Les Fausses Confidences, Marivaux, acte 3 scène 1 : analyse

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les fausses confidences marivaux acte III scene 1Voici une lecture linéaire de l’acte III scène 1 des Fausses Confidences de Marivaux.

L’extrait étudié va de « Dubois :  « Oh ! oui : point de quartier. Il faut l’achever (…) » à la fin de la scène.

Les Fausses Confidences, acte 3 scène 1, introduction

Marivaux est l’auteur de comédies du siècle des Lumières.

Le dramaturge critique un ordre social qui tient plus de la naissance que du mérite. Pour se faire, il met en scène valets, bourgeois et aristocrates en des intrigues complexes, fondées sur des jeux de masques et de dissimulation.

Les pouvoirs du langage sont au cœur de ce théâtre plaisant et psychologique.

Les Fausses Confidences est une comédie en trois actes et en prose jouée pour la première fois en 1737. Dorante, petit bourgeois ruiné, aime Araminte qui appartient à la grande bourgeoisie des financiers.

A l’obstacle social, s’ajoute la paralysante timidité des amants. Les stratagèmes ingénieux du valet Dubois permettront cependant le triomphe de l’amour. (Voir la fiche de lecture pour le bac des Fausses confidences)

Ce dialogue entre Dorante et Dubois ouvre le troisième acte, et redynamise l’intrigue autour de ce duo paradoxal et uni.

Extrait étudié

Dubois.

Oh ! oui ! point de quartier. Il faut l’achever pendant qu’elle est étourdie. Elle ne sait plus ce qu’elle fait. Ne voyez-vous pas bien qu’elle triche avec moi, qu’elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit ? Ah ! je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident pour vous aimer en fraude.

Dorante.

Que j’ai souffert dans ce dernier entretien ! Puisque tu savais qu’elle voulait me faire déclarer, que ne m’en avertissais-tu par quelques signes ?

Dubois.

Cela aurait été joli, ma foi ! Elle ne s’en serait point aperçue, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, votre douleur n’en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l’effet qu’elle a produit ? Monsieur a souffert ! Parbleu ! il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d’inquiétude.

Dorante.

Sais-tu bien ce qui arrivera ? Qu’elle prendra son parti, et qu’elle me renverra tout d’un coup.

Dubois.

Je l’en défie. Il est trop tard ; l’heure du courage est passée ; il faut qu’elle nous épouse.

Dorante.

Prends-y garde ; tu vois que sa mère la fatigue.

Dubois.

Je serais bien fâché qu’elle la laissât en repos.

Dorante.

Elle est confuse de ce que Marton m’a surpris à ses genoux.

Dubois.

Ah ! vraiment, des confusions ! Elle n’y est pas ; elle va en essuyer bien d’autres ! C’est moi qui, voyant le train que prenait la conversation, ai fait venir Marton une seconde fois.

Dorante.

Araminte pourtant m’a dit que je lui étais insupportable.

Dubois.

Elle a raison. Voulez-vous qu’elle soit de bonne humeur avec un homme qu’il faut qu’elle aime en dépit d’elle ? Cela est-il agréable ? Vous vous emparez de son bien, de son cœur ; et cette femme ne criera pas ! Allez vite, plus de raisonnements : laissez-vous conduire.

Dorante.

Songe que je l’aime, et que, si notre précipitation réussit mal, tu me désespères.

Dubois.

Ah ! oui, je sais bien que vous l’aimez ; c’est à cause de cela que je ne vous écoute pas. Êtes-vous en état de juger de rien ? Allons, allons, vous vous moquez ; laissez faire un homme de sang-froid. Partez, d’autant plus que voici Marton qui vient à propos, et que je vais tâcher d’amuser, en attendant que vous envoyiez Arlequin.

(Dorante sort.)

Problématique

Nous verrons comment ce dialogue entre Dorante, l’amant timide, et Dubois, l’ingénieux valet, illustre les virtuoses capacités de ce dernier à manipuler le langage et les personnages.

Annonce de plan linéaire

Dans une première partie, du « Oh ! oui : point de quartier. » à « Il faut qu’elle nous épouse », Dubois affirme à Dorante que leur stratagème doit le faire souffrir pour fonctionner.

De même, dans une deuxième partie, de « Prends-y garde » à « laissez-vous conduire », Dubois considère que le stratagème doit faire souffrir Araminte pour fonctionner.

Enfin, dans une troisième partie, de « Songe » à la fin de la scène, le valet justifie ses stratagèmes par le fait que l’amour empêche les amants d’agir.

I – Dubois s’affirme comme le seul maître du jeu

(De « Oh ! oui, point de quartier » à « vous aimer en fraude »)

Le valet Dubois a chargé Dorante de remettre une mystérieuse lettre à Arlequin. Alors que Dorante hésite à envoyer cette lettre, Dubois l’encourage par une exclamation : « Oh ! oui. Point de quartier. ».

Il manifeste presque de la cruauté à manipuler Araminte, comme en témoigne l’expression familière « point de quartier » qui signifie « point d’indulgence » et la tournure impersonnelle « il faut l’achever« . Les stratagèmes du valet à l’encontre de la maîtresse constituent une forme de vengeance sociale.

Dubois est d’autant plus déterminé à faire souffrir Araminte que cette dernière a tenté de « tricher » avec lui en jouant aussi aux fausses confidences : « elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit ? » .

Dubois, à la fois personnage et metteur en scène de la pièce est pris à son propre jeu de manière comique, et sent que l’intrigue lui échappe dangereusement : « Ah ! je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident« .

Son mécontentement et sa volonté de vengeance créent une situation comique où le maître du jeu risque de se retrouver prisonnier de son propre piège. Le plaisir de la comédie tient bien sûr à cet affrontement de stratagèmes.

Mais Dubois est un valet à la confiance infaillible, qui affirme sa toute-puissance comme l’indique le futur de l’indicatif qui exprime sa certitude « je lui apprendrai« .

Il prépare donc un châtiment pour punir sa maîtresse de lui avoir « souffl(é) (s)on rôle de confident« . Le jeu de mot sur le verbe « souffler » met en valeur l’amour-propre du valet. « Souffler » signifie en effet « prendre », « voler » mais rappelle aussi le « soufflet » qui désigne une gifle ou un affront comme si les stratagèmes entrepris par Araminte constituaient un affront personnel pour le valet.

Le substantif « rôle » appartient au vocabulaire théâtral et crée une subtile de mise en abyme, rappelant que Dubois est le véritable metteur en scène qui distribue les rôles.

II – Dubois affirme que son stratagème doit faire souffrir pour fonctionner

De « Que j’ai souffert dans ce dernier entretien » à « laissez vous conduire« 

Dorante se lamente dans une tonalité tragique : « Que j’ai souffert dans ce dernier entretien ! »

Par une interrogation, il tente de démêler les stratagèmes de Dubois qu’il ne comprend pas, faisant écho aux propres interrogations du spectateur : « Puisque tu savais qu’elle voulait me faire déclarer, que ne m’en avertissais-tu par quelques signes ? »

La proposition subordonnée conjonctive de cause (« puisque tu savais qu’elle voulait me faire déclarer« ) souligne l’incompréhension de Dorante qui ne perçoit plus la logique des actions de Dubois.

Maître du jeu, Dubois répond ironiquement à Dorante : « Cela aurait été joli, ma foi ! » pour lui faire comprendre qu’il ne pouvait intervenir dans le tête-à-tête des amoureux.

Néanmoins, Dubois se réjouit de la souffrance de Dorante qui « n’en a parue que plus vraie« . Le verbe « paraître » associé à l’adjectif « vrai » souligne la primauté de l’apparence dans cette pièce et l’entremêlement inextricable du mensonge et de la vérité.

Dans la voix du valet résonne celle du dramaturge prenant plaisir à tisser une intrigue à suspens : « Parbleu ! il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d’inquiétude. »

Cependant, Dorante désespère.  Il pose une question rhétorique Sais-tu bien ce qui arrivera ? ») à laquelle il répond aussitôt : « Qu’elle prendra son parti, et qu’elle me renverra tout d’un coup« . Le futur de l’indicatif exprime sa certitude de l’échec des stratagèmes de Dubois, jugés trop périlleux.

Mais Dubois, d’une confiance infaillible, se fait la voix du destin (« Il est trop tard ; l’heure du courage est passée ») avec une grandiloquence tragique et comique.

Par le pronom personnel pluriel « nous » et l’ordre impersonnel « il faut » (« il faut qu’elle nous épouse. ») Dubois souligne comiquement que le valet et son maître ne forment plus qu’un personnage. Pour Dubois, le mariage d’Araminte et Dorante constitue une réussite personnelle.

Dorante rejette les avertissements de Dubois (« Prends-y garde ») mais Dubois ironise avec panache face aux craintes de son maître : « Ah ! vraiment, des confusions ! ».

Avec assurance, il rappelle à Dorante qu’il maîtrise et dirige toutes les ficelles de l’intrigue (« je serais bien fâché qu’elle la laissât en repose« , « C’est moi qui (…) ai fait venir Marton« ).

Le valet-metteur en scène annonce de plus grands tourments à venir pour Araminte : « elle va en essuyer bien d’autres ! » Dubois jouit du pouvoir que le langage lui permet d’exercer sur sa maîtresse.

III -Dubois justifie ses stratagèmes par le fait que l’amour empêche les amants d’agir

(De « Araminte m’a pourtant dit » à la fin de la scène)

Dorante ne cesse pourtant de s’inquiéter, comme le montre l’adverbe d’opposition « pourtant » : « Araminte pourtant m’a dit que je lui étais insupportable. »

Le jeune bourgeois, moins expérimenté que son valet, confond le langage (« m’a dit ») et la vérité, et n’a pas compris qu’Araminte sondait son cœur.

Dubois justifie cependant la colère d’Araminte : « Voulez-vous qu’elle soit de bonne humeur avec un homme qu’il faut qu’elle aime en dépit d’elle ? » Cette question rhétorique permet à Dubois de renforcer la cohésion de leur duo, en rappelant à son maître qu’ils vont triompher (« qu’il faut qu’elle aime« ), Dorante amoureusement, Dubois socialement.

La phrase est évidemment comique car Dubois évoque l’amour comme un ravissement, un vol, comme le souligne le champ lexical de la force et la contrainte : « il faut« , « en dépit d’elle« ,  « vous vous emparez de son bien« , « criera« .

Ce champ lexical révèle que l’amour et l’amour-propre sont intimement mêlés chez Marivaux : Araminte a des sentiments pour Dorante, mais c’est par amour-propre qu’elle résiste à son amant. L’amour-propre est double dans cette pièce : il s’agit d’un amour-propre intime (Araminte ne veut pas s’avouer qu’elle aime) mais aussi d’un amour-propre social (la riche bourgeoise est déchirée entre les impératifs sociaux qui la poussent à épouser le Comte et son penchant individuel qui la pousse à épouser Dorante).

L’impératif de Dubois souligne l’ascendant du valet, qui réduit Dorante au rang de pantin manipulé : « laissez-vous conduire. »

Cette réification du maître par son valet conteste subtilement l’ordre social : un personnage socialement inférieur se montre supérieur en courage et en sagacité.

Dorante rappelle dans une tonalité tragique qu’il aime intensément Araminte (« Songe que je l’aime »), et craint d’échouer par « précipitation ». Cet entremêlement des registres tragique et comique est propre à Marivaux où la cruauté pointe toujours derrière le rire.

Mais Dubois rassure encore son ancien maître, avec l’adverbe intensif « bien » : « oui, je sais bien que vous l’aimez ; c’est à cause de cela que je ne vous écoute pas. » Le point-virgule établit une antithèse syntaxique. En effet, d’après le valet, c’est justement parce que Dorante est amoureux qu’il est inapte à séduire Araminte, l’amour étant la cause d’une confusion qui empêche de triompher. La vérité des sentiments ne pouvant s’imposer d’elle-même, elle requiert les calculs d’« un homme de sang-froid. »

Par la suite d’impératifs, Dubois intime à Dorante chacun de ses mouvements :  « laissez faire », « partez ».

L’aisance du valet lui permet, comme un metteur en scène, de gérer l’entrée de personnages (« voici Marton qui vient à propos »), qu’il sait intégrer à ses stratagèmes (« que je vais tâcher d’amuser »).

Il maîtrise également la temporalité de la pièce, dont il annonce les développements : « en attendant que vous envoyiez Arlequin. »

Les Fausses Confidences, acte III scène 1, conclusion

Ce dialogue entre Dorante, l’amant timide, et Dubois, l’ingénieux valet, souligne les capacités virtuoses du valet à manipuler le langage et les personnages.

Pour Dubois, les personnages sont des objets qu’il manipule pour faire triompher l’amour qui lie Dorante et Araminte. Paradoxalement, Dorante lui-même n’échappe pas à cette logique de réification puisqu’il est lui-même manipulé à merci par son valet.

Mais c’est que l’amour ne serait pas capable de s’épanouir par lui-même, tant il trouble les personnages, leur amour-propre et les règles sociales. Les amants requièrent donc l’intervention d’un valet astucieux.

A travers cette pièce, Marivaux se demande si les exigences sociales et les manières galantes ne font pas obstacle à l’épanouissement amoureux.

Le spectateur, lui, jouit de voir le mensonge faire triompher la vérité.

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Amélie Vioux

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