La Double inconstance de Marivaux, acte 2 scène 11 : analyse

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Voici une explication linéaire de l’acte II scène 11 de La Double inconstance de Marivaux.

L’extrait analysé va de « Vous me faites rêver à une chose » jusqu’à la fin de la scène 11.

La Double inconstance, Marivaux, Acte II, scène 11, introduction

La Double Inconstance, comédie française en trois actes et en prose de Marivaux est représentée en 1723 pour la première fois.

Silvia, une jeune paysanne enlevée par le Prince secrètement épris d’elle, et Arlequin vivent finalement au château.

Afin de faire triompher le Prince, Trivelin tente de rompre l’amour qui unit Silvia et Arlequin, en vain.

À partir de l’Acte II, Flaminia, conseillère du Prince, prend le relais pour détruire l’amour de Silvia pour Arlequin.

Comme dans Les Fausses Confidences de Marivaux, la ruse et la tromperie est utilisée pour tenter de faire émerger la vérité des sentiments.

La scène 11 se construit autour de 2 personnages féminins sur scène, Silvia et Flaminia, et de 2 personnages masculins au cœur de leur conversation : Arlequin et le Prince.

Extrait analysé

Silvia.
Vous me faites rêver à une chose. Ne trouvez-vous pas qu’il est un peu négligent depuis que nous sommes ici ? il m’a quittée tantôt pour aller goûter ; voilà une belle excuse !

Flaminia.
Je l’ai remarqué comme vous ; mais ne me trahissez pas au moins ; nous nous parlons de fille à fille. Dites-moi, après tout, l’aimez-vous tant, ce garçon ?

Silvia.
Mais, vraiment oui, je l’aime ; il le faut bien.

Flaminia.
Voulez-vous que je vous dise ? Vous me paraissez mal assortis ensemble. Vous avez du goût, de l’esprit, l’air fin et distingué ; il a l’air pesant, les manières grossières ; cela ne cadre point et je ne comprends pas comment vous l’avez aimé ; je vous dirai même que cela vous fait tort.

Silvia.
Mettez-vous à ma place. C’était le garçon le plus passable de nos cantons ; il demeurait dans mon village ; il était mon voisin ; il est assez facétieux, je suis de bonne humeur ; il me faisait quelquefois rire ; il me suivait partout ; il m’aimait ; j’avais coutume de le voir, et de coutume en coutume je l’ai aimé aussi, faute de mieux ; mais j’ai toujours bien vu qu’il était enclin au vin et à la gourmandise.

Flaminia.
Voilà de jolies vertus, surtout dans l’amant de l’aimable et tendre Silvia ! Mais à quoi vous déterminez-vous donc ?

Silvia.
Je l’ignore ; il me passe tant de oui et de non par la tête, que je ne sais auquel entendre. D’un côté, Arlequin est un petit négligent qui ne songe ici qu’à manger ; d’un autre côté, si l’on me renvoie, ces glorieuses de femmes feront accroire partout qu’on m’aura dit : « Va-t’en, tu n’es pas assez jolie. » D’un autre côté, ce monsieur que j’ai retrouvé ici…

Flaminia.
Quoi ?

Silvia.
Je vous le dis en secret ; je ne sais ce qu’il m’a fait depuis que je l’ai revu ; mais il m’a toujours paru si doux, il m’a dit des choses si tendres, il m’a conté son amour d’un air si poli, si humble, que j’en ai une véritable pitié, et cette pitié-là m’empêche encore d’être maîtresse de moi.

Flaminia.
L’aimez-vous ?

Silvia.
Je ne crois pas ; car je dois aimer Arlequin.

Flaminia.
Ce monsieur est un homme aimable.

Silvia.
Je le sens bien.

Flaminia.
Si vous négligiez de vous venger pour l’épouser, je vous pardonnerais ; voilà la vérité.

Silvia.
Si Arlequin se mariait à une autre fille que moi, à la bonne heure. Je serais en droit de lui dire : « Tu m’as quittée, je te quitte, je prends ma revanche » ; mais il n’y a rien à faire. Qui est-ce qui voudrait d’Arlequin ici, rude et bourru comme il est ?

Flaminia.
Il n’y a pas presse, entre nous. Pour moi, j’ai toujours eu dessein de passer ma vie aux champs ; Arlequin est grossier ; je ne l’aime point, mais je ne le hais pas ; et, dans les sentiments où je suis, s’il voulait, je vous en débarrasserais volontiers pour vous faire plaisir.

Silvia.
Mais mon plaisir, où est-il ? il n’est ni là, ni là ; je le cherche.

Flaminia.
Vous verrez le prince aujourd’hui. Voici ce cavalier qui vous plaît ; tâchez de prendre votre parti. Adieu, nous nous retrouverons tantôt.

La double inconstance, Marivaux, acte II scène 11


Problématique

En quoi cet extrait met-il en scène la duplicité de Flaminia ?

Plan linéaire

Le stratagème de Flaminia repose sur deux mouvements : celui du discrédit d’Arlequin (1er mouvement, jusqu’à « ce Monsieur que j’ai retrouvé ici« ) puis celui de l’aveu de l’amour pour le Prince (2nd mouvement, jusqu’à la fin de la scène).

I – Le stratagème de discrédit

De «Vous me faites rêver à une chose » à « ce Monsieur que j’ai retrouvé ici… »

Silvia semble chercher, auprès de Flaminia, un soutien pour lui confirmer le changement de son amant, par une interro-négative (« Ne trouvez-vous pas … ?»).

Elle dépeint explicitement Arlequin comme « négligent ». Elle lui reproche sa légèreté (« il m’a quittée tantôt pour aller goûter »), comme si sa gourmandise était incontrôlable.

Mais sa remarque ironique « voilà une belle excuse. » montre qu’elle n’est pas dupe : Arlequin aurait changé au point que son amour pour elle serait relégué au second plan.

Flaminia se fait passer pour la confidente de Silvia : elle abonde en son sens afin de s’attirer sa sympathie, comme l’indique l’expression « Je l’ai remarqué comme vous ».

La comparaison « comme vous » l’ancre dans une posture de confidente et de miroir.

Son discours se veut transparent et vrai : le champ lexical de la transparence (« ne me trahissez pas », « de fille à fille », « dites-moi ») montre qu’elle cherche à gagner la confiance de Silvia.

En réalité, il s’agit d’un stratagème pour mieux l’amener à changer sa position.

La question finale de Flaminia est donc orientée : elle conduit son interlocutrice à remettre en question son amour pour Arlequin. En effet, les expressions « après tout » et « l’aimez-vous tant » poussent à manipuler son interlocutrice pour l’amener à un aveu de désamour : « dites-moi, après tout, l’aimez-vous tant ce garçon ? »

À ce stade, la réponse de Silvia n’est pas encore celle attendue : elle réitère son amour pour Arlequin, tout en le tempérant d’une dimension d’obligation (« il le faut bien »).

C’est alors que la stratégie de Flaminia se déploie : elle procède en plusieurs étapes. D’abord, elle donne son jugement général et orienté : « Vous me paraissez mal assortis ensemble. »

Puis, elle choisit d’opposer Silvia et Arlequin : elle dresse un portrait mélioratif de son interlocutrice qui a « du goût, de l’esprit, l’air fin et distingué ».

Par opposition, elle dresse un portrait péjoratif d’Arlequin qui « a l’air pesant, les manières grossières ».

Ensuite, elle réitère son jugement personnel par un ensemble de négations grammaticales (« cela ne cadre point et je ne comprends pas comment vous l’avez aimé ») et lexicales (« cela vous fait tort. »).

Flaminia ne se contente donc pas de recueillir des confidences : elle oriente, elle manipule.

La réplique suivante de Silvia s’ouvre par l’impératif : « Mettez-vous à ma place. ». Cette phrase est loin d’être anodine car elle prédit la suite de la pièce : c’est bien Flaminia qui prendra la place de Silvia et qui gagnera l’amour d’Arlequin.

Sylvia retrace l’histoire de la relation qui la relie à Arlequin et la naissance de leur amour. L’asyndète (juxtaposition des propositions sans conjonctions de coordination) restitue la simplicité mais aussi la pauvreté de cette relation : « C’était le garçon le plus passable de nos cantons ; il demeurait dans mon village ; il était mon voisin ; il est assez facétieux, je suis de bonne humeur ; il me faisait quelquefois rire ; il me suivait partout ; il m’aimait ; j’avais coutume de le voir, et de coutume en coutume je l’ai aimé aussi, faute de mieux ; mais j’ai toujours bien vu qu’il était enclin au vin et à la gourmandise.« 

Flaminia semble s’être contentée du « garçon le plus passable », par facilité géographique (« il demeurait dans mon village ; il était mon voisin »).

Même si leur point commun est leur joie de vivre, ils semblent avoir construit une relation bancale.

En effet, Silvia s’accommode du tempérament d’Arlequin, sans qu’il y ait parfaite adéquation (les adverbes « quelquefois » et « partout » confirment que leur relation est loin d’être idyllique).

La conclusion ne se fait pas attendre : leur amour s’enracine donc dans la « coutume », terme qui est répété à trois reprises, et non dans ue inclinaison personnelle.

Par ailleurs, le défaut d’Arlequin est à nouveau souligné : « enclin au vin et à la gourmandise. »

L’expression « faute de mieux » renforce l’idée d’un désenchantement amoureux.

Flaminia poursuit sa manipulation avec subtilité.

Elle réplique avec ironie : « Voilà de jolies vertus », tout en louant son interlocutrice Silvia, comme l’indiquent les épithètes « aimable et tendre ».

Sa question « à quoi vous déterminez-vous donc ? » lui permet de poursuivre la conversation et d’essayer d’obtenir une réponse qui lui plaise.

La réponse de Silvia (« Je ne puis que dire ») montre combien leur relation est arrivée à son terme. Le doute prédomine comme le souligne l’antithèse oui/non (« tant de oui et de non »).

Pour la troisième fois, Silvia souligne qu’Arlequin « est un petit négligent qui ne songe ici qu’à manger ». La négation restrictive (ne…que) rabaisse Arlequin et l’assimile à un personnage de farce plus qu’à un amant désirable.

Puis, par un balancement binaire (« d’un autre côté »), Silvia montre qu’elle est tiraillée entre Arlequin et « ce monsieur ».

II – Le stratagème de l’aveu

De « Quoi ? » à la fin de la scène 11

Les points de suspension révèlent une certaine forme de pudeur de la part de Silvia, pudeur que Flaminia veut outrepasser en la questionnant davantage par le pronom interrogatif « Quoi ? ».

Silvia tombe dans le piège de son interlocutrice : « je vous le dis en secret ».

Par le système de la double énonciation propre au théâtre, le spectateur se voit aussi confier un secret de la plus haute importance : la naissance de son amour pour le Prince.

En effet, Silvia confie son trouble (« je ne sais ») et son impression après avoir parlé au Prince : tous les adjectifs – « doux », « si tendres », « si poli », « si humble » dressent un portrait élogieux du Prince.

Silvia avoue : « cette pitié-là m’empêche encore d’être maîtresse de moi. » C’est donc que les sentiments prennent le pas sur la raison (« maîtresse de moi » ).

Le stratagème de Flaminia fonctionne : après avoir évoqué ses distances avec Arlequin, Silvia avoue être troublée par le Prince. Il ne lui reste plus qu’à avouer son amour, d’où la question courte et directe de Flaminia, destinée à obtenir un aveu rapide : « L’aimez-vous ? ».

Mais la réponse de Silvia n’est pas celle escomptée : « Je ne crois pas ; car je dois aimer Arlequin. ». Sa réticence repose sur le respect de la bienséance morale, comme le montre le verbe « devoir ».

La conjonction de coordination « car » révèle que Silvia construit un raisonnement logique et suit donc la voie de la raison et non des sentiments.

Flaminia persévère donc en cherchant l’approbation de son interlocutrice au point qu’elle dit : « Si vous négligiez de vous venger pour l’épouser, je vous pardonnerais ». Elle tente de faire envisager à Silvia de nouvelles possibilités comme l’indique la proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse (« Si…« ) et le verbe au conditionnel (« pardonnerais » ) .

Silvia se saisit de cette manipulation à son propre compte au point d’imaginer un dialogue de rupture : « Tu m’as quittée, je te quitte, je prends ma revanche ».

Mais son espoir s’arrête sur une question rhétorique : « Qui est-ce qui voudrait d’Arlequin ici, rude et bourru comme il est ? »

Flaminia, maligne, poursuit son entreprise de sabotage en proposant d’épouser elle-même Arlequin.

Mais elle le fait intelligemment, sans déclarer un amour inconditionnel .

Elle prétexte tout d’abord un goût pour la vie à la campagne : « j’ai toujours eu dessein de passer ma vie aux champs« .

Puis elle affirme : « je ne l’aime point, mais je ne le hais point ». La litote « je ne le hais point » fait penser à la célèbre réplique de Chimène dans Le Cid de Corneille, qui dévoile en réalité l’amour : « Va, je ne te hais point. ».

Ce jeu d’intertextualité est plaisant pour le spectateur.

Flaminia prétexte ensuite vouloir agir par amitié, comme le témoigne la phrase au conditionnel présent : « je vous en débarrasserais volontiers pour vous faire plaisir. »

Le verbe « débarrasser » est source de comique car il réifie Arlequin (réifier : réduire à l’état d’objet).

Dans sa réplique, Silvia montre qu’elle est perdue et, en l’absence de didascalies, le lecteur-spectateur peut imaginer un jeu de déplacement sur scène : « Mais mon plaisir, où est-il ? il n’est ni là, ni là ; je le cherche. »

Là encore, le stratagème de Flaminia semble échouer. Mais cette dernière conclut avec autorité : le Prince entre en scène (« Voici ce cavalier qui vous plaît »). Les futurs à valeur de certitude (« Vous verrez le Prince », « nous nous retrouverons ») et l’impératif (« tâchez de prendre votre parti ») soulignent sa force de caractère, son intelligence et son pouvoir de manipulation.

La Double inconstance, acte II scène 11, conclusion

Flaminia mène sa stratégie de confidence à bien : grâce à ses questions orientées et à ses jugements incisifs, elle mène Silvia à discréditer Arlequin et avouer son amour pour le Prince.

Si l’une est maîtresse de son stratagème, l’autre, naïve, n’en a pas conscience.

L’inconstance n’est donc pas seulement amoureuse : elle est aussi morale puisqu’elle conduira au renversement des mariages.

Comme dans Les Fausses confidences, pièce de théâtre qui paraîtra plus d’une décennie plus tard, Marivaux utilise le procédé de la tromperie et la dissimulation pour pousser les personnages à se comporter en accord avec leurs sentiments.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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