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Voici une analyse linéaire du poème « Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize… » issu des Cahiers de Douai (ou Recueil Demeny) d’Arthur Rimbaud.
Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize, Introduction
Arthur Rimbaud, poète français de la fin du XIXe siècle (1854-1891), a seize ans lorsqu’il écrit ce sonnet politique daté de juillet ou de septembre 1870. (Voir la fiche de lecture de Cahiers de Douai pour le bac de français)
Le Second Empire et le gouvernement de l’empereur Napoléon III connaissent alors leurs dernières heures avant la défaite de Sedan et la proclamation de la Troisième République.
Depuis la Révolution de 1789, la France a cependant connu de nombreux retournements politiques qui ont vu se succéder les échecs des tentatives républicaines, sans cesse écrasées par les royalistes et les bonapartistes.
En effet, après la chute de l’Ancien Régime, la Première République (1792-1804) est balayée par le coup d’État de Bonaparte et l’instauration du Consulat puis du Premier Empire (1804-1815).
Les espoirs républicains sont à nouveau anéantis par la Restauration et le retour au pouvoir de la monarchie avec les rois Louis XVIII (1815-1824), Charles X (1824-1830) puis Louis-Philippe (1830-1848) après les journées révolutionnaires des « Trois glorieuses » (juillet 1830).
Après la Révolution de 1848, la Deuxième République voit le jour mais est, elle aussi, renversée par un coup d’État, celui de Louis-Napoléon Bonaparte, qui instaure peu après le Second Empire (1851-1870).
Or, vingt ans plus tard, en juillet 1870, le gouvernement de Napoléon III, affaibli, appelle les républicains à l’aide au moment où il s’apprête à entrer en guerre contre la Prusse.
Le journaliste Paul de Cassagnac, dans le quotidien bonapartiste intitulé Le Pays, invite les « Français de 70, bonapartistes, républicains » à se souvenir des héros de 1792 (« souvenez-vous de vos pères en 92
»), c’est-à-dire des révolutionnaires qui ont combattu à Valmy, par exemple, contre la Prusse qui tentait alors de porter secours à la monarchie française, et d’empêcher l’instauration de la Première République.
Cassagnac dresse donc un parallèle entre la situation de 1792 et celle de 1870, considérant que le Second Empire est garant de la liberté comme l’était la Première République, et que l’ennemi commun aux bonapartistes et aux républicains est la Prusse. C’est ce parallèle qui scandalise le jeune Rimbaud.
Il répond dans ce sonnet à cette tentative de séduction et de récupération politique.
Poème étudié
Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ;Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,
Ô Million de Christs aux yeux sombres et doux ;Nous vous laissions dormir avec la République,
Morts de quatre-vingt-douze, Cahiers de Douai, Rimbaud.
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique :
— Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !
Problématique
Comment Arthur Rimbaud parvient-il à la fois à rendre hommage aux martyrs de la Révolution et à tourner en ridicule les calculs politiques des petits journalistes à la solde du Second empire dans la forme courte du sonnet ?
Plan linéaire
Sur un ton solennel, ce sonnet rend tout d’abord hommage aux héros du passé, ceux de la Révolution française, dans une longue invocation qui s’étend sur les trois premières strophes.
Mais le dernier tercet, qui se retourne vers le monde contemporain du poète, constitue une chute cinglante et inattendue qui s’abat sur la tête du journaliste Cassagnac.
I- Une invocation solennelle
A- Premier quatrain (v. 1 à 4) : Une armée de pâles fantômes
Ce sont tout d’abord des fantômes qu’invoque le poète par ce vocatif initial : « morts » (v. 1), à qui il s’adresse à la deuxième personne, comme le montrent le possessif « vos » et le verbe « brisiez
» (v. 3).
Les dates qui suivent, avec des majuscules solennelles et respectueuses, réparties dans un alexandrin classique, « de Quatre-ving-douze et de Quatre-ving-treize », se réfèrent à une période noire de la Révolution française : 1792 et 1793 sont les années où la Première république lutte pour survivre, et où l’armée révolutionnaire mène des batailles contre les invasions étrangères liguées avec la monarchie française (la bataille de Valmy par exemple) ; 1793 est aussi le début de la Terreur.
Les morts invoqués par Rimbaud sont donc les victimes des forces antirévolutionnaires et les héros et martyrs de la Révolution.
L’aspect fantomatique de cette évocation est confirmé par l’adjectif « pâles
» (v. 2), auquel répond l’adjectif « fort
» dans une sorte d’antithèse où s’allient force et faiblesse.
La « liberté » est ici personnifiée, et son « baiser fort
», métaphorique et oxymorique (le baiser a une connotation de douceur qui contraste avec cet adjectif), produit une impression puissante sur celui qu’il touche.
L’adjectif « fort » est par ailleurs mis en valeur par un enjambement interne : tout en se rattachant immédiatement au mot « liberté », il se situe pourtant juste après la césure. Dès le vers 2, ces héros sont donc caractérisés par leur dévotion à l’idéal de liberté.
Qualifiés de « calmes » (v. 3), ils semblent s’élever et marcher comme une armée silencieuse mais invincible, que rien n’arrête, comme le suggèrent les enjambements : « qui… sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse / Sur l’âme et sur le front
» (v. 3-4).
L’image des sabots évoque une marche lente, lourde mais sûre ; les sabots signalent aussi l’origine populaire de ces héros.
La métaphore du joug, prise au domaine de l’agriculture, illustre la pesanteur de la servitude physique (« sur le front
») et psychique (« sur l’âme
») dont il faut se défaire.
Enfin, l’œuvre de ces héros a une portée universelle signifiée par l’expression « de toute humanité
» (v. 4) ; « humanité » rime par ailleurs avec « liberté » (v. 2).
b- Deuxième quatrain (v. 5 à 8) : Les Soldats immortels de la liberté
Le participe passé « extasiés
», dans l’invocation qui ouvre le second quatrain (v. 5) souligne que ces soldats sont transportés par l’idéal qui les guide.
Le tableau qui se peint dans ce quatrain peut par ailleurs évoquer des œuvres picturales romantiques comme « La Liberté guidant le peuple » du peintre Delacroix (1830).
La qualification « grands dans la tourmente
» (v. 5) présente en effet ces hommes dressés comme de statues au milieu ou au-dessus du tumulte des combats. L’évocation des « haillons
» qui sont ceux de la pauvreté, celle de ces « cœurs
» qui « sautaient d’amour
» (v. 5) et donc la générosité héroïque de ces hommes en fait des allégories du combat pour la liberté.
Les majuscules du vers 7 viennent le confirmer : « Ô Soldats que la Mort a semés
». Ces hommes prennent une dimension symbolique et mythologique, faisant face à la personnification de la mort, qualifiée de « noble Amante
» : la mort devient objet d’amour, gage d’anoblissement.
C’est l’idéal antique de l’héroïsme qui se dessine, celui de la belle mort du guerrier, la mort au combat.
En outre, la métaphore agricole engagée par le participe « semés » et reprise par l’image des « sillons » indique que ces morts sont voués non à l’oubli mais à la « régénérescence » (v. 8 : « pour les régénérer
»). Les sillons ont beau être « vieux », ils ne sont pas stériles et le combat pour la liberté se renouvelle ainsi à chaque génération.
C- Premier tercet (v. 9 à 11) : Des figures christiques
Cette solennelle invocation se termine par l’assimilation de ces héros de la Révolution à la figure du Christ.
Le vers 9 porte ainsi l’idée d’une rédemption et d’une purification par le sang versé de ces soldats : « Vous dont le sang lavait toute grandeur salie
».
Puis, reprenant au vers 10 comme au vers 1, son apostrophe par le mot « Morts », avec majuscule, le poète élargit son invocation et nomme trois batailles lors desquelles les révolutionnaires ont tenté de défendre la liberté, la Révolution et la jeune République française : contre les Prussiens à Valmy en septembre 1792, contre les forces européennes coalisées à Fleurus en juin 1794 puis plus tard, en Italie, en 1799.
Cette nouvelle invocation solennelle est scandée en trois groupes de quatre syllabes et martelés par l’anaphore du mot « Morts » : « Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie
» .
Ces sacrifices sont rédempteurs et salvateurs pour l’humanité : ils sont à nouveau assimilés à celui du Christ au vers 11.
L’invocation « Ô millions
», avec ce « ô » solennel, fait écho à celle du vers 7 (« Ô Soldats
»).
Quant à la double qualification par les adjectifs « sombres et doux
», elle rappelle l’alliance oxymorique de force, de violence et de douceur déjà présente dans le « baiser fort de la liberté » au vers 2 et contribue à donner à ces visages une profondeur mystique.
II – Une chute ironique et cinglante
Le second tercet (v. 12 à 14)
L’apparition du pronom « nous » (v. 12 et 13) marque une rupture avec les strophes précédentes, consacrées à « vous ».
Ce second tercet s’oppose directement au premier en opposant « nous » (v. 12) à « vous » (v. 9).
Ce « nous » est caractérisé par le respect qu’il porte à ces martyrs de la liberté : « Nous vous laissions dormir avec la République
». Car la République et ses défenseurs « dorment » au tombeau.
L’idée du sommeil apparaît en effet comme un euphémisme pour désigner la mort non seulement de ces hommes sacrifiés mais aussi de leur idéal de liberté.
Vient ensuite l’expression d’une honte et d’une amertume, avec la reprise du pronom « nous » et la qualification du vers 13 : « courbés sous les rois comme sous une trique
».
Les rois, mis en valeur à la césure, sont symboles du despotisme des puissants et de l’asservissement du peuple. Ils font référence aux différents monarques qui ont empêchés l’avènement de la République et de la démocratie durant tout le XIXe siècle.
La « trique
» rime avec « République
» pour mieux s’y opposer, et avilit ce « nous » qui la subit et qui doit « courber » l’échine en signe de soumission.
Le dernier vers, enfin, évoque dans un rire amer, la surprenante audace de ces « Messieurs de Cassagnac
», bonapartistes, qui osent invoquer la mémoire de ces héros morts pour une liberté qu’ils ont eux-mêmes contribué à détruire en soutenant le Second Empire.
Le nom « de Cassagnac » fait irruption ici dans toute sa prétention – c’est un nom noble, à particule – et dans tout son ridicule et sa petitesse face aux héros anonymes, combattants en sabots et haillons élus par la Liberté.
La tournure exclamative du vers marque la surprise et le mépris du poète pour cette tentative de récupération politique.
Ces « Messieurs de Cassagnac
» – le pluriel semble désigner Cassagnac lui-même et tous les journalistes de même trempe – semblent les moins bien placés pour venir « reparler » au peuple de ses héros.
Morts de 92 et 93, Rimbaud, conclusion
Dans un sonnet de facture assez classique – l’alexandrin est le plus souvent respecté, les enjambements sont rares et de portée très réduite –, le jeune Rimbaud rend un hommage passionné aux combattants de la Révolution française, à leurs origines populaires, à leur sincérité et à leur courage.
Dans un élan qui doit encore beaucoup au Romantisme, Rimbaud en fait des figures sacrées, épiques, mystiques et intemporelles, les assimilant finalement à la figure du Christ.
La noblesse de ce « Vous » qui parcourt les trois premières strophes contraste avec l’asservissement et l’avilissement du « Nous » dont il est question dans le dernier tercet.
Rimbaud exprime ici son amertume profonde face aux échecs de la République et de la liberté pendant le XIXe siècle, et son mépris face à la petitesse et l’hypocrisie de journalistes tels que Cassagnac qui tentent d’instrumentaliser la mémoire de ces héros au profit du Second Empire et de son despote Napoléon III.
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Cette analyse m’a beaucoup aidée. Elle m’a permis de comprendre ce poème, qui au début me semblait tellement abstrait. Mais surtout la contextualilsation historique en premier lieu qui m’a permis de situer le poème, et les intentions du poète.
Un grand merci : MERCI !
Cette analyse m’a beaucoup aidée à comprendre ce poème, qui au début me semblait vraiment abstrait, mais la contextualisation historique du début à très bien éclaircit les intentions du poète.
Merci beaucoup, je vous encourage de tout cœur à continuer à nous sauver de nos LL.