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Voici une analyse linéaire de l’acte III scène 13 (le dénouement) des Fausses Confidences de Marivaux.
Les Fausses Confidences, acte 3 scène 13, introduction
Les comédies bourgeoises de Marivaux renouvellent la comédie au début du XVIIIe siècle.
Elles se nourrissent des jeux de retournements parfois burlesques propre à la farce populaire, et de la finesse psychologique de la culture galante et précieuse. L’amour, en contestant l’ordre social, créé les conflits que la pièce doit dénouer.
Dans Les Fausses Confidences, l’amour d’un petit bourgeois, Dorante, et d’une grande bourgeoise, Araminte, doit transgresser les obstacles sociaux.
Les fausses confidences, orchestrées par le valet Dubois, favoriseront leur union. (Voir la fiche de lecture complète des Fausses Confidences de Marivaux pour le bac de français).
Alors que dans la scène précédente les amants se sont déclarés leur amour réciproque, dans cette scène de dénouement, Araminte abolit les derniers obstacles sociaux à leur amour.
Extrait étudié : acte 3 scène 13
DORANTE, ARAMINTE, LE COMTE, MADAME ARGANTE, DUBOIS, ARLEQUIN. Madame Argante, voyant Dorante.Quoi ! le voilà encore ?
Araminte, froidement.Oui, ma mère. (Au comte.) Monsieur le comte, il était question de mariage entre vous et moi, et il n’y faut plus penser. Vous méritez qu’on vous aime ; mon cœur n’est point en état de vous rendre justice, et je ne suis pas d’un rang qui vous convienne.
Madame Argante.Quoi donc ! que signifie ce discours ?
Le Comte.Je vous entends, madame ; et sans l’avoir dit à madame (montrant madame Argante) je songeais à me retirer. J’ai deviné tout. Dorante n’est venu chez vous qu’à cause qu’il vous aimait ; il vous a plu ; vous voulez lui faire sa fortune ; voilà tout ce que vous alliez dire.
Araminte.Je n’ai rien à ajouter.
Madame Argante, outrée.La fortune à cet homme-là !
Le Comte, tristement.Il n’y a plus que notre discussion, que nous réglerons à l’amiable. J’ai dit que je ne plaiderais point et je tiendrai parole.
Araminte.Vous êtes bien généreux. Envoyez-moi quelqu’un qui en décide, et ce sera assez.
Madame Argante.Ah ! la belle chute ! ah ! ce maudit intendant ! Qu’il soit votre mari tant qu’il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre.
Araminte.Laissons passer sa colère, et finissons. (Ils sortent.)
Dubois.Ouf ! ma gloire m’accable. Je mériterais bien d’appeler cette femme-là ma bru.
Arlequin.Pardi ! nous nous soucions bien de ton tableau à présent ! L’original nous en fournira bien d’autres copies.
Problématique
Nous verrons comment ce dénouement amoureux règle les derniers obstacles sociaux qui s’opposent à l’amour de Dorante et Araminte.
Plan de lecture linéaire
Dans une première partie, du début de la scène à « La fortune à cet homme-là !
», Araminte déclare au comte et à sa mère qu’elle épousera Dorante.
Puis, dans une deuxième partie, de « Il n’y a plus que notre discussion
» à « (Ils sortent.)
», Araminte règle son contentieux avec le comte.
Enfin, de « Ouf ! ma gloire m’accable
» à la fin de la scène, les valets consacrent le triomphe de l’amour de manière comique.
I – Araminte déclare au comte et à sa mère qu’elle épousera Dorante
(Du début de la scène 13 à « La fortune à cet homme-là !
»)
Cette dernière scène des Fausses Confidences s’ouvre sur une réplique de Madame Argante qui, « voyant Dorante », s’exclame, révoltée : « Quoi ! le voilà encore !
» .
Son mépris pour l’intendant ruiné s’exprime à travers l’exclamation et le pronom personnel complément « le », qui met à distance Dorante.
Son mépris, alors que les deux amants viennent de se confier leur amour, est comique.
La mère d’Araminte incarne la suffisance d’une grande bourgeoise qui méprise les personnages de plus basses classes, quand bien même ils feraient preuve de mérite, comme Dorante. Elle s’inscrit dans la lignée des personnages de Molière, comme M. Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme.
Araminte répond « froidement » à sa mère, affirmant de manière lapidaire : « Oui, ma mère.
» La sécheresse de la réplique s’oppose à la tirade amoureuse de la scène précédente. Madame Argante est désignée par le groupe nominal « ma mère » qui dénote une relation distante, qui s’arrête au strict lien biologique et social.
Marivaux suggère combien l’appartenance d’individus à la même famille ne suffit pas à faire d’eux une communauté épanouie.
Puis Araminte s’adresse au comte pour lui annoncer l’annulation de leur mariage. La tournure impersonnelle et la forme négative « et il n’y faut plus penser
» met en valeur la détermination d’Araminte.
La justification d’Araminte pour annuler ce mariage est double :
– Elle est d’abord sentimentale car Araminte reconnaît au comte le droit d’être aimé ; or elle ne l’aime pas : « Vous méritez qu’on vous aime ; mon cœur n’est point en état de vous rendre justice
». La chiasme syntaxique vous/on/mon coeur/vous souligne un chassé-croisé amoureux manqué entre Araminte et le Comte.
Le vocabulaire éthique (« méritez », « rendre justice
») valorise l’amour qui n’est pas synonyme de dépravation morale, mais au contraire d’élévation. Cette valorisation de l’amour en tant que valeur morale est caractéristique de la culture galante et précieuse.
– La seconde justification d’Araminte pour annuler son mariage avec le comte est sociale : « et je ne suis pas d’un rang qui vous convienne.
»
En effet, le mariage d’une grande bourgeoise et d’un aristocrate est socialement mixte, et pourrait constituer une mésalliance mal perçue.
Habilement, Araminte retourne le mépris de classe qu’exprime sa mère contre lui-même : si le mariage d’un petit bourgeois (Dorante) et d’une grande bourgeoise (Araminte) est inconcevable, alors il doit en être de même du mariage d’une grande bourgeoise et d’un aristocrate. Ce parallélisme synthétise les tensions sociales propre à une société d’ordre.
Les révélations d’Araminte prolongent le dévoilement des sentiments de la scène précédente puisqu’elle y évoque son amour par la métonymie « mon coeur« . Le dénouement est l’acmé (le point culminant) où les masques tombent, et où les vérités cachées se révèlent.
La mère proteste vivement, toujours sur un mode exclamatif : elle répète l‘interjection « Quoi », renforcée cette fois-ci par la conjonction « donc » : « Quoi donc !« . Elle fait part de son incrédulité par une question rhétorique : « que signifie ce discours ?
»
Ces questions, où les personnages affirment leur incompréhension, sont récurrentes dans le théâtre de Marivaux. Elles soulignent les retournements dramatiques qui échappent aux personnages eux-mêmes, et suscitent le rire.
L’incapacité de la grande bourgeoise à comprendre une parole symbolise sa perte de pouvoir. En effet, au théâtre, le pouvoir est dans la parole. Araminte représente la grande bourgeoisie conservatrice qui ambitionne l’élévation sociale sans considération pour le bonheur individuel, en l’occurrence ici, celui de sa fille. La hiérarchie sociale est donc source de déshumanisation car elle nie les aspirations individuelles.
Le comte fait preuve de sagacité, car il avait prévu ce tournant : « J’ai deviné tout
» Il montre combien il est en effet un aristocrate (« aristos » : « excellent ») par sa capacité à lire à travers le langage, et à démêler les fausses confidences.
Son ton est posé et décidé comme en témoigne la parataxe qui fluidifie son discours (juxtaposition de propositions sans mot de liaison) : « je songeais à me retirer ; j’ai deviné tout ; Dorante n’est venu chez vous qu’à cause qu’il vous aimait ; il vous a plu ; vous voulez lui faire sa fortune
« .
De façon surprenante, il se fait la voix de la vérité et synthétise la dynamique de la pièce : l’amour a transcendé l’ordre social : « il vous a plu ; vous voulez lui faire sa fortune
».
La compréhension du comte est si complète, qu’Araminte n’a « rien à ajouter
» Cette abolition du dialogue signifie la fin du conflit, car la parole est par essence conflit au théâtre. La fin du conflit annonce donc la fin de la pièce, imminente.
Cette sereine concertation accroît la colère de Madame Argante, comme l’exprime l’adjectif « outrée » en didascalie.
Elle répète la réplique du comte à la forme exclamative : « La fortune à cet homme-là !
» car elle ne conçoit pas que sa famille élève socialement un petit bourgeois. La particule « là » est dépréciative et témoigne de son mépris pour Dorante.
II – Araminte règle son contentieux avec le comte
(De « Il n’y a plus que notre discussion
» à « (Ils sortent)
»)
Le comte, à l’inverse de Madame Argante, fait preuve de maîtrise : sa déception amoureuse est réelle comme en témoigne la didascalie « tristement » mais il tient parole en ne plaidant pas contre Araminte alors qu’il aurait pu le faire par vengeance.
Il représente les vertus de l’aristocratie, et Araminte lui attribue d’ailleurs l’adjectif « généreux », valeur censée être propre à cette classe sociale et morale.
Le comte incarne également une aristocratie lucide quant aux dynamiques sociales.
Au contraire, Madame Argante s’insurge contre ce dénouement, qui constitue pour elle une « belle chute !
» Cette exclamation comique joue sur le double sens du terme « chute » : la mère blâme la « chute » (le dénouement) de cette intrigue, mais ce terme désigne aussi ironiquement la « chute » sociale que constitue le mariage de sa fille avec Dorante.
La panique et l’incompréhension de la mère s’oppose à la sérénité des autres personnages. C’est un personnage caricatural digne d’une comédie de Molière et qui suscite le rire.
Par ses injures (« ce maudit intendant !
»), elle refuse d’intégrer Dorante à sa famille.
Araminte demeure cependant confiante quant à la virulence de sa mère, qui finira par s’éteindre avec le temps : « Laissons passer sa colère
». Le temps serait donc à même de faire accepter des dynamiques sociales révoltantes pour une partie de la société. Marivaux suggère ici une progressive évolution des mœurs, vers l’égalisation des conditions.
Araminte se fait enfin metteuse en scène, et annonce la fin de la pièce : « finissons. (Ils sortent.)
»
III – Les valets consacrent le triomphe de l’amour de manière comique
(De « Ouf ! ma gloire m’accable
» à la fin de la pièce)
À la fin de la scène 13 de l’acte III, seuls les valets Dubois et Arlequin demeurent encore sur scène.
On retrouve ainsi les origines farcesques de la comédie bourgeoise où la conclusion de la pièce est traditionnellement prise en charge par des valets guillerets et désinhibés.
Le valet metteur en scène qu’est Dubois s’attribue à raison la « gloire » de ce dénouement, qu’il amena par ses ingénieux stratagèmes.
Contrairement à Madame Argante, il s’intègre comiquement à la nouvelle famille née du mariage en appelant Araminte : « ma bru
» (= ma belle-fille). Il adopte donc un regard paternel et bienveillant sur le couple.
Arlequin, enfin, ironise quant à la péripétie du tableau, rendu obsolète car Araminte enfantera non de simples images, mais de vrais êtres : « l’original nous en fournira bien d’autres copies
» . Ces réflexions comiques achèvent donc la pièce par l’évocation heureuse des futurs enfants qu’engendrera le couple.
La vérité et l’amour ont triomphé.
Les Fausses confidences, acte III scène 13, conclusion
Nous avons vu que ce dénouement amoureux règle les derniers obstacles sociaux qui s’opposaient à l’amour de Dorante et Araminte.
Le dénouement remplace les fausses confidences par de vraies révélations, condition nécessaire à la résolution des conflits, en dépit des risques.
Ce dénouement heureux fait triompher l’amour sur l’ordre social, et témoigne des aspirations bourgeoises à l’égalisation des conditions, propre à l’esprit des Lumières naissant.
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