Juste la fin du monde, partie 2 scène 1 : lecture linéaire

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juste la fin du monde partie II scène 1 analyseVoici un commentaire linéaire de la scène 1 de la partie II de Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce.

La scène 1 est analysée ici en intégralité.

Juste la fin du monde, partie 2, scène 1, introduction

Jean-Luc Lagarce, metteur en scène et dramaturge, écrit Juste la fin du monde en 1990, alors qu’il se sait atteint du Sida et condamné à une mort prochaine.

Il décède en effet prématurément en 1995, à l’âge de 38 ans.

L’oeuvre de Jean-Luc lagarce rencontre un succès posthume. Il est aujourd’hui l’un des dramaturges français contemporains les plus joués en France.

La pièce Juste la fin du monde met en scène le retour  dans sa famille de Louis, 34 ans, pour annoncer sa mort prochaine en raison d’une grave maladie. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Juste la fin du monde)

La partie II suit un long intermède qui met en scène la situation tragique de Louis, l’ « Homme malheureux » selon son frère rival Antoine.

Dans la partie 2 scène 1, Louis est seul sur scène et imagine son départ.

Problématique

Comment l’individualisme des personnages rend-il impossible l’espace familial ?

Plan de lecture linéaire

Dans un premier temps, du début de la scène à « qu’on me laisse partir » , Louis met en scène son propre départ.

Dans un deuxième temps, de « Je promets qu’il n’y aura plus tout ce temps » à « j’en éprouve du remords », Louis met en valeur le combat intérieur entre le fils modèle et le fils ingrat.

Enfin, dans une troisième partie, de « Antoine est sur le pas de la porte » jusqu’à la fin de la scène, Louis réactive la rivalité fraternelle.

I – La mise en scène du départ

(du début à « qu’on me laisse partir »)

Comme annoncé dans le prologue, Louis est venu pour faire l’aveu de sa maladie à sa famille.

Cette annonce est censée être l’acmè (point d’intensité maximal) de cette pièce. Néanmoins, dans la première scène de la partie II, Louis, dans un monologue, projette de partir « sans avoir rien dit » .

La thématique du théâtre est subtilement présente par la répétition du complément circonstanciel de temps (« vers la fin de la journée » ) qui montre que le dénouement aura lieu dans le cadre défini par la tragédie classique qui respecte les trois unités (une seule action, une seule journée et un seul lieu) puisque le départ est censé terminer la pièce.

Jean-Luc Lagarce crée une mise en abyme car le personnage de Louis devient l’auteur imaginant le scénario comme le montre le champ lexical de l’imagination : « j’y réfléchis », « j’avais imaginé les choses », «  tenait à cœur », « c’est juste une idée ».

Mais il est aussi metteur en scène et acteur comme le montre l’adjectif « jouable », typiquement théâtral, qui montre que Louis s’interroge sur la faisabilité pratique de ses idées : « C’est juste une idée mais elle n’est pas jouable » . Louis est une sorte de Molière postmoderne qui transforme sa vie en théâtre.

Louis change ainsi le scénario initial de la pièce : l’aveu. Il projette sa fuite comme le montre le champ lexical du voyage : « route », « accompagne », « gare », « partir ».

L’introspection (mouvement vers l’intérieur) occasionné par le retour dans le milieu familial s’inverse car Louis est désormais irrésistiblement attiré par l’extérieur.

Il souhaite sortir du cercle familial manifestement étouffant pour lui. Sa demande « qu’on (l)e laisse partir » suggère l’enferment dont il souhaite se délivrer.

II – Le combat intérieur du fils modèle et du fils ingrat

(de « Je promets qu’il n’y aura plus tout ce temps » à « j’en éprouve du remords »

Au présent de l’indicatif, Louis évoque les promesses qu’il va faire à sa famille.

Il met en scène deux voix : celle du fils modèle, illusoire, théâtrale ( « Je promets qu’il n ‘y aura plus tout ce temps / avant que je revienne » ) puis celle de la réalité, de l’instinct qui le pousse à fuir l’enclos familial cavec le champ lexical de l’insincérité ( « dis », « mensonges », « promets », « des phrases comme ça »).

La répétition du verbe « promettre » crée un balancement envoûtant qui charme l’interlocuteur.

La phrase « Je promets d’être là à nouveau très bientôt / Des phrases comme ça ») est particulièrement musicale en raison de l’effet de rimes internes en chiasme.

Cette musicalité crée également une phrase hypnotique qui cherche à endormir ou tromper son interlocuteur.

Lagarce énumère ironiquement le comportement du fils modèle : « je téléphone, je donne des nouvelles, j’écoute ce qu’on me raconte, je fais quelques efforts ».

L’anaphore en « je » suggère un travail sur soi, un travestissement pour coller à l’image du fils modèle.

Mais derrière le masque du fils modèle se cache le fils ingrat comme le montre la conjonction de coordination « mais » exprimant l’opposition « mais c’était juste pour la dernière fois ».

Il en va de même pour le pronom impersonnel « on » qui dépersonnalise la famille et souligne la désinvolture de Louis à l’encontre de celle-ci : « j’écoute ce qu’on me raconte » .

Louis cache donc ses sentiments et joue une pièce de théâtre devant la famille comme le suggère l’expression « sans le laisser voir » qui fait songer au travail du comédien.

La strophe qui suit évoque la Mère mais uniquement à travers le pronom « Elle« , répétée deux fois en début de phrase : « Elle, elle me caresse une seule fois la joue » .

Cette écriture fait penser à celle de Marguerite Duras qui emploie souvent un « Elle » dépersonnalisant, répétée pour mieux cacher le sujet.

En revanche, le geste est décrit avec une grande précision, comme séquencé selon une méthode cinématographique : « elle me caresse une seule fois la joue, doucement, comme pour m’expliquer… »

Mais l’évasion est impossible comme le souligne le champ lexical de la faute qui resurgit : « crimes », « crimes », « regrette », « remords ».

Par la résurgence de ce registre tragique, Lagarce replace Louis dans un destin inéluctable : celui de la faute à expier.

III – La rivalité fraternelle

(de « Antoine est sur le pas de la porte »  jusqu’à la fin de la scène)

La rivalité fraternelle, une des composantes essentielles de la tragédie, est réactivée par Louis qui utilise l’image d’Antoine l’attendant sur le pas de la porte : « Antoine est sur le pas de la porte » .

Le syntagme « pas de la porte » rappelle la fonction d’huissier et nous entraîne ironiquement dans une thématique judiciaire.

Louis rapporte les paroles d’Antoine : « il dit plusieurs fois qu’il ne veut … qu’il ne souhaite pas …que jamais il …mais qu’il est l’heure » .

Le discours indirect donne l’impression que Louis rassemble les pièces à conviction pour l’accusation d’Antoine.

L’anaphore en « il » suggère également la rancœur envers le frère.

Nous avons vu tout à l’heure que Louis a mis en scène ses fausses promesses envers sa famille. Ici, c’est le jeu théâtral du frère qui est dénoncé par Louis.

Ainsi, Antoine montre également deux visages, celui du frère aimant d’abord (« il dit plusieurs fois qu’il ne veut en aucun cas me presser« ) et celui du frère rival (« il semble vouloir me faire déguerpir » ). Ces parallélismes suggèrent le divorce entre le langage et l’intention.

Les deux frères montrent donc chacun un double visage.

Le champ lexical du départ (« porte », « clefs », « voiture », « parte », « chasse », « heure du départ », « déguerpir ») fait porter à Antoine la responsabilité du départ de Louis.

Néanmoins, le spectateur sait que Louis souhaitait lui-même ce départ. Il peut juger ainsi de la mauvaise foi de Louis sur ce procès artificiel intenté à son frère ce qui explique sans doute le verbe « j’ose l’en accuser ».

Mais ce procès reste intérieur car Louis garde le silence comme le montre le syntagme négatif  « sans le lui dire ».

Sa vengeance semble ainsi mesquine : « C’est de cela que je me venge » .

Le procès silencieux intenté contre Antoine est partial, Louis étant juge et partie, ce qu’exprime peut-être la parenthèse : « (Un jour, je me suis accordé tous les droits ) »

Cette dernière phrase est assez énigmatique car elle fait de Louis un tyran.

Lagarce fait peut-être le procès de l’individualisme tyrannique teinté de mauvaise foi et de faux-semblants. L’espace familial apparaît comme un espace de tyrannie où chacun essaie de tirer la couverture à soi.

Juste la fin du monde, Lagarce, partie 2 scène 1, conclusion

Cette scène 1 de la seconde partie de Juste la fin du monde fait le procès de l’espace familial mais surtout de l’individualisme qui rend impossible toute famille.

Chaque personnage est enfermé dans sa tragédie personnelle et reste dans l’impossibilité de la communiquer avec l’autre.

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Amélie Vioux

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