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Voici un commentaire linéaire pour le bac de français de la partie II scène 2 de Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce.
L’extrait analysé va de « Catherine : Elle ne te dit rien de mal, tu es un peu brutal, on ne peut rien te dire…
» jusqu’à « Louis – Je crois aussi.
»
Juste la fin du monde, partie II, scène 2 : introduction
Jean-Luc Lagarce écrit Juste la fin du monde en 1990 alors qu’il se sait déjà atteint du sida et condamné à une mort prématurée.
Il mourra en effet à l’âge de 38 ans, en 1995.
Juste la fin du monde évoque le retour de Louis, 34 ans, dans sa famille pour annoncer sa maladie et sa mort prochaine.
Mais la communication au sein de la famille est difficile. Le retour de Louis est un catalyseur qui réveille les souffrances des autres membres du clan familial. (Voir la fiche de lecture complète de Juste la fin du monde de Lagarce)
Dans cette scène 2 de la deuxième partie, Louis n’a toujours rien révélé et envisage son départ.
Antoine, son frère, a organisé son départ mais Suzanne, sa sœur, vient changer le plan initial, ce qui contrarie Antoine, qui manifeste sa mauvaise humeur.
Suzanne reproche alors à Antoine d’être « désagréable » ce qui provoque une dispute. Le conflit s’envenime.
Problématique
Dans quelle mesure cette scène montre-t-elle l’échec du langage qui ne parvient pas à réconcilier les individus ?
Plan de lecture linéaire
Dans un premier temps, de « Elle ne te dit rien de mal
» à « vous êtes terribles, tous, avec moi
» , un conflit se déclenche à partir du mot « brutal » qui fait réagir Antoine.
Dans un deuxième temps, de « Non, il n’a pas été brutal
» jusqu’à « ce que je voulais juste dire
» , Antoine se défend en clamant son innocence.
Dans un troisième temps, de « Toi, non plus, ne me touche pas !
» à « Je crois aussi
» , la rivalité fraternelle éclate de façon irréconciliable.
I – Le déclenchement du conflit
(de « Catherine : Elle ne te dit rien de mal
» à « Antoine : Vous êtes terribles, tous, avec moi
» )
La dispute a déjà éclaté entre Antoine et Suzanne au sujet du mot « désagréable ».
Pour apaiser les tensions, Catherine se pose en médiatrice de la relation entre Suzanne et Antoine : « Elle ne te dit rien de mal / tu es un peu brutal, on ne peut rien te dire / tu ne te rends pas compte / parfois tu es un peu brutal / elle voulait juste te faire remarquer
».
On remarque que le discours de Catherine est en chiasme, suivant la structure ABCCBA : « Elle ne te dit rien de mal / tu es un peu brutal, on ne peut rien te dire / tu ne te rends pas compte / parfois tu es un peu brutal / elle voulait juste te faire remarquer ».
Cette construction en chiasme révèle une parole fermée sur elle-même, inefficace, qui ne trouve pas d’issue.
Les modalisateurs « un peu », « un peu », « juste » essaient de calmer l’irruption des pulsions dans le débat familial.
Catherine est une tierce-personne, la seule à ne pas avoir de lien de sang avec les autres personnages. Pourtant, elle ne parvient pas à dépassionner le débat.
Sa parole crée presque un effet comique car il y a un décalage entre l’intention de paix et la colère que son discours provoque chez Antoine.
On assiste encore une fois à l‘inefficacité de la parole qui trompe celui qui l’utilise et dont les intensions ne parviennent pas à atteindre leur destinataire.
Antoine rebondit sur le mot « brutal » sous forme de question (« Je suis un peu brutal ?
») pour développer sa tirade.
Ce rebond est d’autant plus ironique que le terme a échappé de la bouche de Catherine dont l’intention initiale était de pacifier les relations.
Lagarce nous montre l’essence fondamentalement polémique de la parole. La parole veut unir, réconcilier mais elle divise fatalement car l’incompréhension règne entre les individus.
La phrase négative « Non » suivie de la négation totale « ne…pas » souligne cette opposition entre les individus : « Non. / Je ne suis pas brutal.
»
Antoine par sa fragilité – un seul mot le met hors de lui – se met en position de bouc-émissaire, comme le montre le jeu d’opposition sur les pronoms personnels : « Vous êtes terribles, tous, avec moi
». Le « moi » en fin de proposition place l’individu seul face à la collectivité comme dans la tragédie.
L‘adjectif « terribles » fait écho à la terreur et la pitié qui selon Aristote sont les deux composantes du tragique.
Le tragos, le bouc-émissaire, est seul contre les autres. C’est exactement ce que ressent Antoine qui a l’impression qu’un véritable procès se trame contre lui.
II – Antoine clame son innocence
(de « LOUIS – Non il n’a pas été brutal
» à « ce que je voulais juste dire
»)
La phrase de Louis « Non il n’a pas été brutal
» reprend le terme « brutal » qui est le chef d’accusation, mais en le niant.
Louis joue ici le rôle de l’avocat par le redoublement adverbial de la négation « Non il n’a pas…
».
Louis vouvoie aussi Catherine (« je ne comprends pas ce que vous voulez dire
»), ce qui met une distance entre les personnages.
Mais Antoine n’apprécie pas l’intervention de Louis.
A travers l’exclamation (« Oh toi ça va, « la Bonté même » !
»), le frère cadet donne une interprétation hostile à la bienveillance apparente de la phrase « Non il n’a pas été brutal
».
Comme précédemment avec Catherine, la tentative de Louis d’apaiser les tensions se retourne donc contre lui. Lagarce montre l’échec de la parole qui ne parvient pas à réconcilier les individus mais uniquement à manifester des divergences.
Antoine utilise une expression idiomatique (c’est à dire une expression toute faite) « la Bonté même
» pour faire ironiquement de Louis l’allégorie de la Bonté.
La majuscule à « Bonté » vient renforcer ce statut mythique de l’aîné dont les vertus rayonnent dans la famille. Mais les guillemets soulignent l‘ironie de cette louange.
Antoine dénonce le jeu théâtral de Louis. Selon lui, Louis mimerait la Bonté pour mieux asseoir sa domination, son calme, sa maîtrise de la situation.
On perçoit le mécanisme du conflit qui se déclenche à partir d’un mot – ici le mot « brutal » – puis contamine tout le discours en soulevant des querelles sans rapport avec l’objet initial du conflit.
Le dialogue devient un lieu d’affrontement, une arène.
La didascalie interne (« Je n’ai rien, ne me touche pas
») suppose un geste affectueux ou apaisant de Catherine à l’égard d’Antoine. Mais le geste, comme la parole, ne parvient pas à réunir les individus qui restent fatalement enfermés en eux-mêmes.
Antoine amorce alors sa défense par une plaidoirie qui rappelle la rhétorique judiciaire.
Il clame son innocence par la répétition de l’expression « je ne voulais rien faire de mal
».
Puis il distingue le vouloir et le faire : « je ne voulais rien de mal », « je voulais juste dire » , « ce qui me semblait bien » / « fasse mal
».
Cette distinction entre l’intention et les actes permet d’affirmer la pureté de son intention et d’utiliser le principe du droit pénal (Code pénal 121,3 : « Il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre
».)
Le champ lexical de la parole et l’insistance sur le verbe « dire » (« disais seulement », « juste dire », « je n’ai rien dit », « je disais
») suggèrent la difficulté des mots à exprimer l’intention.
Mais Antoine s’embourbe dans ses propres mots comme le montrent l’antithèse entre les propositions « je ne voulais rien faire de mal
» et « il faut toujours que je fasse le mal
».
L’épanorthose (figure de style qui consiste à nuancer et corriger ce qui vient d’être dit) rend sa parole labyrinthique, une parole où la vérité se perd.
III – La rivalité fraternelle éclate
(de « toi, non plus, ne me touche pas ! » à « Louis : je crois aussi
« )
La didascalie interne (« toi, non plus, ne me touche pas
») indique un geste fraternel de la part de Louis, rejeté violemment par Antoine.
La syntaxe suggère la séparation des personnages, avec le « toi » désignant Louis, isolé au début d’une phrase hachée par les virgules : « toi, non plus, ne me touche pas !
». Antoine s’enferme dans son statut de victime et refuse tout soutien.
La référence à « la bête curieuse
» rappelle encore une fois le bouc-émissaire, le tragos sacrifié.
Il souligne l’injustice de la situation selon lui à travers un vocabulaire moral : « il n’y a rien de mauvais dans ce que j’ai dit« , « ce n’est pas bien, ce n’est pas juste
» .
Puis, par un jeu de pronoms personnels, Antoine oppose le « je « et le « il » (« il fait comme il veut, je ne veux plus rien / il dit qu’il veut partir et cela va être de ma faute
» La structure syntaxique reproduit le face-à-face des deux frères.
En désignant son frère à la troisième personne du singulier, Antoine révèle l’hostilité latente qui a toujours existé entre eux.
Le champ lexical de la faute (« trompé », « ma faute », « chose juste », « contre moi
») suggère qu’Antoine ne peut se débarrasser de la faute tragique.
Il se laisse alors emprisonner par les mots comme le montre le parallélisme à la fin de sa réplique : « je disais seulement / je voulais seulement dire (…) je disais seulement, / je voulais seulement dire
»). Ces répétitions presque farcesques font penser au théâtre de l’absurde de Samuel Beckett, comme la pièce En attendant Godot, où le tragique côtoie le burlesque.
La rivalité fraternelle, latente jusque-là, prend soudain une expression directe et saisissante : « Tu me touches : je te tue
».
L’asyndète marquée par les deux points (« : ») indique une condition (« Tu me touches
» ) mais la relation de cause à conséquence exprimée sans conjonction suggère violemment l’imminence du fratricide. La juxtaposition des propositions rend la menace plus pressante.
Jean-Luc Lagarce souligne l’échec du langage. La querelle qui se déclenche au départ sur le simple mot « brutal », s’envenime jusqu’au meurtre symbolique que le présent de l’indicatif rend plus réaliste.
Louis et Antoine rappellent les fratries tragiques comme Abel et Caïn dans l’ancien testament (Abel, fils aîné d’Adam et Ève, tue Abel son frère cadet).
Ils ne peuvent plus coexister ni partager le même espace d’où l’intervention de la Mère « Laisse-le Louis
» . L’allitération en « l » vient apaiser la situation.
Catherine exhorte Louis à partir : « Je voudrais que vous partiez / Je vous prie de m’excuser, je ne vous veux aucun mal / mais vous devriez partir
». Comme au début de l’extrait, sa réplique est en forme de chiasme, fermée sur elle-même, montrant son incapacité à aller à la rencontre de l’autre.
Catherine cherche toujours l’apaisement mais celui-ci ne peut plus se faire que dans la séparation.
Louis abdique : « je crois aussi.
»
Juste la fin du monde, 2ème partie, scène 2, conclusion
Cette scène met en lumière l’échec du langage qui ne parvient pas à réconcilier les individus mais uniquement à renforcer les divergences.
À partir d’un simple mot – l’adjectif « brutal » – une querelle se déclenche et s’envenime jusqu’au meurtre fratricide symbolique.
Chaque personnage reste enfermé à l’intérieur de lui-même. Cette scène violente constitue le point culminant de la pièce et rend désormais impossible toute annonce de Louis à sa famille, précipitant la chute de la pièce.
Tu étudies Juste la fin du monde ? Regarde aussi :
♦ Juste la fin du monde, prologue
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 1
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 2
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 3
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 8
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 9
♦ Juste la fin du monde, partie 1 scène 10
♦ Juste la fin du monde, partie 2 scène 1
♦ Juste la fin du monde, partie 2 scène 3
♦ Juste la fin du monde, épilogue
♦ L’étymologie grecque du mot crise, Krisis, vient du verbe Krinein qui signifie discerner, juger, décider. En quoi cette étymologie éclaire-t-elle votre lecture de Juste la fin du monde ? (Dissertation)
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Mais comment la première partie de l’extrait peut-elle constituée le déclenchement du conflit si ce conflit a déjà éclaté au début de la scène ?
Je pense que c’est un peu un « nouveau déclanchement » avec la critique de Catherine sur le fait qu’il est brutal