Juste la fin du monde, partie I scène 1 : analyse

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juste la fin du monde partie 1 scène 1 analyseVoici une lecture linéaire de la partie I scène 1 de la pièce Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, au programme du bac de français.

La scène 1 de la première partie est analysée linéairement en intégralité.

Juste la fin du monde, partie 1 scène 1, introduction

Jean-Luc Lagarce est un des dramaturges français contemporains les plus reconnus et les plus joués en France.

Également comédien, metteur en scène et directeur de troupe, Lagarce met en scène des pièces classiques (notamment de Marivaux, Labiche, Ionesco…) autant que ses propres pièces.

Son œuvre, et plus particulièrement Juste la fin du monde (1990), est tragiquement liée à la maladie du sida, qu’il contracte et dont il meurt en 1995, et qui pose la question du deuil et de l’adieu à travers l’écriture (voir également la pièce Dernier remords avant l’oubli).

Juste la fin du monde met ainsi en scène le retour de Louis auprès de sa famille dans le but d’annoncer sa mort prochaine et irrémédiable. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Juste la fin du monde de Lagarce)

Cette scène d’exposition témoigne déjà des relations conflictuelles qui sous-tendent cette famille.

Problématique

Nous montrerons comment cette scène d’exposition, qui met en scène les retrouvailles entre Louis et sa famille, introduit des personnages aux relations tendues et au langage vide.

Annonce de plan linéaire

Dans une première partie, du début de la scène 1 à «c’est ce que je voulais dire », Louis est présenté poliment et maladroitement à Catherine.

Puis, dans une deuxième partie, de « Il est venu en taxi » à « ce n’est pas un grand voyage. », l’évocation du trajet de Louis illustre sa distance à l’égard de sa famille.

Enfin, dans une troisième partie, de « Tu vois, Catherine, ce que je disais » à la fin de la scène, une dispute entre Suzanne et Antoine fait éclater la violence latente des relations familiales.

I – Des présentations polies et maladroites à Catherine

(Du début à « c’est ce que je voulais dire »)

La pièce s’ouvre avec la tournure présentative « C’est Catherine. »

Le spectateur devine que cette tournure est adressée à Louis par une membre de sa famille. La pièce s’ouvre donc sur l’introduction du personnage principal au sein de sa famille.

Cependant, cette tournure tend à réifier Catherine, réduite à n’être qu’un corps-objet auquel est assigné un prénom.

La deuxième phrase, « Elle est Catherine», reformule la première sans ajouter d’information. Il s’agit d’une épanorthose, figure de rhétorique consistant à reprendre ou à corriger un propos.

Suzanne se corrige peut-être pour atténuer la froideur de sa première phrase. Son jeune âge (23 ans) justifierait cette maladresse.

Mais la phrase suivante (« Catherine, c’est Louis. ») répète le présentatif réifiant, aggravé par le « Voilà Louis. »

La gêne ou la maladresse de Suzanne se manifeste également par l’extrême brièveté de ses phrases, qui vont jusqu’à se limiter à un substantif (« Catherine. »)

Les retours à la ligne confèrent également à sa réplique la froideur d’une liste.

Cette réplique liminaire est cruciale car elle programme la froideur qui régit les relations entre les personnages.

Elle souligne également d’emblée le vide du langage et la difficulté à appréhender l’autre comme personne.

Antoine (le frère) intervient, mais sa réplique souligne que l’introduction de Louis dans l’espace domestique est entravée (« tu le laisses avancer, laisse-le avancer. »), comme si le corps de Suzanne révélait son rejet de Louis.

Le spectateur/lecteur peut déjà s’interroger sur la source de ce rejet tacite.

En quelques répliques, l’épanorthose, la parataxe* (*juxtaposition de propositions sans mot de liaison) et l’impératif annoncent la violence glaciale des relations entre les personnages.

Catherine justifie l’empressement de Suzanne auprès de Louis : « Elle est contente. »

Mais la platitude de cette remarque contredit la joie exprimée. Même la manifestation de la joie semble réprimée et terne au sein de cette famille.

Antoine va même animaliser Suzanne : « On dirait un épagneul. »

Cette métaphore moqueuse suscite l’intervention répressive de la mère : « Ne me dis pas ça ».

La Mère ne prend donc pas la parole pour saluer Louis, mais pour réprimer Antoine. D’emblée, elle apparaît comme une source de normativité qui cherche maladroitement l’apaisement.

Louis exprime son contentement avec pudeur et platitude : « Je suis très content. » . Catherine répond avec des répétitions qui la font ressembler à un automate : « moi aussi, bien sûr, moi aussi » .

Cette scène de rencontre révèle le vide du langage phatique* à l’œuvre dans la politesse (*la fonction phatique du langage est sa fonction d’interaction sociale, lorsque le langage vise à établir un contact avec l’autre, mais sans apporter d’informations réelles). Lagarce montre que la parole ne dit presque rien.

Les mots exprimant la joie sont d’ailleurs contredits par la froideur des corps : « Ils ne vont pas se serrer la main, on dirait des étrangers. » s’insurge Suzanne.

D’emblée, la soeur juge et condamne son frère Louis : « il ne change pas », figeant leur relation dans une froideur distante.

Louis et Catherine finissent par s’embrasser mais la mère brise cette dynamique de rapprochement en regrettant : « jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils ne se connaissent ».

En considérant « Vous vivez d’une drôle de manière. », elle déprécie le mode de vie de sa famille, tout en s’excluant.

La génitrice est donc source de division par son agressivité implicite qui transparaît dans l’emploi du la deuxième personne du pluriel « vous » .

La Mère use aussi de la figure de style de l’épanorthose, en répétant son propos : « que la femme de mon autre fils ne connaisse pas mon fils, cela, je ne l’aurais pas imaginé » .

Or cette reformulation révèle implicitement une préférence pour Louis, considéré comme « mon fils » tandis qu’Antoine est l’ « autre fils » .

Catherine explique alors : « Lorsque nous nous sommes mariés, il n’est pas venu ». Cette remarque est accusatrice car elle pointe la longue absence de Louis.  Le spectateur devine que cette absence est sans doute la cause de la violence discrète dont Louis est l’objet, même si cette vengeance familiale n’est pas nécessairement consciente.

Mais cette violence s’exerce plus largement entre les personnages : Antoine et la mère réprouvent sèchement la remarque de Catherine (Antoine : « Elle sait ça parfaitement » ; La Mère : « Ne m’expliquez pas, c’est bête »). Le langage est donc réprimé dans cette famille.

La mère prolonge sa réplique en se justifiant : « j’avais oublié toutes ces autres années », faisant signe vers une période longue, celle de l’absence de Louis. Le dialogue se perd, témoignant de l’inconsistance de ces relations familiales.

II – Le trajet de Louis illustre sa distance à l’égard de sa famille

(De « Il est venu en taxi » à « ce n’est pas un grand voyage. »)

Suzanne reprend alors la parole pour reprocher à Louis d’être venu en taxi.

La répétition de « taxi » et le conditionnel passé (« j’aurais pu » ) intensifient le grief de la petite sœur : « tu es venu en taxi depuis la gare, je l’avais dit, ce n’est pas bien, j’aurais pu aller te chercher ».

Le fait que Louis ne mobilise pas l’aide familiale lors de son retour révèle sa gêne et sa distance vis-à-vis de ses proches.

La réplique de Suzanne est en forme de chiasme : cette structure ABBA souligne une parole close sur elle-même et incapable d’atteindre l’autre :  » je suis allée voir, c’est un taxi, tu es venu en taxi depuis la gare, je l’avais dit » .

S’ensuivent des questions convenues et vides : « La Mère : Tu as fait bon voyage ? »

Louis répond tout aussi platement : « Je vais bien (…) Toi, comment est-ce que tu vas ? »

Antoine répète exactement la réplique de Louis : « Je vais bien. Toi, comment est-ce que tu vas ? » .

La distance dont témoignent ces échanges répétitifs et vides de sens rendent la scène gênante voire sinistre car elle s’oppose à l’intimité attendue entre membres d’une même famille biologique.

La répétition de « Je vais bien. » donne l’impression que les personnages se cachent derrière un masque pesant de politesse.

Par euphémisme, Louis remarque « ce n’est pas un grand voyage » .

Or cette phrase est en réalité une antiphrase car ce voyage est fondamental : c’est celui d’un retour annonciateur de la mort.

Pour le spectateur, la question se pose déjà de savoir si Louis pourra annoncer la nouvelle de sa mort prochaine dans ce climat lourd et gênant.

III – Une dispute entre Suzanne et Antoine souligne la violence des relations familiales

(De « Tu vois, Catherine, ce que je disais » à la fin)

Suzanne, qui représente la jeune génération, ne supporte pas le poids des traditions. Elle remarque que Louis n’embrasse pas Antoine, mettant ainsi en relief la tension entre les deux frères.

Sa réplique est circulaire (elle se répète) : « il n’embrasse jamais personne », « Son propre frère, il ne l’embrasse pas. ». Ces répétitions soulignent son impatience mais rendent le climat gênant.

Antoine la rabroue : « fous-nous la paix ! ». La grossièreté d’Antoine fait surgir la violence verbale à la fin de cette première scène.

Son insulte suscite la réponse indignée de Suzanne.

La gradation ternaire témoigne d’une parole hystérique et enfantine : « Qu’est-ce que j’ai dit ? Je ne t’ai rien dit, je ne lui dis rien à celui-là » . Le spectateur assiste à une première crise familiale alors que Louis est encore sur le pas de la porte.

Suzanne, comme une enfant, en appelle à sa mère : « Maman ! » .

Juste la fin du monde, partie 1 scène 1, conclusion

Nous avons vu comment la partie 1 scène 1 de Juste la fin du monde, qui met en scène les retrouvailles entre Louis et sa famille, introduit des personnages aux relations tendues et au langage vide.

La figure de style de l’épanorthose est omniprésente. Elle manifeste la gêne voire le ressentiment de personnages qui balbutient plus qu’ils n’exposent leurs sentiments (amour, manque, reproches).

Cette scène d’exposition glaciale s’oppose aux retrouvailles chaleureuses attendues dans une famille, et annonce déjà l’échec de Louis, venu dire adieu à une famille qui ne sait pas lui dire bonjour.

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Juste la fin du monde, partie 1 scène 2 (lecture linéaire)
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Dissertation sur Juste la fin du monde

Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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2 commentaires

  • Bonjour! Tout d’abord merci, cette analyse m’a beaucoup aidée. Néanmoins vous dites que Louis à 34 ans, ce qui est faux, dans la mesure où dans le prologue, il dit « j’ai près de trente-quatre ans maintenant » ce qui implique qu’il en a 33. Cela renvoie à un autre texte auquel on peut associer « Juste la fin du monde » à plusieurs reprises; la bible. En effet, le Christ meurt à 33 ans; le mythe des frères ennemis et le retour de l’enfant prodigue est aussi présent. Je crois qu’il y a aussi d’autres éléments mais je ne m’en rappelle plus dans l’immédiat. Bonne journée!

    • Bonjour Jeanne,
      Je te remercie pour tes remarques intéressantes. La liste des personnages précise que Louis a 34 ans, mais Louis indique en effet dans le prologue avoir « près de trente quatre ans » . La référence à l’âge du Christ est bien là, mais Lagarce l’utilise justement avec ironie car Louis dépasse cet âge symbolique qui pouvait laisser espérer une résurrection. J’en parle plus précisément dans mon analyse du prologue.

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