Les Fausses confidences, acte II scène 15 : lecture linéaire

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les fausses confidences marivaux acte 2 scène 15 analyseVoici une analyse linéaire de l’acte II scène 15 des Fausses Confidences de Marivaux.

L’extrait étudié va de « Araminte : Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton. » à « Dorante : Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.« 

Les Fausses Confidences, acte II scène 15, introduction

L’œuvre de Marivaux marque le théâtre du XVIIIe siècle par sa capacité à critiquer l’ordre social de l’Ancien Régime en amusant.

Ses comédies mobilisent le burlesque d’inspiration italienne, ainsi que la préciosité raffinée. La finesse psychologique des personnages et des intrigues interroge une société considérée comme injustement inégalitaire.

Ainsi, dans Les Fausses Confidences, pièce jouée pour la première fois en 1737, un petit bourgeois, Dorante, et une grande bourgeoise, Araminte, s’aiment, mais devront braver les obstacles sociaux qui empêchent deux jeunes gens de fortune différente de s’unir. Des stratagèmes ingénieux, inaugurés par le valet Dubois, permettront de faire triompher leur amour. (Voir la fiche de lecture pour le bac de français des Fausses confidences de Marivaux)

Dans la scène précédente, Marton annonce à Araminte, dont elle est la suivante, qu’elle épousera Dorante si sa maîtresse l’accepte. Elle part. Dans l’acte II scène 13, Dorante, confus, nie sa promesse, et fait à Araminte le portrait de celle qu’il aime.

Extrait étudié

Araminte.

Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton.

Dorante.

Elle vous aurait, peut-être, empêchée de me recevoir, et mon indifférence lui en dit assez.

Araminte.

Mais dans la situation où vous êtes, quel intérêt aviez-vous d’entrer dans ma maison et de la préférer à une autre ?

Dorante.

Je trouve plus de douceur à être chez vous, madame.

Araminte.

Il y a quelque chose d’incompréhensible en tout ceci ! Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ?

Dorante, toujours abattu.

Pas souvent à mon gré, madame ; et je la verrais à tout instant, que je ne croirais pas la voir assez.

Araminte, à part.

Il a des expressions d’une tendresse ! (Haut.) Est-elle fille ? A-t-elle été mariée ?

Dorante.

Madame, elle est veuve.

Araminte.

Et ne devez-vous pas l’épouser ? Elle vous aime, sans doute ?

Dorante.

Hélas ! madame, elle ne sait pas seulement que je l’adore. Excusez l’emportement du terme dont je me sers. Je ne saurais presque parler d’elle qu’avec transport !

Araminte.

Je ne vous interroge que par étonnement. Elle ignore que vous l’aimez, dites-vous, et vous lui sacrifiez votre fortune ! Voilà de l’incroyable. Comment, avec tant d’amour, avez-vous pu vous taire ? On essaie de se faire aimer, ce me semble ; cela est naturel et pardonnable.

Dorante.

Me préserve le ciel d’oser concevoir la plus légère espérance ! Être aimé, moi ! non, madame, son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence, et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire.

Araminte.

Je n’imagine point de femme qui mérite d’inspirer une passion si étonnante, je n’en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison ?

Dorante.

Dispensez-moi de la louer, madame ; je m’égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu’elle, et jamais elle ne me parle ou ne me regarde que mon amour n’en augmente.

Araminte, baissant les yeux.

Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous, avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l’aimez ? Cela est bien bizarre. Que prétendez-vous ?

Dorante.

Le plaisir de la voir, et quelquefois d’être avec elle, est tout ce que je me propose.

Araminte.

Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?

Dorante.

Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.

Problématique

Nous verrons comment, dans ce dialogue galant, Araminte manipule son amant pour obtenir ses naïves confidences amoureuses.

Plan de lecture linéaire

Dans une première partie, de « Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton. » à « parler d’elle qu’avec transport ! », Araminte invite Dorante à lui faire le portrait de celle qu’il aime.

Puis, dans une deuxième partie, de « Je ne vous interroge que par étonnement» jusqu’à « quand je ne la vois point« , Araminte demande à Dorante pourquoi il cache son amour à celle qu’il aime.

I – Araminte invite Dorante à lui faire le portrait de celle qu’il aime

(De « Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton » à « parler d’elle qu’avec transport ! »)

L’extrait s’ouvre sur une assertion d’Araminte, où la maîtresse manifeste sa supériorité sociale en condamnant moralement l’attitude de son intendant par le ton péremptoire et la tournure impersonnelle « il fallait » : « Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton. »

D’après elle, Dorante devrait libérer Marton de la croyance selon laquelle il voudrait se marier avec elle. Le verbe « désabuser » souligne le processus de dévoilement nécessaire à la vérité des sentiments car le radical (abus-) désigne la dynamique centrale de la pièce : tromper, dissimuler.

Si Araminte souhaite que Dorante dise la vérité à Marton, c’est en réalité pour écarter une rivale familière.

Mais son ordre est paradoxal et comique, car Araminte également a fait de fausses confidences dans la scène 13 de l’acte II en prétendant vouloir épouser le Comte Dorimont. Elle se contredit donc, refusant à Dorante un stratagème amoureux dont elle use elle-même.

Dorante se défend : dire la vérité à Marton aurait fait d’elle un obstacle le séparant d’Araminte. Ce prétexte professionnel tente de cacher l’attirance amoureuse de Dorante pour Araminte.

Araminte interroge alors Dorante quant aux raisons justifiant sa présence en sa maison : « quel intérêt aviez-vous d’entrer dans ma maison et de la préférer à une autre ? » Le substantif « intérêt » a un double sens : il interroge bien sûr les considérations professionnelle de Dorante mais c’est également un terme qui peut faire référence à l’inclination amoureuse.

Dorante répond par une litote galante, et une adresse courtoise, justifiée par le rang d’Araminte : « Je trouve plus de douceur à être chez vous, madame. »

Araminte feint alors l’incompréhension : « Il y a quelque chose d’incompréhensible en tout ceci ! » Le théâtre de Marivaux abonde de ces exclamations impersonnelles (« il y a », « tout ceci ») de personnages dépassés par l’enchaînement de l’intrigue (valet niais, amants trompés). Or, ici, Araminte feint seulement de ne pas comprendre. Elle recherche en vérité l’aveu de Dorante.

Par une série de questions, Araminte tente alors d’obtenir de Dorante le portrait de celle qu’il aime : « Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ? », « Est-elle fille ? A-t-elle été mariée ?« .

C’est une véritable scène d’interrogatoire par laquelle Araminte poursuit son « piège » (II, 13) visant à obtenir de Dorante ses confidences amoureuses.

Dorante lui répond qu’il ne voit pas assez celle qu’il aime, et ne saurait se lasser de la voir. L’adverbe temporel « toujours » dans la didascalie (« toujours abattu. ») témoigne de la douleur de cette épreuve amoureuse.

Selon les codes littéraires et chevaleresques, l’amour naît par le regard. La réplique de Dorante, avec le polyptote sur le verbe voir, est donc galante car elle s’inscrit dans la culture courtoise : « je la verrais à tout instant, que je ne croirais pas la voir assez. »

C’est d’abord à elle-même qu’Araminte répond, ainsi que l’indique la didascalieà part. Il a des expressions d’une tendresse ! »). Elle se réjouit de la « tendresse ! » de Dorante car elle sait que l’intendant aime et n’utilise donc pas le langage pour tromper : Dorante aime, donc il dit la vérité.

Cet aparté, par double énonciation, place le spectateur dans la position de complice, et l’investit davantage dans la scène.

Puis, Araminte apprend que Dorante aime une veuve. Ce qu’Araminte obtient par cet interrogatoire, c’est donc son portrait.

En demandant à Dorante s’il épousera cette femme avec une tournure impérative (« ne devez-vous pas »), Araminte inscrit la pièce dans la logique de la comédie bourgeoise s’achevant par l’union des personnages.

Puis la maîtresse glisse habilement vers l’intime : « Elle vous aime, sans doute ? » Ce passage, du public au privé, dévoile les sentiments d’Araminte par un double sens adressé au lecteur autant qu’à Dorante, qui ne décèle pas le stratagème. En effet, Araminte sait que Dorante l’aime et elle suggère ainsi de manière détournée qu’elle l’aime en retour.

Mais Dorante se lamente dans une tonalité tragique et lyrique avec l’interjection exclamative « Hélas ! ». Le vocabulaire galant (« je l’adore« , « transport ») exprime un amour paroxystique.

II – Araminte tente d’obtenir une déclaration d’amour de Dorante

(De « Je ne vous interroge que par étonnement » à « Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point« )

Après avoir obtenu de Dorante ce qu’elle voulait entendre, la stratège Araminte justifie ses questions par l’« étonnement » seulement, et l’invite à déclarer son amour par une question : « Comment, avec tant d’amour, avez-vous pu vous taire ? »

Cette interrogation n’interroge plus : elle invite à l’action.

Araminte va même jusqu’à légitimer la future déclaration de Dorante par un argument : vouloir se faire aimer est « naturel et pardonnable« . Et l’amour étant « naturel », il transcende donc les obstacles sociaux et moraux qui veulent l’empêcher.

Mais Dorante s’exclame sincèrement, niant avoir « la plus légère espérance ! » d’être aimé. Du portrait de l’aimée, il passe à son autoportrait dépréciatif : « Être aimé, moi ! »

Il justifie l’impossibilité de cette union par l’écart des rangs : « son état est bien au-dessus du mien. » La confidence amoureuse véhicule ainsi une critique sociale : les inégalités sociales empêchent l’expression de l’amour et infligent de véritables blessures. Dorante représente la bourgeoisie honorable mais méprisée.

Le désespoir tragique de l’amant s’exprime en des tournures précieuses : « je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire. » Cette gravité suscite l’empathie autant que le rire du spectateur.

Cependant Araminte, sachant qu’il parle d’elle, peine à croire un tel amour, comme en témoigne la répétition de « Je n’imagine point » : « Je n’imagine point de femme qui mérite d’inspirer une passion si étonnante : je n’en imagine point. »

La grande bourgeoise n’est qu’une personne humaine et l’amour révèle une égalité de condition que la société déguise et trouble en hiérarchisant les individus.

Dorante poursuit son évocation galante par une prétérition qui lui permet de louer la femme aimée en prétendant ne pas vouloir en parler : « Dispensez-moi de la louer (…) On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu’elle ! « .

Les tournures hyperboliques et superlatives (« rien de si beau ni de si aimable qu’elle ») expriment un amour courtois paroxystique.

En « baissant les yeux. », Araminte trahit son trouble. La répétition « Que prétendez-vous » montre combien elle s’impatiente d’un amour non-suivi d’actions.

Dorante répond que « Le plaisir (…) d’être avec elle » lui suffit.

La reprise exclamative d’Araminte « avec elle ! »  est comique : Araminte s’impatiente de ce que Dorante lui fasse une fausse confidence en ne lui déclarant pas directement qu’il l’aime.

Mais Dorante utilise habilement le portrait pour justifier sa réplique : c’est au portrait qu’il songeait lorsqu’il prétendait être avec son aimée. Encore une fois, il parvient à masquer ses sentiments.

Les Fausses Confidences, acte II scène 15, conclusion

Dans ce dialogue galant, Araminte manipule Dorante pour obtenir ses naïves confidences amoureuses.

La fin de l’acte II est marquée par la prééminence d’Araminte, qui domine par son rang social et son rôle de metteuse en scène, qu’elle emprunte à Dubois.

Les vraies confessions qu’elle obtient montrent combien l’amour est la seule vérité valable, et justifie tous les mensonges. Cependant, Dorante déguise encore son amour.

Cette scène fusionne habilement la galante déclaration amoureuse, et le quiproquo comique. Marivaux joue de cette alliance de registres pour renouveler la comédie bourgeoise.

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Amélie Vioux

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