La Princesse de Clèves, l’aveu au mari : lecture linéaire

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la princesse de clèves scène de l'aveuVoici une explication linéaire de la scène d’aveu au mari dans La Princesse de Clèves (troisième partie du roman).

L’aveu de la Princesse de Clèves, introduction

Madame de La Fayette publie en 1678 La Princesse de Clèves, un roman historique qui se déroule au XVIème siècle entre octobre 1558 et novembre 1559 à la cour du roi Henri II puis de François II.

Mademoiselle de Chartres a reçu une éducation vertueuse et exemplaire.

Elle fait un mariage de raison avec le Prince de Clèves (devenant ainsi la Princesse de Clèves) puis rencontre lors d’un bal le duc de Nemours dont elle tombe amoureuse.

(Voir ma fiche de lecture sur La Princesse de Clèves)

La princesse de Clèves combat cette passion mais dans la troisième partie du roman une nouvelle rencontre entre les deux personnages ravive cet amour qu’elle va avouer à son mari sous les yeux du duc de Nemours, caché lors de la scène.

Problématique :

En quoi cette scène d’aveu montre-t-elle que Mme de la Fayette est une moraliste ?

L’extrait étudié est le suivant :

« – Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari, mais l’innocence de ma conduite et de mes intentions m’en donne la force. Il est vrai que j’ai des raisons de m’éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d’en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j’avais encore madame de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous. Je vous demande mille pardons, si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.

Monsieur de Clèves était demeuré pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n’avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu’il jeta les yeux sur elle qu’il la vit à ses genoux le visage couvert de larmes, et d’une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l’embrassant en la relevant :

– Ayez pitié de moi, vous-même, Madame, lui dit-il, j’en suis digne ; et pardonnez si dans les premiers moments d’une affliction aussi violente qu’est la mienne, je ne réponds pas, comme je dois, à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde ; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m’avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue, vos rigueurs et votre possession n’ont pu l’éteindre : elle dure encore ; je n’ai jamais pu vous donner de l’amour, et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre. Et qui est-il, Madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu’a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre coeur ? Je m’étais consolé en quelque sorte de ne l’avoir pas touché par la pensée qu’il était incapable de l’être. Cependant un autre fait ce que je n’ai pu faire. J’ai tout ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un amant ; mais il est impossible d’avoir celle d’un mari après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble pour ne me pas donner une sûreté entière ; il me console même comme votre amant. La confiance et la sincérité que vous avez pour moi sont d’un prix infini : vous m’estimez assez pour croire que je n’abuserai pas de cet aveu. Vous avez raison, Madame, je n’en abuserai pas, et je ne vous en aimerai pas moins. Vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à son mari ».

Annonce du plan linéaire :

Cette scène d’aveu est divisée en trois parties : le discours de la Princesse de Clèves (I) le récit de la réaction de M. de Clèves  (II) et la réponse de M. de Clèves à la nouvelle qu’il vient d’apprendre (III).

I – L’aveu singulier de la Princesse de Clèves

(De « Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle » à « et aimez-moi encore, si vous pouvez. » )

A – Un aveu héroïque

Cette scène romanesque est un moment critique du roman où la Princesse de Clèves reconnaît à son mari son amour pour un autre.

Son aveu est pudique et sa passion pour le duc de Nemours n’est évoquée qu’au moyen d’un euphémisme « Je vous demande mille pardons et si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions ».

Cette évocation pudique de pensées adultères correspond aux bienséances requises au XVIIème siècle.

L’aveu de la Princesse de Clèves est exceptionnel comme le montre le champ lexical de l’héroïsme : « force », « périls », « nulle marque de faiblesse », « je ne craindrai pas », « dangereux », « me conserver digne », « digne d’estime et d’admiration », « trop noble ».

Le texte s’inscrit ainsi dans le registre épique et met en scène une Princesse de Clèves héroïque qui brave les conventions religieuses et sociales (tabou de l’adultère) pour faire une révélation plein de sincérité et de noblesse.

Cet héroïsme est accentué par le chiasme « Je vous demande mille pardons, si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions » qui fait songer à la grandeur des héros cornéliens confrontés à un choix difficile entre amour et devoir.

B – Un discours de défense ?

Cette scène d’aveu est toutefois bien singulière et peut également donner l’impression de n’être qu’une illusion de sentiments vertueux.

La Princesse promet en effet un aveu au début de l’extrait (« je vais vous faire un aveu ») mais elle ne prononce à aucun moment le nom de celui qu’elle aime.

Dans cette scène d’aveu, la Princesse de Clèves réussit ainsi la prouesse de confesser l’adultère tout en ne l’exprimant pas. On a l’impression que la Princesse s’ingénie à tourner autour du mot (adultère) sans le prononcer.

Elle s’inscrit en cela dans le goût de la Préciosité pour les énigmes qui a profondément influencé Madame de La Fayette. Comme une Précieuse mondaine, elle propose une énigme à M. de Clèves qui se prête au jeu et y répond.

Cet aveu est par ailleurs plus une défense que l’aveu d’une culpabilité.

Excepté la demande de « mille pardons » dans une formule très convenue, la Princesse de Clèves, dans cet aveu, est avocate d’elle-même et utilise tous les dispositifs rhétoriques traditionnels :

L’actio tout d’abord par la gestuelle « en se jetant à ses genoux ».

L’exorde destiné à poser clairement le sujet du discours « je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari ».

– La Princesse de Clèves tente ensuite de capter la bienveillance de son mari en donnant une image positive d’elle-même à travers le champ lexical de l’innocence : «innocence », « conduite », « intentions », « force », « nulle marque de faiblesse » alors que l’on attendrait un champ lexical de la culpabilité.

– Elle fait appel à l’émotion de M. de Clèves en évoquant des circonstances atténuantes (la mort de sa mère, son jeune âge) et s’infligeant elle-même sa peine (le retrait de la cour).

C’est en définitive un aveu où elle n’avoue pour ainsi dire rien et clame son innocence.

Les verbes à l’impératif (« conduisez-moi », « ayez pitié », « aimez-moi ») semblent même montrer qu’elle garde la maîtrise de la situation malgré une confession qui met théoriquement en position de faiblesse.

II – Une scène de tragédie

(De « Monsieur de Clèves était demeuré pendant tout ce discours » à « et l’embrassant en la relevant » )

À l’aveu de la princesse de Clèves succède un tableau digne d’une tragédie.

Les caractéristiques de la tragédie sont présentes à travers le champ lexical de la douleur : « demeuré », « la tête appuyée sur ses mains », « larmes », «mourir de douleur ».

La gestuelle est tragique : « la tête appuyée sur ses mains», « à ses genoux« , « l’embrassant en la relevant ».

Ces mentions se rapprochent de didascalies théâtrales et placent le lecteur devant un espace dramatique.

Les prises de parole des deux personnages, successives, équilibrées et qui encadrent ce tableau tragique ressemblent d’ailleurs à s’y méprendre des répliques de théâtre où les personnages développent un argumentaire pour se justifier.

Cette tragédie de l’amour impossible est accentuée par la beauté de la Princesse de Clèves qui est décrite comme un tableau religieux.

Sa posture à genoux (« il la vit à ses genoux »), « le visage couvert de larmes  et d’une beauté admirable » sont des traits saisissants et pathétiques qui rapprochent la Princesse de Clèves d’une sainte ou de la Vierge Marie éplorée (Mater dolorosa dans les peintures religieuses).

Il ne faut pas non plus oublier la présence du duc de Nemours, spectateur caché de cette scène d’aveu, ce qui rend ce passage encore plus théâtral.

III – La dignité de M. de Clèves

(De « Ayez pitié de moi, vous-même, Madame » à « la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à son mari » )

A – Le trouble intérieur de M. de Clèves

Au début de sa réplique M. de Clèves se perd dans des anacoluthes dont les ruptures syntaxiques révèlent son trouble intérieur : « Ayez pitié de moi, vous-même, Madame, lui dit-il, j’en suis digne ».

Le champ lexical de la douleur, omniprésent dans la réplique du Prince de Clèves, souligne son désarroi : « affliction aussi violente », « le plus malheureux homme », « je m’étais consolé », « la jalousie », « Vous me rendez malheureux ».

Ce vocabulaire tragique est accentué par les adverbes intensifs « aussi » ou le superlatif de supériorité « le plus ».

La douleur est telle que le Prince de Clèves ne parvient pas entièrement à étouffer la jalousie naturelle qui l’anime.

Cette jalousie s’exprime par succession de questions : «  Et qui est-il, Madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu’a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? »

B – La grandeur d’âme de M. de Clèves

Pourtant, M. de Clèves dépasse la jalousie avec grandeur.

A ces interrogations, M. de Clèves répond de manière ferme et catégorique par des tournures négatives (« je n’abuserai pas de cet aveu / je n’en abuserai pas ») qui montre qu’il ferme son cœur à la jalousie et qu’il sort vainqueur de sa lutte contre une passion négative.

La champ lexical de la vertu présent dans la fin de sa réplique s’applique à la Princesse de Clèves : « confiance », « sincérité », « prix infini », « estime[z] », « marque de fidélité », « donné » .

Par ce discours, le prince de Clèves chasse toute trace de péché et la Princesse de Clèves semble rachetée de sa faute.

Les deux personnages sortent ainsi grandis de l’épreuve et dépassent le vice ou les passions pour s’élever à la vertu.

L’aveu de la princesse de Clèves, conclusion

La structure rigoureuse de cette scène montre une solennité dramatique qui met en valeur l’importance de cet aveu.

Mais en moraliste du XVIIème siècle, Mme de la Fayette ne cache pas la misère morale de ses personnages : la princesse de Clèves et M. de Clèves font apparaître des sentiments nobles qui cachent la misère, la passion et l’amour-propre.

Cet extrait symbolise ainsi la vision pessimiste de l’homme de cette fin du XVIIème siècle, influencée par La Rochefoucauld et par le courant janséniste auquel appartient Mme de la Fayette.

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