Micromégas, Voltaire, chapitre 2 : commentaire

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micromegas chapitre 2Voici un commentaire du chapitre 2 de Micromégas de Voltaire.

L’extrait commenté va du début du chapitre 2 (« Après que son excellence se fut couchée« ) jusqu’à « de la figure ridicule que je fais dans ce monde » ).

Micromégas, chapitre 2 : introduction

Voltaire publie Micromégas en 1752.

Ce conte philosophique, qui s’inscrit dans la tradition des voyages extraordinaires, décrit la visite de la Terre par deux géants, Micromégas venant de Sirius et le secrétaire de l’Académie de Saturne.

Quelques années auparavant, Newton publie Les principes mathématiques de la philosophie naturelle qui énonce notamment la loi de la gravitation. Cette loi développe une physique dégagée des présupposés religieux.

Voltaire, dans l’esprit du siècle des Lumières, cherche également à libérer l’homme de l’obscurité de la métaphysique et des religions pour les lumières de la science.

S’affirme alors une science fondée sur l’observation, l’expérience et l’importance des faits.

Au chapitre I, Micromégas, un géant savant, est chassé de la cour après avoir publié des travaux contestés par le clergé de sa planète Sirius.

Il part alors en voyage.  Au début du chapitre II, il arrive sur Saturne et se lie d’amitié avec le secrétaire de l’Académie.

Questions possibles à l’oral de français sur le chapitre 2 de Micromégas :

♦ En quoi ce texte relève-t-il du conte ?
Micromégas de Voltaire n’est-il qu’un conte ?
♦ En quoi cet extrait du chapitre 2 de Micromégas est-il un texte des Lumières ?
Que critique Voltaire dans ce chapitre 2 de Micromégas ?
♦ Comment est présentée la science dans ce texte ?

Annonce du plan :

Conte philosophique à visée critique (I), Micromégas met en œuvre la philosophie des Lumières fondée sur la connaissance scientifique du monde et la sagesse (II).

I – Micromégas : un conte philosophique à visée critique

A – Un conte distrayant

Dès le titre du chapitre 2, Voltaire place le lecteur dans un univers exceptionnel : «Conversation d’un habitant de Sirius avec celui de Saturne».

Le nom du héros, Micromégas, est un oxymore (deux mots opposés l’un à côté de l’autre) ; «micro» signifiant en grec «petit» et «megas», « grand » : le personnage lui-même est donc irréel.

Au delà du personnage principal, ce texte s’inscrit dans la tradition des utopies du 18ème.

Voltaire cherche en effet à distraire son lecteur à la manière de Cyrano de Bergerac un siècle plus tôt dans Histoire comique des Etats et Empire de la lune (1650) en lui proposant un lieu inhabituel dans un cosmos totalement imaginaire.

Cet univers est une utopie (étymologiquement : lieu qui n’existe pas) marquée par un gigantisme spatial : les personnages sont des géants, ont «soixante-douze sens» sur Saturne et «près de mille sens» à Sirius.

L’effet de gradation entre «soixante-douze» et «mille» accentue cet effet de gigantisme imaginaire.

La dimension utopique est soulignée par le fait qu’à l’intérieur même de l’utopie, Micromégas fait référence à une autre utopie célèbre au XXVIIème siècle, El Dorado, «[le] pays où il ne manque rien». Cette mise en abyme (procédé qui consiste à placer dans un texte des procédés renvoyant à ce même texte ) accentue l’irréalité de la scène.

Si l’espace est irréel, le temps l’est aussi. Cet univers est en effet une uchronie (temps qui n’existe pas) : les adverbes restrictifs «ne…que» utilisés dans la proposition «nous ne vivons, dit le Saturnien, que cinq cents grandes révolutions» renforcent l’irréalité temporelle.

Voltaire plonge ainsi son lecteur dans un univers utopique et uchronique pour le distraire.

La rencontre de personnages venant de planètes différentes fait rêver les lecteurs sur un univers non plus fermé mais ouvert et infini : les «cinq lunes» donnent cette impression d’infinitude du monde.

Micromégas est donc bien un conte destiné à distraire et dont la dimension onirique fait rêver le lecteur. Mais Voltaire utilise cette fonction onirique pour décentrer le lecteur, lui faire prendre distance avec le monde pour qu’il puisse le regarder avec plus de lucidité. Il s’agit donc d’un conte, certes, mais à visée critique.

B – Un conte à visée critique : l’ironie voltairienne

Micromégas est désigné par la périphrase «le voyageur», ce qui le place en position d’observateur critique qui peut comparer les choses et les juger.

1 – Une critique de la vision poétique de la nature

Tout d’abord, Voltaire critique la vision poétique et métaphysique du monde, trop abstraite et pas assez scientifique selon lui.

En effet, l’habitant de Saturne a une approche poétique de la nature que Micromégas rejette avec ironie.

L’approche poétique de la nature du secrétaire de l’Académie est mise en valeur par une série de comparaisons :

♦ «La nature est comme un parterre dont …»
♦ «Elle est comme une assemblée de blondes et de brunes…»
♦ «Elle est comme une galerie de peinture dont les traits…»

La structure de ces comparaisons est similaire : les comparants (soulignés ci-dessus) font tous référence aux arts (théâtre «parterre» ou peinture «galerie»).

Or Voltaire rejette cette dimension poétique de la nature. Nous sommes au 18ème siècle, le siècle des Lumières, qui souhaite appréhender le monde par la raison et le concret et non par la poésie ou les abstractions de la métaphysique.

Les philosophes visés ici par Voltaire sont Malebranche (1638-1715), qui considère que Dieu est cause de tout et surtout Leibniz (1646-1716), un philosophe allemand, pour lequel le monde est fondée sur une harmonie préétablie par Dieu.

Les comparaisons de l’habitant de Saturne font donc l’objet d’un rejet ironique par Micromégas à travers le possessif «vos brunes» et la comparaison cocasse et ridicule «assemblée de blondes et de brunes».

On perçoit également cette ironie dans le parallélisme de construction «fort ingénieux et fort incertains» où l’emploi d’un terme mélioratif (ingénieux) et péjoratif  (incertains) accentue la rupture comique et l’ironie sur une philosophie abstraite et inutile.

2 – Une critique de l’anthropocentrisme

Voltaire critique ensuite l’anthropocentrisme (conception philosophique qui fait de l’homme le centre du monde) et le géocentrisme (conception philosophique qui fait de la terre le centre de l’univers).

L’auteur nous donne ainsi une leçon de relativité. Il relativise les valeurs chrétiennes et occidentales et la place de l’homme dans le monde. L’homme n’est plus au centre de tout.

Ainsi le chapitre 2 de Micromégas contient de nombreux oxymores : «Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome». Ces trois métaphores sont construites autour d’une opposition entre le comparé qui suggère une ligne droite (existence, durée, globe) et le comparant qui suggère un point (point, instant, atome).

Ces oppositions dénoncent l’orgueil humain qui se croit au centre de tout alors qu’il n’est presque rien.

3 – Une critique de l’ethnocentrisme

Voltaire critique surtout l’ethnocentrisme (tendance à survaloriser sa propre culture).

En effet, le 17ème siècle est convaincu de la supériorité de la civilisation chrétienne et occidentale sur les autres civilisations qui vivent encore, selon eux, dans l’ignorance de la révélation de Dieu.

Or le siècle des Lumières découvre les autres civilisations (Chine, Orient) et se rend compte de leur degré d’avancée.

Par le parallélisme de structure : «j’ai vu des mortels fort au-dessous de nous ; j’en ai vu de fort supérieurs», Micromégas bouscule la hiérarchie des civilisations reconnue par l’Eglise à cette époque.

En outre, le fait de créer un dialogue courtois entre deux habitants d’une autre planète est une manière pour Voltaire de décentrer l’homme et de relativiser sa prétendue supériorité sur les autres espèces.

II – Une philosophie nouvelle : la philosophie des Lumières

A travers ce conte, Voltaire transmet une nouvelle philosophie : la philosophie des Lumières.

A – Une approche scientifique du monde

A l’idéal classique, Voltaire oppose l’idéal des Lumières « je ne veux point qu’on me plaise répondit le voyageur ; je veux qu’on m’instruise ». Au fameux placere et docere (plaire et instruire) issu de l’époque classique se substitue ainsi le seul docere, appétit de connaissance d’un esprit éclairé.

A la philosophie abstraite et inutile, Micromégas oppose le principe d’identité d’Aristote : « la nature est comme la nature ». Non seulement Voltaire critique les comparaisons poétiques, mais surtout il propose, dans le sillage de Newton et des Lumières, d’énoncer des vérités fondées sur la raison et l’expérience.

Le champ lexical de la science est présent dans tout le texte : «Pourquoi», «m’instruise», «combien», «curiosité», «raisonnements», «faits», «loi universelle  de la nature», «révolutions du soleil », «cela revient à … », «compter à notre manière ».

Ce champ lexical est composé de termes interrogatifs «pourquoi», «combien» qui font de Micromégas une personnification de la science. En effet, par ces questions, Micromégas a l’attitude investigatrice du scientifique qui détermine les causes et quantifie les phénomènes.

De plus, la phrase « C’est tout comme chez nous, dit le Sirien (1) ; nous nous plaignons toujours du peu (2). Il faut que ce soit une loi universelle de la nature (3) » résume à elle seule la méthode scientifique prônée par Voltaire. Par la comparaison avec ce qu’il connaît (1) le Sirien observe le réel (2) et en déduit une loi universelle (3) comme le montre le présent de vérité générale et l’utilisation du verbe impersonnel « il faut » qui suggère le caractère nécessaire des lois de la nature.

Voltaire fait donc l’apologie de la raison fondée sur l’observation et l’expérience (influence du philosophe empiriste John Locke, très lu au XVIIIème siècle).

Ce goût pour les faits et l’explication rationnelle gagne le narrateur lui-même comme le montre la fonction explicative de la parenthèse ouverte par le narrateur pour donner à son texte une crédibilité scientifique « (cela revient à quinze mille ans ou environ) » .

B – Une sagesse des Lumières

1 – Une morale de la modestie

Certains passages du texte adoptent des accents pascaliens (cf. Pensées de Blaise Pascal) : «[…] nous avons tout le temps de nous ennuyer».

Ce verbe « ennuyer » qui intervient à la fin de la tirade de l’académicien fait intertextualité avec les Pensées de Pascal pour lequel l’ennui est le fondement de la condition humaine (que l’homme doit affronter).

L’intertextualité avec les Pensées de Pascal est accentuée par le registre lyrique de la dernière phrase : «Je me trouve comme une goutte d’eau dans un océan immense. Je suis honteux surtout devant vous de la figure ridicule que je fais dans ce monde».

L’utilisation de la comparaison « comme une goutte d’eau », l’emploi d’une antithèse «goutte d’eau/océan immense» et les assonances des voyelles dites nasales [an] et [on] donnent cette impression d’infini et d’immensité d’un monde dans lequel l’homme est minuscule.

Cette nouvelle place de l’homme inspirée par Pascal engendre chez Voltaire une morale de la modestie et de la sagesse, où l’homme doit rester à sa juste place.

2 – Une morale de la discussion

Voltaire essaie également de poser les fondements d’une morale des Lumières fondée sur la discussion.

Le dialogue et les prises de parole équilibrées de chaque personnage montrent que les hommes des Lumières savent échanger et s’écouter dans une exigence d’éthique de la discussion.

Cette sagesse est une synthèse entre la science et la rhétorique (= l’art du discours) comme le montre le rythme ternaire : «notre existence est un point (1), notre durée un instant (2), notre globe un atome (3)» Le rythme ternaire (1,2,3) et la répétition du possessif « notre » entraîne le lecteur dans la pensée du locuteur et s’enracine d’autant plus facilement dans sa mémoire. La rhétorique, conformément à l’esprit des Lumières, est au service de la raison et de la sagesse.

Micromégas, chapitre 2 : conclusion 

Dans Micromégas, Voltaire prépare les thèmes moraux et philosophiques de ces œuvres à venir comme Candide un de ses plus célèbres contes philosophiques publié en 1759.

Mais surtout, il pose les bases d’une nouvelle philosophie, celle des Lumières, fondée sur l’émancipation de l’homme par la raison et la libération des croyances superstitieuses.

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