Manon Lescaut, abbé Prévost, le jeu de dupes : analyse

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Voici une analyse linéaire de la duperie de G…M… dans Manon Lescaut de l’abbé Prévost.

L’extrait expliqué va de « La résolution fut prise de faire une dupe de G…M… » à « une femme de chambre, trois laquais et un cuisinier.« 

Manon Lescaut, la duperie de G…M…, introduction

Né en 1697, Antoine-François Prévost est un écrivain prolixe qui mène une vie riche en rebondissements et péripéties.

Après avoir embrassé une carrière ecclésiastique, il commence à écrire en 1728 Mémoires d’un jeune homme de qualité.

Il rejette la vie religieuse, fuit en Angleterre, puis en Hollande et mène une vie aventureuse où il se lie notamment avec Hélène Eckhard.

L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, roman frappé par la censure lors de sa publication en 1731, est un récit à forte composante autobiographique. (Voir la fiche de lecture de Manon Lescaut)

Ce roman raconte la passion amoureuse fatale entre le chevalier Des Grieux et Manon Lescaut.

L’extrait étudié se situe dans la seconde partie du roman.

Par se venger du vieux G…M… qui les avait fait arrêter, et par appât du gain, Manon et le Chevalier décident d’escroquer le riche G…M…, fils de leur ennemi.

Extrait étudié

La résolution fut prise de faire une dupe de G* M, et, par un tour bizarre de mon sort, il arriva que je devins la sienne.

Nous vîmes paraître son carrosse vers les onze heures. Il nous fit des compliments fort recherchés sur la liberté qu’il prenait de venir dîner avec nous. Il ne fut pas surpris de trouver M. de T, qui lui avait promis la veille de s’y rendre aussi, et qui avait feint quelques affaires pour se dispenser de venir dans la même voiture. Quoiqu’il n’y eût pas un seul de nous qui ne portât la trahison dans le cœur, nous nous mîmes à table avec un air de confiance et d’amitié. G* M* trouva aisément l’occasion de déclarer ses sentiments à Manon. Je ne dus pas lui paraître gênant ; car je m’absentai exprès pendant quelques minutes. Je m’aperçus à mon retour qu’on ne l’avait pas désespéré par un excès de rigueur. Il était de la meilleure humeur du monde ; j’affectai de le paraître aussi ; il riait intérieurement de ma simplicité, et moi de la sienne. Pendant tout l’après-midi, nous fûmes l’un pour l’autre une scène fort agréable. Je lui ménageai encore, avant son départ, un moment d’entretien particulier avec Manon ; de sorte qu’il eut lieu de s’applaudir de ma complaisance autant que de la bonne chère.

Aussitôt qu’il fut monté en carrosse avec M. de T*, Manon accourut à moi les bras ouverts, et m’embrassa en éclatant de rire. Elle me répéta ses discours et ses propositions sans y changer un mot. Ils se réduisaient à ceci : il l’adorait ; il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait déjà, sans compter ce qu’il attendait après la mort de son père. Elle allait être maîtresse de son cœur et de sa fortune ; et, pour gage de ses bienfaits, il était prêt à lui donner un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois laquais et un cuisinier.

Manon Lescaut, Abbé Prévost

Problématique

Comment cette scène presque théâtrale met-elle à nu le caractère manipulateur des personnages ?

Annonce de plan linéaire

Nous étudierons dans un premier temps la naissance du stratagème.

Dans un deuxième temps, nous mettrons en évidence les jeux théâtraux de paraître à l’œuvre dans cet extrait.

Enfin, dans un troisième temps, nous analyserons le gain immoral des amants.

I – La naissance du stratagème

De « La résolution fut prise » à « air de confiance et d’amitié »

L’extrait s’ouvre sur une décision prise collectivement et énoncée par une tournure passive (« la résolution fut prise de ») : se jouer de G…M.

L’identité masquée du personnage dupé témoigne d’un souci aigu de vraisemblance : le lecteur voit ainsi dans cet anonymat une forme de respect.

Mais il s’avère que le narrateur-personnage anticipe la suite de l’histoire : « par un tour bizarre de mon sort, il arriva que je devins la sienne ». Cette formule joue sur la chronologie puisque Des Grieux, narrateur de sa propre histoire, revit son passé et fait pressentir au lecteur son futur malheur.

Le lecteur est ainsi tenu en haleine car il s’attend à découvrir une illustration de l’adage « qui est pris qui croyait prendre ».

Après avoir rappelé l’heure (onze heures) et le moyen de transport (le carrosse), des Grieux précise que le repas commence par un échange de politesses convenues, rapportées au discours indirect.

Ainsi, G…M prend le soin de montrer qu’il honore une invitation, en homme libre. L’expression « des compliments fort recherchés » annonce déjà les thèmes de l’artificialité et du paraître.

La présence de M. de T… ne le surprend pas : la première proposition subordonnée relative qui lui avait promis de s’y rendre aussi ») indique qu’ils se connaissent déjà. La seconde (« qui avait feint quelques affaires ») suggère que les deux hommes peuvent être rivaux dans leur rapport à Manon. En effet, M. de T. a menti délibérément pour ne pas venir dans le même carrosse.

Paradoxalement, le narrateur-personnage met en évidence les rapports cordiaux et francs qui motivent de ce repas : c’est ce qu’indique le groupe nominal « un air de confiance et d’amitié » .

Pourtant, ce dîner est construit sur une duperie comme le révèle l’antithèse « la trahison dans le coeur » / « un air de confiance et d’amitié« .

La proposition subordonnée circonstancielle de concession « Quoiqu’il n’y eût pas un seul de nous qui portât la trahison dans le cœur » apparaît donc cynique : le narrateur plonge le lecteur dans un monde trompeur fait de faux-semblants.

Le champ lexical des apparences domine d’ailleurs dans ce paragraphe : « fort recherchés », « avait feint », « un air de confiance », « lui paraître gênant », « m’absentai exprès ».

II – Une scène théâtrale : les jeux de paraître

De « G…M trouva aisément l’occasion » à « la bonne chère »

Ce repas est donc l’occasion pour G…M de « déclarer ses sentiments à Manon », ce qui était l’objectif visé.

La scène est théâtrale dans le sens où les allées et venues du Chevalier (« je m’absentai exprès », « à mon retour ») font songer aux entrées et sorties de personnages dans une pièce de théâtre.

La tournure passive qui désigne Manon (« on ne l’avait pas désespéré« ) et le recours à une litote : « on ne l’avait pas désespéré par un excès de rigueur » suggère ironiquement l’ardeur mise par la jeune femme dans cette tromperie.

Le résultat attendu est à la hauteur, comme en témoigne le superlatif : « il était de la meilleure humeur du monde ».

Il s’agit d’un jeu de dupes auquel se prête le Chevalier, qui joue également un rôle afin que le stratagème fonctionne.

Le rythme binaire et la parataxe (propositions juxtaposées sans mots de liaison) donnent à voir un duel déguisé entre G…M…et Des Grieux : « il était de la meilleure humeur du monde ; j’affectai de le paraître aussi ; il riait intérieurement de ma simplicité, et moi de la sienne ». Dans cet affrontement social, le paraître et le rire sont des armes.

Chacun masque ses intentions. Ainsi, le champ lexical des apparences sature le paragraphe : « je m’aperçus », « j’affectai », « paraître », « riait intérieurement » . Le champ lexical du théâtre (« une scène fort agréable », « s’applaudir », « bonne chère ») dévoile également la mise en scène à l’oeuvre dans cette tromperie.

La supercherie de Manon et des Grieux semble fonctionner : G…M… passe un après-midi « fort agréable », croit profiter de la « complaisance » du Chevalier et savoure « la bonne chère », pendant que l’autre voit son subterfuge triompher.

III – Le gain immoral des amants

De « aussitôt qu’il fut monté » à « trois laquais et un cuisinier »

Au départ de G…M… et M. de T… , l’enthousiasme de Manon est à son comble.

C’est ce qu’illustrent les deux verbes d’action au passé simple (« accourut« , « embrassa« ) et les deux compléments circonstanciels de manière : « accourut à moi les bras ouverts, et m’embrassa en éclatant de rire ».

Le recours au discours indirect libre jusqu’à la fin de l’extrait crée une fluidité permettant de faire entendre l’allégresse et la volubilité de la jeune femme.

La répétition du pronom personnel « il » restitue l’enthousiasme presque enfantin de la jeune fille qui répète les propos entendus : « il l’adorait ; il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait déjà, sans compter ce qu’il attendait après la mort de son père.  » .

Le bilan est donc bref et réussi : G…M… est la victime de leur duperie.

Ce stratagème permet à Manon d’assurer sa sécurité financière comme le le montre le lexique financier qui expose la vénalité de la jeune femme : « partager », « quarante mille livres de rente », « compter », « ce qu’il attendait après la mort de son père », « fortune », « gage ».

Son train de vie serait à la hauteur de ses espérances, comme en témoigne l’énumération « un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois laquais et un cuisinier » : tous les signes extérieurs de richesse lui sont promis.

Le rythme irrégulier de la dernière phrase et l’accélération liée à l’énumération finale restitue l’excitation de la jeune femme : « Elle allait être maîtresse de son coeur et de sa fortune ; et, pour gage de ses bienfaits, il était prêt à lui donner un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois laquais et un cuisiner.« 

Aux yeux de Manon, la contrepartie est négligeable : « elle allait être maîtresse de son cœur et de sa fortune ».

Ce zeugme (figure de style consistant à faire dépendre d’un même mot deux termes discordants) crée un lien indéfectible entre l’amour (« coeur » ) et l’argent (« fortune« ). Il révèle la force de la manipulation immorale de Manon : son infidélité n’est pas présentée comme un péché mais comme une simple condition pour retrouver un train de vie.

Manon Lescaut, le dîner de tromperie de G…M…, conclusion

Cette scène est théâtrale par les jeux de duperie qui sont mis en scène et les déplacements des personnages. Le stratagème est à l’œuvre afin de soutirer à G…M… son argent.

La réaction enthousiaste des personnages indique qu’ils triomphent de leur victime.

Leur caractère calculateur et dissimulateur éclate au grand jour, sans qu’aucune considération morale ne vienne tempérer leur triomphe : seul compte l’argent et le paraître en société. L’infidélité de cœur est reléguée au second plan.

Leur réussite ne sera que temporaire dans la mesure où Manon et Des Grieux finiront en prison.

C’est la suite du roman, dans laquelle les héros sont punis de leur débauche, qui permet au lecteur d’accéder à la dimension moralisatrice de l’oeuvre.

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Amélie Vioux

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