Manon Lescaut, L’évasion de Saint-Lazare : analyse

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Voici une lecture linéaire du récit de L’évasion de la prison Saint Lazare dans Manon Lescaut de l’Abbé Prévost.

L’extrait analysé ici va de e « Comme je n’en avais pas à perdre » à « j’étais sans doute à Saint Lazare pour longtemps ».

Manon Lescaut, L’évasion de Saint-Lazare, introduction

Dès sa parution en 1731, Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut fut jugé immoral et frappé par la censure.

Le roman de l’abbé Prévost (1697-1763) constitue le tome VII des Mémoires et aventures d’un homme de qualité.

Le personnage fictif qui s’en dit l’auteur, M. de Renoncour, fait une pause après les six premiers tomes des Mémoires pour raconter l’histoire de la passion amoureuse entre le chevalier Des Grieux et Manon Lescaut. (Voir la fiche de lecture de Manon Lescaut pour le bac de français)

Après une tentative d’escroquerie, Manon est enfermée à l’hôpital. Le chevalier Des Grieux, emprisonné à Saint-Lazare, profite de la sympathie que lui témoigne le supérieur pour tenter de s’enfuir et aller libérer Manon.

L’extrait étudié relate l’évasion planifiée, armée et rocambolesque de Des Grieux, avec prise d’otage.

Problématique

En quoi cet événement clé reflète-t-il la détermination du personnage à vivre sa passion amoureuse pour Manon, quel qu’en soit le prix ?

Extrait analysé

Comme je n’en avais pas à perdre, je repris la parole pour lui dire que j’étais fort touché de toutes ses bontés, mais que, la liberté étant le plus cher de tous les biens, surtout pour moi à qui on la ravissait injustement, j’étais résolu de me la procurer cette nuit même, à quelque prix que ce fût ; et de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sur mon juste-au-corps. Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous voulez m’ôter la vie, pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? À Dieu ne plaise, lui répondis-je. Vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité ; mais je veux être libre, et j’y suis si résolu que, si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous absolument. Mais, mon cher fils, reprit-il d’un air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ? Eh non ! répliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer, si vous
voulez vivre. Ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis. J’aperçus les clefs qui étaient sur sa table. Je les pris et je le priai de me suivre, en faisant le moins de bruit qu’il pourrait. Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il me répétait avec un soupir : Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait cru ? Point de bruit, mon Père, répétais-je de mon côté à tout moment. Enfin nous arrivâmes à une espèce de barrière, qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j’étais derrière le Père, avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l’autre. Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir, un domestique, qui couchait dans une chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se lève et met la tête à sa porte. Le bon Père le crut apparemment capable de m’arrêter. Il lui ordonna, avec beaucoup d’imprudence, de venir à son secours. C’était un
puissant coquin, qui s’élança sur moi sans balancer. Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. Voilà de quoi vous êtes cause, mon Père, dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche point d’achever, ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis heureusement et je trouvai, à quatre pas, Lescaut qui m’attendait avec deux amis, suivant sa promesse.
Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer
un pistolet. C’est votre faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? Cependant je le remerciai d’avoir eu cette précaution, sans laquelle j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps.

Abbé Prévost, Manon Lescaut

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous verrons que Des Grieux se montre déterminer à s’évader de prison.

Dans un deuxième temps, nous nous évoquerons la prise d’otage du religieux, avant d’analyser les enjeux du coup de théâtre qui suit, lorsqu’un domestique surgit.

Enfin, nous verrons comment le meurtre et la réaction de Des Grieux signe sa chute dans la marginalité et l’immoralité.

I – Une détermination à toute épreuve

De « Comme je n’en avais pas à perdre » à « que je tenais sur mon juste-au-corps »

Le texte s’ouvre sur la mention du temps restreint dont dispose Des Grieux pour s’évader, comme l’indique la proposition subordonnée circonstancielle de cause « Comme je n’en avais pas à perdre », ce qui nous plonge dans l’atmosphère d’un roman d’aventures.

La scène concerne majoritairement deux personnages : le chevalier et le père supérieur, religieux qui détient les clés des chambres des prisonniers. Leur échange s’effectue d’abord au discours indirect : « je repris la parole pour lui dire que ».

Le lecteur a alors accès au caractère du chevalier : ce dernier se dit sensible à la bonté du religieux comme l’indique le verbe de sentiment accentué par l’adverbe d’intensité « fort » : « j’étais fort touché« .

Toutefois, Des Grieux oppose à la bonté un autre idéal, celui de la liberté qualifié par le superlatif « le plus cher de tous les biens ». Cette opposition est marquée par la conjonction de coordination « mais » (« mais que, la liberté étant…« ) qui indique d’emblée la détermination du chevalier à faire passer la liberté avant toutes les autres valeurs.

Des Grieux proclame son statut de victime avec l’adverbe « injustement ».

Sa détermination est patente, comme l’indiquent les compléments circonstanciels de temps (« cette nuit même ») et de manière (« à quelque prix que ce fût »).

Mais le chevalier affiche également une attitude de malfaiteur qui met son plan à exécution, sans aucun scrupule. Ainsi, il évoque d’abord implicitement un moyen de pression, qui est décrit par la périphrase « une honnête raison de silence, que je tenais sur mon juste-au-corps ».

II – La prise d’otage

De « Un pistolet ! » « répétais-je de mon côté à tout moment »

La nature de ce moyen de pression est explicitée par le religieux, dont l’émotion est à son paroxysme, comme le suggèrent la ponctuation expressive et l’interjection « Quoi ! » : « Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! » .

L’échange est relaté subitement au discours direct : ce changement, associé à la ponctuation expressive, actualise la scène qui nous donne l’impression de se dérouler sous nos yeux.

Les expressions chaleureuses « mon fils », « mon cher fils » mettent en relief la bonté et l’affection du supérieur.

Le religieux met en évidence une antithèse fait transparaître l’absence de principe moral du chevalier : « vous voulez m’ôter la vie, pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? ». Le supérieur incarne la conscience morale qui met en balance le bien et le mal.

Par la suite, ses interrogations (« que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ?) confirment sa peur grandissante.

La réponse du chevalier ne se fait pas attendre : il flatte l’intelligence du Père Supérieur pour ne pas avoir à justifier un crime : « vous avez trop d’esprit et de raison ».

Son affirmation est sans appel, comme en témoignent le verbe de volonté « je veux être libre », l’intensité de l’adjectif (« j’y suis si résolu que »), et de l’adverbe « absolument ».

Cette phrase, également articulée autour de la conjonction de coordination « mais » fait écho à la phrase des lignes 1 et 2 : Le chevalier oppose de nouveau son désir de liberté à toutes autres valeurs : « Vous avez trop d’esprit pour me mettre dans cette nécessité; mais je veux être libre » .

La périphrase « c’est fait de vous absolument » constitue donc une menace non dissimulée.

Le chevalier semble appliquer une certaine morale, lorsqu’il dit « Je n’ai pas dessein de vous tuer, si vous voulez vivre. » Mais le parallélisme entre la vie et la mort souligne la pression immorale exercée sur le religieux dont la vie est en jeu.

Le recours à l’impératif (« ouvrez-moi la porte ») et à la voix passive un peu plus tard (« il fut obligé de s’y résoudre ») matérialise la résolution sans faille de Des Grieux et la soumission du religieux.

L’évasion progresse, grâce à l’obtention de clefs et aux actions qui se succèdent, dans une atmosphère de roman d’aventures : « j’aperçus », « je les pris et je le priai de me suivre », « nous avancions », « il ouvrait une porte ».

Aucun obstacle n’interfère, hormis les lamentations du Père et sa question rhétorique (« Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait cru ? »). Le chevalier prend toutes les précautions possibles et réduit le religieux au silence. Le contraste entre les deux personnages met en relief l’insensibilité du chevalier.

III – Les enjeux du coup de théâtre

De « Enfin nous arrivâmes » à « au milieu de la poitrine »

Le rythme de la progression des deux personnages s’intensifie et le cadre spatial se précise : « nous arrivâmes à une espèce de barrière, qui est avant la grande porte de la rue », « derrière le Père ».

La hâte du chevalier est perceptible dans l’expression « je me croyais déjà libre ». Le lecteur est suspendu à cette évolution et à cette liberation imminente.

Le complément circonstanciel de manière « avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l’autre » nous offre de façon très visuelle le spectacle d’un Des Grieux transformé en malfrat.

Mais un coup de théâtre vient modifier le plan de l’évasion : le réveil d’un « domestique », relaté au présent de narration, pour actualiser la scène : « un domestique (…) se lève et met la tête à la porte » .

Le passé simple retranscrit la rapidité de la scène. Les verbes d’action s’enchaînent : « crut« , « ordonna« , « s’élança » .

Le point de vue interne du récit permet d’insérer des marques de jugement éclairantes pour le lecteur : « le bon Père le crut apparemment capable de m’arrêter », « il lui ordonna, avec beaucoup d’imprudence, de venir à mon secours ».

Le narrateur prépare ainsi l’issue de ce coup de théâtre qui se solde par un meurtre : « Je ne le marchandai point; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine.« 

La violence de ce meurtre réside dans l’asyndète (= absence de mot de liaison) entre les propositions qui marque la soudaineté et l’irrémédiabilité du geste : « Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. »

L’impression de rapidité et de sècheresse véhiculée par l’asyndète souligne l’absence de discernement du chevalier, son incapacité à dialoguer avec un innocent et son action irréfléchie .

Cet acte aura de graves conséquences pour Des Grieux qui devient, désormais, un fugitif et un criminel sans scrupules.

IV – La chute dans la marginalité et l’immoralité

De « Voilà de quoi » à « j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps.« 

Plus choquant encore, le chevalier se montre sans moralité, allant jusqu’à accuser, avec emphase, le comportement du religieux d’avoir conduit à ce meurtre : « Voilà de quoi vous êtes la cause » .

L’adverbe « fièrement » et son dernier geste violent envers un homme d’église (« en le poussant vers la dernière porte ») montrent à quelles extrémités Des Grieux est prêt pour retrouver sa liberté et son amour.

Une fois dehors, le plan du chevalier se vérifie : il retrouve le frère de Manon, Lescaut, et deux de ses acolytes.

Le chevalier a un comportement double : d’une part, il accuse Lescaut pour se dédouaner du meurtre (« pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? ») ; d’autre part, il le remercie d’avoir pensé au pistolet qui lui a permis une évasion rapide et efficace.

Son insistance à nier sa responsabilité dans ce meurtre est toutefois cynique et souligne la chute du personnage dans l’immoralité.

L’évasion de Saint-Lazare, Manon Lescaut, conclusion

L’épisode de l’évasion de Saint Lazare constitue un épisode clé sur plusieurs plans.

Tout d’abord, sur le plan du rythme de la narration : il crée une aventure rocambolesque et intense.

Ensuite, sur le plan de la construction du personnage Des Grieux, il révèle une facette double : mû par sa soif de liberté et son amour pour Manon, mais aussi déterminé et sans morale, capable de planifier une évasion, de malmener un homme d’église et de tuer un innocent.

Enfin, sur le plan des enjeux du roman, cet épisode fait désormais du chevalier un fugitif et un criminel, tombé définitivement dans la marginalité.

Le roman de l’abbé Prévost a été accusé d‘immoralité. Néanmoins, il ne faut pas oublier l’excipit de Manon Lescaut, qui donne à ce roman une portée moralisatrice et pédagogue : Des Grieux souffrira par la suite de la perte de Manon et de la mort de son père, signe que l’immoralité ne mène pas au bonheur.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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2 commentaires

  • Bonjour,
    Je consulte votre site depuis quelques années en temps que professeur, pour compléter mes préparations de cours. J’aurais souhaité donner à mes élèves votre analyse de la scène d’évasion de Saint Lazare, que je trouve excellente, et qui leur permettrai d’avoir un exemple d’analyse rédigée. Mais je ne peux pas copier et coller celle-ci. Je me suis inscrite en pensant que je pourrai avoir accès aux analyses et m’en servir, mais je ne peux pas plus copier votre texte. Est-ce normal?
    En vous remerciant,
    Julie

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