Manon Lescaut, la fuite à Chaillot : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire de la fuite à Chaillot de Manon Lescaut et le chevalier des Grieux dans le roman de l’abbé Prévost.

L’extrait étudié linéairement va de « Il était onze heures quand nous arrivâmes à Chaillot » à « un moment de solitude et de tranquillité pour m’arranger et prévoir ce que j’allais faire à Paris.« 

Manon Lescaut, la suite à Chaillot, introduction

Écrit par l’abbé Prévost (1697-1763), Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut constitue le tome VII des Mémoires et aventures d’un homme de qualité. (Voir la fiche de lecture complète sur Manon Lescaut)

M. de Renoncour, personnage fictif qui se présente comme l’auteur, narre la passion amoureuse et rocambolesque qui relie le chevalier Des Grieux et Manon Lescaut.

Censuré pour immoralité en 1731, l’ouvrage montre comment les questionnements sur l’amour, le plaisir et les manipulations, étaient jugés dangereux au début du XVIIIème siècle.

L’extrait étudié, situé vers la fin de la première partie, fait suite à l’évasion de la Prison de Saint Lazare au cours de laquelle le frère de Manon a été assassiné. Les deux amants sont donc contraints de se cacher dans le village de Chaillot.

Extrait étudié

Il était onze heures quand nous arrivâmes à Chaillot. Nous fûmes reçus à l’auberge comme des personnes de connaissance. On ne fut pas surpris de voir Manon en habit d’homme, parce qu’on est accoutumé, à Paris et aux environs, de voir prendre aux femmes toutes sortes de formes. Je la fis servir aussi proprement que si j’eusse été dans la meilleure fortune. Elle ignorait que je fusse mal en argent. Je me gardai bien de lui en rien apprendre, étant résolu de retourner seul à Paris le lendemain pour chercher quelque remède à cette fâcheuse espèce de maladie.
Elle me parut pâle et maigre en soupant. Je ne m’en étais point aperçu à l’hôpital, parce que la chambre où je l’avais vue n’était pas des plus claires. Je lui demandai si ce n’était point encore un effet de la frayeur qu’elle avait eue en voyant assassiner son frère. Elle m’assura que, quelque touchée qu’elle fût de cet accident, sa pâleur ne venait que d’avoir essuyé pendant trois mois mon absence. « Tu m’aimes donc extrêmement ? lui répondis-je. — Mille fois plus que je ne puis dire, reprit-elle. — Tu ne me quitteras donc plus jamais ? ajoutai-je. — Non, jamais, » répliqua-t-elle. Cette assurance fut confirmée par tant de caresses et de serments, qu’il me parut impossible en effet qu’elle pût jamais les oublier. J’ai toujours été persuadé qu’elle était sincère. Quelle raison aurait-elle eue de se contrefaire jusqu’à ce point ! Mais elle était encore plus volage, ou plutôt elle n’était plus rien, et elle ne se reconnaissait pas elle-même, lorsque, ayant devant les yeux des femmes qui vivaient dans l’abondance, elle se trouvait dans la pauvreté et dans le besoin. J’étais à la veille d’en avoir une dernière preuve qui a surpassé toutes les autres, et qui a produit la plus étrange aventure qui soit jamais arrivée à un homme de ma naissance et de ma fortune.
Comme je la connaissais de cette humeur, je me hâtai, le lendemain, d’aller à Paris. La mort de son frère et la nécessité d’avoir du linge et des habits pour elle et pour moi étaient de si bonnes raisons, que je n’eus pas besoin de prétextes. Je sortis de l’auberge avec le dessein, dis-je à Manon et à mon hôte, de prendre un carrosse de louage ; mais c’était une gasconnade, la nécessité m’obligeant d’aller à pied. Je marchai fort vite jusqu’au Cours-la-Reine, où j’avais dessein de m’arrêter. Il fallait bien prendre un moment de solitude et de tranquillité pour m’arranger et prévoir ce que j’allais faire à Paris.


Problématique

En quoi ce texte est-il l’occasion de dresser le portrait des personnages ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous verrons que ce passage présente la nouvelle situation sociale des deux amants, puis, dans un deuxième temps qu’il est l’occasion de dresser un portrait complexe de Manon. Enfin, nous verrons que le narrateur instaure une relation de complicité avec le lecteur.


I – Présentation de la nouvelle situation sociale des amants

De « Il était onze heure » à « espèce de maladie »

Le cadre spatio-temporel est posé d’emblée dès la première phrase, la précision ajoutant toujours au réalisme du récit : « Il était onze heures quand nous arrivâmes à Chaillot. »

Plus précisément, le lieu de chute du Chevalier et Manon est une auberge, ce qui marque un net contraste avec les débuts dans un appartement à Paris où l’argent ne manquait pas.

L’atmosphère chaleureuse de l’auberge est évoquée dès l’accueil des deux personnages, grâce à la comparaison « comme des personnes de connaissance ».

Le chevalier rappelle l’apparence de Manon, qui a dû se travestir en homme pour quitter l’Hôpital général. Si ce travestissement souligne symboliquement les multiples visages de Manon, la tournure impersonnelle au passé simple « On ne fut pas surpris de voir Manon en habit d’homme », laisse comprendre au lecteur l’indifférence des gens, et par là-même la réussite du plan d’évasion des deux amants.

La proposition subordonnée circonstancielle de cause « parce qu’on est accoutumé, à Paris et aux environs, de voir prendre aux femmes toutes sortes de formes » est une critique morale implicite adressée à la société parisienne, jugée changeante et libertine.

Progressivement, le chevalier justifie le point de chute qu’est l’auberge. Ainsi, la tournure comparative « aussi proprement que si j’eusse été dans la meilleure fortune » indique les difficultés financières que le chevalier tente de cacher. Sa pauvreté est soulignée à deux autres reprises, par la proposition subordonnée conjonctive complétive « que je fusse mal en argent » et par la périphrase « cette fâcheuse espèce de maladie ».

Malgré cette situation, le chevalier maintient les apparences auprès de Manon, qu’il ne veut pas décevoir, comme le confirment les expressions « elle ignorait » et « Je me gardai bien de lui en rien apprendre ». A ses yeux, cette étape est donc passagère, « étant résolu de retourner seul à Paris le lendemain ».

II – Le portrait complexe de Manon

De « Elle me parut pâle » à « de ma naissance et de ma fortune »

Le portrait de Manon est esquissé par le narrateur, comme l’indique le modalisateur « Elle me parut ».

Les deux premiers adjectifs attributs du sujet « pâle et maigre » insistent sur l’apparence physique de Manon, qui s’est dégradée.

Par le recours au plus-que-parfait de l’indicatif (« je ne m’en étais point aperçu à l’Hôpital » et « je l’avais vue »), le narrateur rappelle des épisodes précédents explication ce changement physique : l’emprisonnement de Manon à la Salpêtrière, l’assassinat du frère de Manon.

Mais la pâleur de Manon inquiète Des Grieux, ce qui est explicite dans le discours indirect introduit par les expressions « je lui demandai si » et « elle m’assura que ».

Le narrateur y voit « un effet de la frayeur qu’elle avait en voyant assassiner son frère. » Les termes liés au registre pathétique accentuent cette description saisissante de Manon : « pâle », « maigrie », « frayeur », « assassiner », « accident », « pâleur ».

Mais Manon rectifie aussitôt en expliquant que sa pâleur est le fruit de la longue absence du narrateur. Sa réponse se situe donc dans le registre lyrique comme en témoigne les termes  « touchée », « absence », « tu m’aimes ? », « caresses », « serments ».

Le passage au discours direct rend compte de cette déclaration d’amour de façon encore plus authentique (« Tu m’aimes donc extrêmement ? (…) Tu ne me quitteras donc plus jamais ? ajoutai-je. Non, jamais, répliqua-t-elle.« )

Il n’est donc plus question de l’état de santé de Manon mais bien des sentiments des deux personnages. Les interrogations de des Grieux conduisent Manon à révéler son amour.

Cet amour est de l’ordre de l’absolu, tant les expressions sont intensives, comme l’illustrent les adverbes d’intensité « extrêmement », « tant », « toujours », la tournure comparative et hyperbolique « Mille fois plus que je ne puis dire » et la négation totale « plus jamais ».

Ces réponses assurées révèlent également un personnage sûr de lui, qui a de la répartie et maîtrise ses émotions.

Les démonstrations amoureuses de Manon sont patentes. Le complément d’agent « par tant de caresses et de serments » constitue la preuve d’un amour authentique pour le Chevalier puisque les gestes sont en adéquation avec les déclarations de Manon.

Avec un regard rétrospectif, des Grieux affirme qu’il a « toujours été persuadé qu’elle était sincère. »

Le Chevalier est donc sûr des sentiments de Manon. En effet, la tournure interrogative au conditionnel passé « Quelle raison aurait-elle eue de se contrefaire jusqu’à ce point ? » illustre combien l’inverse est irréel. Néanmoins, l’antithèse « sincère » / « contrefaire » souligne le caractère fluctuant de Manon.

Car le chevalier est lucide face au caractère versatile de Manon Lescaut comme le souligne la conjonction de coordination « Mais », qui marque une opposition dès la phrase suivante : « Mais elle était encore… ».

Il qualifie Manon de « plus volage », voire de « plus rien » lorsqu’elle est face à des marques de richesse, au point qu’« elle ne se reconnaissait pas elle-même ». Il est conscient de la superficialité de Manon et de son goût démesuré pour le luxe.

Manon est en effet sensible à « l’abondance ». Ainsi, le narrateur souligne la situation actuelle de Manon, qui vit dans le dénuement, à celle des autres femmes, qu’elle envie, grâce à une antithèse entre le pluriel et le singulier (« des femmes » // « elle »), entre l’action et la passivité (« vivaient »// « se trouvaient ») et entre la richesse et le dénuement (« dans l’abondance » // « dans la pauvreté et dans le besoin »).

L’intérêt du lecteur est aiguisé par la dernière phrase de ce paragraphe : la révélation est imminente (« j’étais à la veille »), elle est de la plus haute importance (« avoir une dernière preuve qui a surpassé toutes les autres ») et elle a eu des conséquences incroyables comme l’indique le superlatif (« qui a produit la plus étrange aventure qui soit jamais arrivée à un homme de ma naissance et de ma fortune. »)

III – Le rôle du lecteur, complice du Chevalier

De « Comme je la connaissais » à la fin de l’extrait

Le récit se poursuit au passé simple : « je me hâtai, le lendemain, d’aller à Paris. », « je sortis de l’auberge », « je marchai fort vite » : les aventures sont relancées à un rythme vif après cette pause constituée par l’analyse psychologique de Manon.

Les deux raisons avancées par Des Grieux à Manon pour justifier leur départ sont « La mort de son frère et la nécessité d’avoir du linge et des habits pour elle et pour moi ». En réalité, le lecteur est conscient que la pauvreté jette les deux amants à nouveau sur la route. La vraie raison de ce départ est expliquée par Des Grieux dans la proposition subordonnée de cause, en début de paragraphe : « Comme le la connaissais de cette humeur ».

Le chevalier instaure ainsi une relation de complicité avec le lecteur qui sait la situation réelle, à la différence de Manon, qui est trompée par le chevalier des Grieux.

Ainsi, devant elle, il affirme vouloir « prendre un carrosse de louage ». Il rectifie aussitôt pour le lecteur : « c’était une gasconnade », c’e qui renvoie à ‘est-à-dire une forfanterie.

La proposition subordonnée circonstancielle de cause « la nécessité m’obligeant d’aller à pieds. /» sert d’aveu.

Le chevalier semble vouloir maîtriser la suite des événements et fixe la prochaine étape géographique de son parcours (Cours-la-Reine). L’expression de l’obligation avec une tournure impersonnelle « Il fallait bien prendre un moment de solitude et de tranquillité » et du but « pour m’arranger et prévoir ce que j’allais faire à Paris. » souligne sa détermination.

Manon Lescaut, la fuite à Chaillot : conclusion

Cet extrait permet au narrateur de peindre sa situation sociale : la pauvreté le contraint à fréquenter une auberge et à changer de lieu.

Mais cette difficulté est aussi un ressort narratif puissant : il permet aux amants de se déclarer leur amour.

Le portrait de Manon qui en ressort est complexe : elle apparaît à la fois fragilisée par les récents événements, sincère dans ses sentiments, mais toujours sensible au luxe et à l’abondance, ce qui contraint le Chevalier à lui mentir.

Ce dernier met tout en œuvre pour dissimuler sa pauvreté et fait ainsi du lecteur son complice. Son passage à l’action relance les péripéties de son aventure avec Manon.

Le lecteur découvrira par la suite que la vie des amants à Chaillot s’accompagnera de duperies, d’infidélités et d’une nouvelle arrestation.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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