il invite ainsi la fraternité à se répandre « depuis Siam jusqu’à la Californie ».

Cette universalité de la fraternité est mentionnée avec force dans prière « Puissent-ils se souvenir qu’ils sont frères ». Voltaire substitue à la fraternité religieuse une fraternité politique et civile.

La mention du sein maternel dans l’allégorie de la paix « ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix » accentue le fait que tous les hommes appartiennent à la même famille : celle de l’humanité.

Alors qu’il semblait s’exclure de l’humanité au début du texte (« ce n’est plus aux hommes que je m’adresse »), Voltaire utilise à la fin du texte la première personne du pluriel afin de s’inclure dans la fraternité humaine : « Ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix… »

Transition : Voltaire essaie d’éveiller un esprit de tolérance et de fraternité chez les hommes. Mais il va encore plus loin en réconciliant les deux religions historiquement antagonistes – le catholicisme et le protestantisme – autour d’une conception déiste de la religion.

III – Le déisme de Voltaire

Nb : Le déisme est une doctrine religieuse qui croit à l’existence de Dieu, mais qui considère que Dieu ne dépend pas d’une religion révélée et que sa connaissance s’acquiert par l’expérience individuelle et non par l’étude de textes sacrés. Les déistes croient en un Dieu créateur de l’univers mais distant des hommes.

A – Une satire des rites catholiques et protestants

Dans cette prière à Dieu, Voltaire fait en réalité la satire des rites religieux.

Le champ lexical des couleurs (« toile blanche », « laine noire », « rouge ou violet » ) évoque tour à tour la tenue des prêtres catholiques, des pasteurs protestants et de la hiérarchie ecclésiastique (cardinaux et évêques).

Ces touches de couleurs  caricaturent les personnels de l’Eglise qui donnent l’impression de porter des déguisements.

L’antithèse ironique « allument des cierges en plein midi » ridiculise encore un peu plus les rites religieux en soulignant leur absurdité.

Ensuite, les hommes religieux sont caractérisés par le champ lexical du pouvoir : « dominent », « possèdent », « grandeur », « richesse », « vanités », ce qui perce à jour leurs vraies intentions.

Voltaire joue en outre sur des effets de distances en employant des termes ironiques :
♦ Le terme péjoratif « jargon » est utilisé pour désigner le latin, langue de l’Eglise par excellence;
♦  « Quelques fragments arrondis d’un certain métal» est une périphrase pour désigner l’or;
♦ Les déterminants indéfinis (« quelques fragments », « certains métal », « ces vanités ») montrent la futilité du pouvoir ecclésiastique.
♦ Les controverses théologiques acharnées sont résumées comme des « petites nuances », périphrase satirique qui décrédibilise les Eglises.

La vanité des hommes d’Eglise est accentuée par l’abondance de tournures négatives à la fin du paragraphe (« sans orgueil », « sans envie », « ni de quoi envier », « ni de quoi s’enorgueillir »). La forme négative souligne que les hommes d’Eglise sont en réalité obnubilés par le pouvoir et l’argent.

B – Un Dieu universel sans l’intermédiation de l’Eglise

A travers cette critique du Dieu chrétien, Voltaire promeut l’existence d’un Dieu Architecte suprême.

Le Dieu présenté par Voltaire est l’auteur de « décrets immuables comme éternels ». Il s’agit d’un Dieu Horloger universel conforme à la doctrine déiste.

La répétition des propositions subordonnées de but ( « Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ») montre que ce Dieu crée la mécanique initiale du monde mais n’intervient plus activement ensuite.

Ce Dieu présenté par Voltaire n’est pas non plus l’objet de cultes ou de rites, contrairement au Dieu chrétien.

Le rythme ternaire « de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps » est finalement loin de la trinité chrétienne (Le Père, le Fils et le Saint-Esprit). En effet, Voltaire estime que le Dieu chrétien est un Dieu qui divise alors que le déisme cherche à embrasser l’universel comme le montre l’anaphore de « de tous les » : « de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps».

Le déisme est donc rassembleur comme le souligne l’adjectif numéral « mille langages divers ».

Le déisme promeut un Dieu créateur de l’univers mais qui reste relativement distant de ses créatures. Ce Dieu n’est pas l’objet d’un culte mais donne accès aux vérités universelles et rationnelles.

Traité sur la tolérance, Prière à Dieu, conclusion

Voltaire a été indigné par le traitement judiciaire et religieux de l’affaire Calas. Cette Prière à Dieu issu du Traité sur la tolérance part de la doctrine chrétienne pour mieux la déconstruire et affirmer une nouvelle conception de Dieu très en vogue au 18ème siècle : celle d’un Dieu ni vengeur ni sauveur mais d’un Dieu architecte de l’univers qui règle le monde selon les règles de la raison.

Cette conception de Dieu permet à Voltaire de promouvoir une fraternité non pas religieuse mais civile et politique, au fondement des principes de la Révolution française de 1789.

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19 commentaires

  • Bonjour et excusez-moi du dérangement mais est ce que ce serait possible de faire un commentaire composé sur « A l’heure des mains jointes  » de Renée Vivien. C’est un texte que j’apprécie mais que j’ai du mal à dégager le sens . Est-ce que ça serait possible au moins d’avoir une problématiques et les grands axes pour me guider dans mes recherches ?
    Merci d’avance et bonne continuation !

  • bonjour, bravo pour tout le travail sur ce site! j’ai une question: à l’oral, est ce que je dois aussi citer les lignes dès que je fais une citation du texte ou ça fait trop lourd à la longue? merci

  • Bonjour ! Pourrait-on faire une ouverture sur Candide dans la conclusion plus précisément sur la critique de l’intolérance religieuse représentée par l’Inquisition ? Merci d’avance

  • Bonjour, pourrais-je avoir un éclaircissement ?
    Dans votre 2ème partie, vous évoque le terme de « satire de l’intolérance », Or dans une définition du CNRTL , concernant ce terme, je lis qu’il s’agit d’une critique « Écrit dans lequel l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant » Or il ne me semble pas évident que l’on soit dans le registre de la satire , ici .
    merci pour vos éclaircissements
    Cordialement

  • bonjour,
    je prépare actuellement mon bac en candidat libre. votre travaille m’aide énormément,je ne vous remercierai jamais assez , vu que je ne trouve pas sur votre site des notion autour du thème  » le personnage de roman » je me demandai si vous connaissez un site aussi bien fait et efficace que le votre et qui traite ce thème.
    CNED nous font payer une fortune pour des cours on ne peut plus confus 🙁
    grâces à des site comme le votre on arrive presque à s’en sortir , merci infiniment.

    cordialement.

    • Il n ‘y a aucune erreur, tu as l’air de confondre déiste, théiste et athéiste. Voltaire illustre dans son texte une position déiste. Tu peux te reporter à la définition que j’en donne dans mon troisième axe de lecture.

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