Article Guerre, Voltaire : commentaire

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guerre voltaireVoici une analyse de l’article « Guerre » de Voltaire publié dans le Dictionnaire philosophique en 1764.

Article « Guerre », Voltaire, Introduction

Au moment où Voltaire publie le Dictionnaire philosophique en 1764, la guerre de sept ans (1756-1763) est encore profondément présente dans les mémoires.

Il s’agit d’un conflit majeur qui opposa le royaume de France et celui de Grande-Bretagne. Mais, par le jeu des alliances, le royaume de Prusse, l’état des Habsbourg, l’empire de Russie et le Royaume d’Espagne ont été impliqués dans ce conflit.  La guerre de sept ans est donc le premier conflit à l’échelle mondiale.

Dans son article « Guerre », Voltaire fait une évocation sans concession de cette guerre qu’il présente comme un conte carnavalesque (I) derrière lequel se cache barbarie et inhumanité (II).

Questions possibles à l’oral de français sur l’article « Guerre » de Voltaire :

♦ En quoi l’article « Guerre » de Voltaire appartient-il au courant des Lumières ?
Comment Voltaire critique-t-il la guerre ?
♦ L‘ironie dans l’article « Guerre »
♦ Quelle est la philosophie politique de ce texte ?
♦ Ce texte est-il un article de dictionnaire ?

 I – La parodie d’un conte merveilleux

 A – La structure d’un conte merveilleux

En écrivant l’article « Guerre », Voltaire nous laisse attendre un article de dictionnaire philosophique. Or, il présente tout de suite la guerre sous la forme d’un conte philosophique.

On retrouve ainsi des caractéristiques propres au conte :

♦ Le présent de narration : « Un généalogiste prouve à un prince » qui nous plonge d’emblée dans un récit.

♦ Des personnages types d’un conte issus d’un univers nobiliaire comme le montre le champ lexical de la noblesse : « généalogiste », « prince », « comte », « en droite ligne », « pacte de famille », « une maison ».

L’absence de temporalité précise : « trois ou quatre cent ans ». L’absence de référence temporelle et spatiale (« une province ») est caractéristique du conte.

♦ Les déterminants démonstratifs déictiques : « Cette maison », cette province », « ces discours », « cette équipée ».
Ces déterminants donnent une vivacité au récit en rattachant les phrases les unes aux autres : « […] une maison. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province […] cette province […]. Cette province […] ». Voltaire construit ainsi un texte très serré et cohérent. Le lecteur passe de phrase en phrase entraîné comme dans la magie d’un conte. Le dernier paragraphe du texte s’ouvre d’ailleurs sur le terme « merveilleux ».

♦ La présence d’un registre épique à travers l’univers nobiliaire et l’évocation du « prince et son conseil » qui rappelle le roi Arthur entouré du conseil de ses chevaliers.
La dimension épique apparaît également à travers des adverbes qui suggèrent la rapidité de l’action et la résolution du prince.: « sans difficultés », « incontinent (sens adverbial)» et « solennellement » .

B – Un conte parodique pour critiquer la guerre de Sept ans

Ce qui surprend immédiatement dans cet article, c’est que la guerre est décrite comme un carnaval :

♦ L’équipée est colorée (« gros drap bleu », « gros fil blanc »)
♦ La répétition de l’adjectif « gros » suggère une certaine grossièreté.
♦ Le champ lexical du mouvement (« tourner à droite et à gauche », « marche », « équipée », « couvrent une petite étendue de pays », « trainèrent ») fait penser à un défilé carnavalesque dont le prince est le roi carnaval.
♦ La juxtaposition des propositions (« Il les habille [ …] borde leurs chapeaux […] les fait tourner » ) met en valeur le caractère mécanique et farcesque du défilé guerrier.

La description de cette équipée guerrière serait festive et comique si elle n’était close par l’énumération de conquérants sanguinaires « Gengis Khan, Tamerlan, Bajazet ». L’ironie de Voltaire laisse place à une inquiétude devant cette parade macabre.

La guerre est en outre évoquée comme un jeu.

Le champ lexical du jeu montre des guerriers qui font leur mise : « qui n’ont rien à perdre », « cinq à six sous par jour », « deux bandes », « gagner », « partie », « vendre », « trois contre trois », « deux contre quatre », « une contre cinq ».

Voltaire donne une vision ironique de la guerre de Sept ans en montrant que les alliances, comme dans un jeu, ne durent que le temps d’une partie.

En effet, en 1756 la Grande-Bretagne et la Prusse, autrefois alliée à la France, s’allient contre la France, l’Autriche et la Russie. L’antithèse « s’unissant et s’attaquant tout à tour » accentue le caractère hasardeux et opportuniste des alliances.

Comme dans un jeu, la guerre est déréalisée : par le terme « bandes » , Voltaire ramène les soldats à des enfants.

C – L’ironie

C’est l’ironie de Voltaire qui permet de percer à jour la cruauté de la guerre.

Loin d’être une épopée, la guerre est mentionnée par Voltaire comme une « équipée ». Or ce terme est ironique. En effet, la sonorité du terme « équipée » ressemble à celle d’ « épopée » mais le mot a un tout autre sens : alors que l’épopée se caractérise par des actions héroïques qui débouchent sur le succès, l’équipée est une entreprise hardie dont l’issue est souvent fâcheuse.

La structure du texte elle-même est ironique : de simples « prétentions » à l’échelle d’une province évoluent vers une guerre universelle qui engage « cinq ou six puissances belligérantes ». Ce jeu sur les échelles montre que la guerre se répand comme une épidémie dans le monde.

Le jeu sur les sonorités souligne aussi le caractère farcesque et dérisoire de cette guerre. Par exemple les allitérations en [t] évoquent ironiquement les roulements de tambours de la musique militaire que Voltaire mentionne également dans le chapitre 3 de Candide :« Les autres princes qui entendent parler de cette équipée y prennent part, chacun selon son pouvoir, et couvrent une petite étendue de pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis Khan, Tamerlan, Bajazet n’en traînèrent à leur suite »

 II – La guerre, une barbarie injustifiable

 A – La brutalité de la guerre

Derrière ce conte parodique, Voltaire dévoile la brutalité injustifiable de la guerre.

On observe tout d’abord le champ lexical de la violence : « meurtriers mercenaires », «se battre », « s’acharnent les unes contre les autres », « puissances belligérants », « se détestant  toutes également les unes les autres », « faire tout le mal possible », « entreprise infernale », « chef des meurtriers », « exterminer».

Cet abondant champ lexical montre que derrière le carnaval et le jeu, la violence est omniprésente.

Voltaire lève d’ailleurs brutalement le voile de cette barbarie par l’antithèse frappante « Le merveilleux de cette entreprise infernale ». Comme souvent chez Voltaire, l’ironie laisse place à l’indignation.

Ensuite, Voltaire désigne les soldats avec des termes marqués par la multitude et l’indéfini : « un grand nombre d’hommes », « de plus de meurtriers », « Des peuples », « on va se battre », « deux bandes », « Ces multitudes », « se détestant toutes », « toutes d’accord ». Les pronoms impersonnels ou les déterminants indéfinis soulignent que les hommes meurent anonymement, en masse, dans la plus complète indifférence.

Cette dimension tragique est renforcée par la référence à Bazajet, une tragédie de Jean Racine que les lecteurs de l’époque connaissaient bien.

En outre, Voltaire frappe les esprits en s’inspirant de la rhétorique judiciaire. On retrouve ainsi dans ce texte un rythme ternaire très fréquent :

♦ « protester qu’elle ne le connaît pas, qu’elle n’a nulle envie d’être gouvernée par lui ; que, pour donner […]» ;
♦ « tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq» ;

Comme un procureur qui fait un réquisitoire, Voltaire utilise également des images pour marquer le lecteur – par exemple la comparaison « comme des moissonneurs » qui rappelle la représentation allégorique de la mort venant faucher les humains.

Dans cet article « guerre », Voltaire critique la conception de la guerre qui permet cette barbarie : la doctrine de la guerre juste, qu’il a déjà critiquée dans le chapitre 3 de Candide en 1756.

B – La critique de la guerre juste

Voltaire critique dans cet article la doctrine de la guerre juste défendue par Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin et le philosophe Leibniz, sévèrement critiqué par Voltaire dans Candide pour sa justification du mal dans le monde et son optimisme excessif.

Leibniz considère en effet que la guerre peut être justifiée si elle est voulue par Dieu. La guerre pourrait donc être la manifestation d’une volonté providentielle.

Voltaire s’attaque à cette conception de la guerre par le champ lexical de la religion : « droit divin », « gloire », « entreprise infernale », « bénir », « invoque Dieu », « son prochain ».

Comme dans la doctrine de la guerre juste, la guerre décrite par Voltaire trouve une justification théologique puisqu’elle est accompagnée de sacrements et de la bénédiction de l’Eglise (« fait bénir ses drapeaux »).

Mais Voltaire pervertit ces expressions religieuses : le terme « prochain » qui suggère la compassion et l’amour chrétien est précédé du verbe « exterminer » : « exterminer son prochain » . Cet oxymore révèle que la guerre juste est toujours une « entreprise infernale » et ne peut avoir de justification théologique.

La guerre n’a d’ailleurs pour Voltaire pas de justification du tout comme le montre les négations qui encadrent l’énoncé du motif : « dont la mémoire même ne subsiste plus », « sans savoir même de quoi il s’agit ». La guerre n’est ni juste ni injuste : elle est absurde.

Enfin, la phrase « toutes d’accord en un seul point, celui de faire tout le mal possible » peut se lire comme une critique de la justification de la guerre par Leibniz. En effet, Leibniz affirme que le monde créé par Dieu est fait selon les principes de l’harmonie universelle. Voltaire veut montrer que cette harmonie (« accord ») est en réalité mise au service de la violence et de la barbarie.

 C – Vers une nouvelle conception du pouvoir

Derrière ce réquisitoire contre la guerre, Voltaire propose en filigrane une nouvelle philosophie politique et une nouvelle conception des relations internationales – ce qu’on appelle le droit des gens au 18ème siècle.

Pour Voltaire, le « prince » du texte, qui rappelle celui de Machiavel, est l’allégorie du tyran. Il est l’anti-portrait du prince idéal qui doit selon Voltaire satisfaire à trois critères pour gouverner :
1 – Etre connu de son peuple;
2 – Susciter l’adhésion;
3 – Avoir le consentement de son peuple.

Ce sont ces trois critères qui se dégagent de la phrase suivante : « Cette province, qui est à quelques centaines de lieues de lui, a beau protester qu’elle ne le connaît pas, qu’elle n’a nulle envie d’être gouvernée par lui ; que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement ».

Cette conception du pouvoir se rattache aux théories du contrat social de John Locke, un philosophe anglais du 18ème siècle que Voltaire appréciait. Selon Locke, le peuple consent à la domination du prince si ce dernier leur accorde protection et garantit la liberté individuelle et la propriété. C’est exactement ce que Voltaire demande au Prince dans cet article « guerre ».

Enfin, Voltaire suggère un encadrement légal du droit de la guerre. En dépeignant le désordre de la guerre par le champ lexical de la multitude, Voltaire laisse entendre que ce désordre doit être encadré par l’ordre et la raison. Le rythme ternaire que Voltaire emploie très souvent dans ce texte est le symbole de cet encadrement de la guerre par le droit.

Article « guerre », Voltaire, conclusion

Dans cet article « guerre », Voltaire n’écrit pas à proprement parler un article de dictionnaire.

Malgré tout, à travers sa parodie de conte et son réquisitoire indigné contre la guerre, il en donne une définition efficace au service de l’humanité et de la paix.

A la suite, Kant en 1795 rédigera Vers une paix perpétuelle pour éloigner le spectre de la guerre encore présent en cette fin de XVIIIème siècle.

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