Manon Lescaut, abbé Prévost, avis de l’auteur : analyse

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Voici une analyse linéaire de l’avis de l’auteur dans Manon Lescaut de l’abbé Prévost.

L’extrait étudié va de «Avis de l’auteur des mémoires d’un homme de qualité » à « que de l’instruire en l’amusant.« 

Manon Lescaut, avis au lecteur, introduction

Dès sa parution en 1731, Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut fut jugé immoral et frappé par la censure.

Le roman de l’abbé Prévost (1697-1763) constitue le tome VII des Mémoires et aventures d’un homme de qualité. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Manon Lescaut)

Le personnage fictif qui s’en dit l’auteur, M. de Renoncour, fait une pause après les six premiers tomes des Mémoires pour raconter l’histoire particulière du chevalier Des Grieux.

Le texte en question est l’avis de l’auteur, c’est-à-dire un texte liminaire qui précède le récit lui-même.

Extrait étudié

Avis de l’Auteur

Quoique j’eusse pu faire entrer dans mes Mémoires les aventures du chevalier des Grieux, il m’a semblé que, n’y ayant point un rapport nécessaire, le lecteur trouverait plus de satisfaction à les voir séparément. Un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire. Tout éloigné que je suis de prétendre à la qualité d’écrivain exact, je n’ignore point qu’une narration doit être déchargée des circonstances qui la rendraient pesante et embarrassée; c’est le précepte d’Horace:
Ut jam nunc dicat jam nunc debentia dici,Pleraque differat, ac praesens in tempus omittat.
Il n’est pas même besoin d’une si grave autorité pour prouver une vérité si simple; car le bon sens est la première source de cette règle.
Si le public a trouvé quelque chose d’agréable et d’intéressant dans l’histoire de ma vie, j’ose lui promettre qu’il ne sera pas moins satisfait de cette addition. Il verra dans la conduite de M. des Grieux un exemple terrible de la force des passions. J’ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d’être heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes; qui, avec toutes les qualités dont se forme le plus brillant mérite, préfère par choix une vie obscure et vagabonde à tous les avantages de la fortune et de la nature ; qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé sans profiter des remèdes qu’on lui offre sans cesse, et qui peuvent à tous moments les finir ; enfin un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions mauvaises : tel est le fond du tableau que je présente. Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un travail inutile. Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs ; et c’est rendre, à mon avis, un service considérable au public que de l’instruire en l’amusant.

Manon Lescaut, abbé Prévost, Avis de l’auteur

Problématique

En quoi cet avis liminaire permet-il de construire la figure de l’auteur et attiser la curiosité du lecteur ?

Plan linéaire

Après avoir affirmé son identité (I), l’auteur dresse le portrait du personnage principal, M. Des Grieux (III).

Enfin, dans un troisième temps, il confère à son récit une dimension morale explicite (III).

I – L’affirmation de l’identité d’auteur

De «Avis de l’auteur» à «la première source de cette règle»

D’emblée, le titre éclaire le lecteur sur la nature du récit: il s’agit d’un « avis de l’auteur », c’est à dire d’un texte d’ouverture informatif.

Le terme auteur vient du latin auctor et signifie non seulement celui qui crée mais aussi celui qui se porte garant.

Paradoxalement, c’est le personnage fictif, M. de Renoncour, qui se porte garant du récit, alors qu’il s’agit de l’abbé Prévost.

Il assume d’accorder aux Aventures du Chevalier des Grieux une place de choix, pour deux raisons.

Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’un thème nouveau et autonome, comme le suggère la proposition circonstancielle de cause «n’ayant point un rapport nécessaire» .

Ensuite, parce qu’il s’agit d’«un récit de cette longueur» qui mérite d’être mis en exergue. Il assume donc son récit et l’édition séparée.

La figure qui se dessine est celle d’un auteur soucieux de son lectorat. Ainsi l’utilisation du verbe d’état «il m’a semblé» et du conditionnel passé « aurait interrompu trop longtemps» montre les précautions rhétoriques qu’il prend.

Son souci de ne pas digresser et de garder «le fil de ma propre histoire» témoigne d’une attention portée aux lecteurs.

Dans ce pacte proposé aux lecteurs, l’auteur se présente en toute humilité tout éloigné que je suis de prétendre à la qualité d’écrivain exact »).

Par ailleurs, l’insertion latine des deux vers 43 et 44 de l’Art poétique d’Horace confère au récit à venir le patronage d’un poète reconnu, une dignité littéraire certaine: «On dira tout de suite ce qui doit tout de suite être dit; on réservera pour plus tard la plupart des détails».

Au-delà de l’autorité latine, l’auteur s’en remet aussitôt à un précepte au présent de vérité générale: «le bon sens est la première source de cette règle.»

L’auteur s’affirme ainsi avec humilité comme un auteur non professionnel mais guidé par le bon sens.

II – Le portrait du chevalier Des Grieux

De «Si le public a trouvé quelque chose» à «tableau que je présente»

L’auteur rappelle qu’il s’agit d’une histoire dont il a été témoin. Le champ lexical du plaisir permet d’ imaginer que son récit a déjà trouvé des lecteurs attentifs : «quelque chose d’agréable et d’intéressant»; « satisfait » .

La litote qui suit, «il ne sera pas moins satisfait de cette addition», laisse présager une suite qui attire l’attention.

Le nom du personnage principal surgit : M. Des Grieux. Et la précision «un exemple terrible de la force des passions» attise la curiosité du lecteur.

La construction de la phrase complexe développe le portrait de M. Des Grieux et promet déjà un personnage complexe et un récit aux nombreuses intrications.

L’auteur donne une opinion tranchée sur le personnage. En effet, c’est «un jeune aveugle»: cette métaphore va être explicitée par les nombreuses propositions subordonnées relatives successives.

Tout d’abord, des Grieux «refuse d’être heureux»: cette première indication souligne un caractère contradictoire qui est illustré par l’expression «se précipiter volontairement dans les dernières infortunes » .

Ce caractère contradictoire est amplifié par les antithèses qui suivent. Ainsi, aux qualités indéniables du chevalier, désignées par l’expression «tous les avantages de la fortune et de la nature» et le superlatif «le plus brillant mérite», l’auteur oppose le choix d’une «une vie obscure et vagabonde».

Ensuite, il «prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter». L’auteur reconnaît toutefois à Des Grieux une capacité à identifier les malheurs, une sensibilité : « qui les sent et qui en est accablé».

Mais il lui reproche son aveuglément, mis en valeur par les deux négations lexicales : « sans vouloir les éviter« , «sans profiter des remèdes qu’on lui offre sans cesse».

Enfin, ce deuxième mouvement s’achève sur le constat d’un homme pétri de contradictions, comme l’indique la série d’antithèses: «un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions mauvaises.» L’énumération en rythme ternaire de plus en plus longue, restitue la complexité du personnage.

La phrase finale «Tel est le fond du tableau que je présente» fait écho, par l’emploi du lexique pictural, à l’expression précédemment utilisée «J’ai à peindre».

Il s’agit d’un portrait à charge, dénué d’empathie qui propose au lecteur une vision partiale du récit avant de commencer.

III – La portée morale du récit

De «Les personnes de bon sens» à «l’instruire en l’amusant»

Après avoir esquissé le portrait peu flatteur de son personnage, l’auteur adopte à nouveau une posture plus large.

L’usage du futur (« ne regarderont point», « on y trouvera») semble assoir la certitude de l’auteur: son récit est tout sauf «un travail inutile».

En flattant les lecteurs avertis, « personnes de bon sens« , qui sauront apprécier la portée morale de son ouvrage, Renoncour critique déjà par anticipation les détracteurs futurs de son récit, auxquels ce bon sens fait défaut.

Il confère d’emblée à son récit une double ambition: celle de plairele plaisir d’une lecture agréable») et celle d’instruirel’instruction des mœurs»).

Cet extrait s’achève sur une affirmation essentielle: «c’est rendre, à mon avis, un service considérable au public que de l’instruire en l’amusant». Par ce récit, l’auteur se transforme en pédagogue, dans le droit héritage de la devise classique de Molière: castigat ridendo mores (corriger les moeurs en riant).

Son œuvre sera donc fondatrice sur le plan de la peinture des sentiments et aura une portée morale.

Manon Lescaut, avis de l’auteur, conclusion

Cet avis de l’auteur est déterminant pour l’orientation du lecteur.

En effet, il permet à l’auteur d’asseoir son autorité: il est garant d’une histoire dont il a été témoin, il en révèlera la vérité, sans fard et en toute humilité.

Avant même le début du récit, la curiosité du lecteur est attirée par le portrait du personnage principal qui est dressé: le chevalier Des Grieux est un homme ambivalent, au destin tragique guidé par la passion.

Au-delà du plaisir qu’il retirera de la lecture, le lecteur trouvera également une dimension morale: le récit sera donc à la fois plaisant et édifiant.

Si la portée morale de l’oeuvre est affichée par l’auteur, le scandale de ce roman sera pourtant immédiat : Manon Lescaut fut censuré en France pour son immoralité.

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Amélie Vioux

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