Discours sur le bonheur, Madame du Châtelet : analyse

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Voici une analyse linéaire d’un extrait de Discours sur le bonheur de Madame du Châtelet.

L’extrait étudié va de « La sagesse doit avoir toujours les jetons à la main » à « toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état. »

Discours sur le bonheur, Madame du Châtelet, introduction

Le bonheur est une notion à laquelle ont réfléchi bien des philosophes : défini comme Souverain Bien chez Platon grâce à la vertu, absence de trouble pour les épicuriens, quête de Dieu chez Pascal…

Au siècle des Lumières, Madame du Châtelet (1706-1749) s’inscrit donc dans une tradition de réflexion philosophique à laquelle elle donne une perspective féminine.

Son Discours sur le bonheur, est la seule œuvre personnelle qu’on lui connaît ; elle a été publiée à titre posthume en 1779.

Extrait étudié

La sagesse doit avoir toujours les jetons à la main ; car qui dit sage dit heureux, du moins dans mon dictionnaire. Il faut avoir des passions pour être heureux ; mais il faut les faire servir à notre bonheur, et il y en a auxquelles il faut défendre toute entrée dans notre âme. Je ne parle pas des passions qui sont des vices, telles que la haine, la vengeance, la colère. L’ambition, par exemple, est une passion dont je crois qu’il faut défendre son âme, si on veut être heureux ; ce n’est pas par la raison qu’elle n’a point de jouissances, car je crois que cette passion peut en fournir ; ce n’est pas parce que l’ambition désire toujours, car c’est assurément un grand bien ; mais c’est parce que de toutes les passions c’est celle qui met le plus notre bonheur dans la dépendance des autres : or, moins notre bonheur est dans la dépendance des autres, et plus il nous est aisé d’être heureux. Ne craignons pas de faire trop de retranchements sur cela ; il en dépendra toujours assez. Par cette raison d’indépendance, l’amour de l’étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur. Dans l’amour de l’étude se trouve enfermée une passion dont une âme élevée n’est jamais entièrement exempte, celle de la gloire. Il n’y a même que cette manière d’en acquérir pour la moitié du monde, et c’est cette moitié justement à qui l’éducation en ôte les moyens, et en rend le goût impossible.

Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d’autres moyens d’arriver à la gloire, et il est sûr que l’ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens, soit par son habileté dans l’art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement ou les négociations, est fort au-dessus de celle qu’on peut se proposer par l’étude. Mais les femmes sont exclues par leur état de toute espèce de gloire ; et quand par hasard il s’en trouve quelqu’une née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état.

Problématique

En quoi cet extrait permet-il à l’autrice de défendre la quête du bonheur féminin ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous verrons que Madame du Châtelet propose une réflexion générale sur le bonheur, pour montrer ensuite que l’amour de l’étude est la passion la plus susceptible de mener au bonheur. Enfin, nous montrerons dans un troisième temps qu’elle prend la défense des femmes.

I – Une réflexion sur le bonheur

Du début à « il en dépendra toujours assez »

L’extrait s’ouvre sur une maxime énoncée au présent de vérité générale : « La sagesse doit avoir toujours les jetons à la main : car qui dit sage dit heureux » Le sujet s’annonce philosophique dans la mesure où l’auteure cherche à définir la sagesse et utilise d’emblée un vocabulaire abstrait (« sagesse », « bonheur »).

La plume de Madame du Châtelet se veut donc sérieuse, mais aussi légère grâce à la convocation d’une image concrète (« les jetons à la main ») et à l’ajout humoristique « du moins dans mon dictionnaire » qui crée une complicité avec le lecteur.

La thèse est explicite : « il faut avoir des passions pour être heureux ». Cette thèse peut surprendre quand on sait que l’étymologie du terme passion réfère à la souffrance (patior, en latin : souffrir). Au XVIIème siècle, siècle du classicisme, la passion est d’ailleurs considérée comme un vice empêchant la sagesse et la modération. 

Mais Madame du Châtelet, au lieu de condamner toutes les passions, les distingue : certaines passions sont nécessaires au bonheur, valeur suprême.

Bien sûr, « il y en a auxquelles il faut défendre toute entrée dans notre âme ». Cette mise en garde formulée par une expression impersonnelle (« il faut ») témoigne de la profondeur et de la nuance de la réflexion de l’autrice. D’ailleurs, par l’utilisation du déterminant possessif (« nôtre âme »), elle engage le lecteur dans son raisonnement.

Madame de Châtelet accorde une importance particulière à être comprise : la définition des termes est en effet indispensable à toute argumentation. Ainsi, lorsqu’elle écrit « Je ne parle pas ici des passions qui sont des vices, telles que la haine, la vengeance, la colère. », elle cherche à partir d’un même socle de vocabulaire.

Par la suite, elle développe l’exemple universel de l’ambition, tout en exprimant un point de vue nuancé, comme le souligne le recours aux modalisateurs (« je crois » à deux reprises, l’adverbe « assurément »)

Son raisonnement vise donc à condamner l’ambition, comme passion dégradante pour toute âme qui cherche le bonheur.

Mais la raison de cette condamnation est retardée en troisième position d’un rythme ternaire (« ce n’est pas par », « ce n’est pas parce que », « mais c’est parce que »). Nous accédons ainsi à un raisonnement tout en nuance.

Tout d’abord, Madame de Châtelet concède que l’ambition peut fournir de la jouissance, et que les désirs ne sont pas tous condamnables. Elle exprime son jugement mélioratif par la proposition coordonnée « car c’est assurément un grand bien ».

Mais cette concession permet de mieux faire éclater la cause véritable de la condamnation de l’ambition à la fin de la phrase. Ainsi, la formule superlative avec la mise en relief « c’est celle qui met le plus notre bonheur dans la dépendance des autres » fait éclater sa pensée avec force.

Madame du Châtelet use ici d’un raisonnement par syllogisme : l’ambition rend notre bonheur dépendant des autres, or plus notre bonheur dépend des autres, moins nous accédons au bonheur.

La conclusion est implicite mais forte : alors, il nous faut condamner l’ambition.

L’autrice implique toujours le lecteur, comme l’illustre l’emploi de l’impératif présent à la première personne du pluriel : « Ne craignons pas de faire trop de retranchement sur cela, il en dépendra toujours assez. »

II – L’amour de l’étude contribue à notre bonheur

De « Par cette raison d’indépendance » à « le goût impossible »

Madame de Châtelet tire une conséquence de sa réflexion, comme le souligne le complément circonstanciel de cause : « Par cette raison d’indépendance, l’amour de l’étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur. » Il s’agit d’une seconde thèse énoncée clairement et le groupe nominal « l’amour de l’étude » est répétée dans deux phrases consécutives, afin de marquer l’esprit du lecteur.

Après l’ambition, l’autrice évoque la passion de la gloire, avec un effet de retardement puisque cette passion est d’abord désignée par une longue périphrase à connotation positive (« une passion dont une âme élevée n’est jamais exempte ») avant d’être nommée précisément.

La négation restrictive « il n’y a même que cette manière d’en acquérir pour la moitié du monde » affirme un lien indissociable entre l’étude et la gloire. La périphrase « pour la moitié du monde » désigne ici le sexe féminin.

Or, « c’est cette moitié justement à qui l’éducation en ôte les moyens, et en rend le goût impossible. » Par deux négations lexicales – le verbe « ôter » et l’adjectif « impossible », Madame du Châtelet dénonce le peu de cas qui est fait de l’éducation des femmes qu’on empêche d’accéder à la connaissance.

III – La défense des femmes

De « Il est certain que l’amour » à fin de l’extrait

Madame du Châtelet prend soin de distinguer les hommes des femmes grâce à une tournure comparative : « Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes. »

Elle avance que « Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes. »

Ici, le présent de vérité générale et le système d’antithèses (hommes//femmes, infinité//entièrement, ressources//manquent) soulignent le décalage entre les hommes et les femmes qui n’ont, elles, que l’amour de l’étude pour s’élever et se rendre utiles.

En effet, l’autrice montre que les hommes comme les femmes peuvent avoir un objectif commun : « rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens ».

Mais les moyens pour y arriver divergent : les hommes se voient conférer trois compétences d’ordre militaire, politique ou diplomatiques, comme l’indiquent les trois groupes nominaux : « son habileté dans l’art de la guerre », « ses talents pour le gouvernement », « ou les négociations ».

Le rythme ternaire amplifie cette supériorité des hommes, présentée par ailleurs comme indiscutable, à travers les adverbes « fort au-dessus ».

Dès lors, Madame de Châtelet dénonce une exclusion injuste, par une phrase commençant par le connecteur logique d’opposition « Mais » : « Mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire ».

Par leur sexe, les femmes ne peuvent développer ces talents. Ainsi, l’étude est le seul moyen pour elles de s’extraire « de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état. » Le pluriel et l’emploi du déterminant globalisant « tout » : « de toutes les exclusions et de toutes les dépendances » mettent en lumière l’ampleur des injustices subies par les femmes et sonne comme une condamnation de ces injustices.

La tournure restrictive « Il ne lui reste que l’étude » souligne ainsi l’importance capitale de l’éducation pour les femmes.

Discours sur le bonheur, Madame du Châtelet, conclusion

Dans ce texte, Madame du Châtelet adopte une posture d’autrice philosophique, ce qui est novateur à une époque où ce sont les philosophes des Lumières, hommes, qui sont écoutés.

Ce discours, même sans avoir été écrit pour être publié, témoigne d’un raisonnement à la fois traditionnel et moderne. En effet, Madame du Châtelet emprunte à une tradition philosophique de réflexion sur le bonheur, les passions. Mais elle lui donne une aura féminine en dénonçant les différences faites entre les hommes et les femmes dans la société.

Ces dernières sont exclues et dépendantes alors, leur seul salut réside dans l’amour de l’étude. Madame du Châtelet en est un parfait exemple dans la mesure où elle s’est illustrée dans les mathématiques et la physique, notamment grâce aux cours de Fontenelle que sa famille fréquentait.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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