Le Malade imaginaire de Molière, acte 2 scène 2 : analyse

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Voici une explication linéaire de l’acte II scène 2 du Malade imaginaire (1673) de Molière.

Le Malade imaginaire, acte II scène 2, introduction

Le Malade imaginaire, comédie-ballet de Molière joué pour la première fois en 1673, met en scène Argan, un hypocondriaque qui promet sa fille Angélique au fils d’un médecin, Thomas Diafoirus. (Voir la fiche de lecture du Malade imaginaire)

Mais Angélique confie à Toinette son amour pour un jeune homme, Cléante.

À l’acte I, Toinette cherche à dissuader Argan de marier Angélique avec Thomas Diafoirus, en vain.

À l’acte II, Cléante se présente chez Argan comme le professeur de musique remplaçant. Son but est de voir Angélique dans l’intimité.

Toinette est dans la confidence lorsque Argan arrive à la scène 2.

Scène analysée

Argan, se croyant seul, et sans voir Toinette.
Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin, dans ma chambre, douze allées et douze venues ; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long ou en large.
toinette.
Monsieur, voilà un…
argan.
Parle bas, pendarde ! tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades.
toinette.
Je voulois vous dire, monsieur…
argan.
Parle bas, te dis-je.
toinette.
Monsieur…
(Elle fait semblant de parler.)
argan.
Hé ?
toinette.
Je vous dis que…
(Elle fait encore semblant de parler.)
argan.
Qu’est-ce que tu dis ?
toinette, haut.
Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.
argan.
Qu’il vienne.
(Toinette fait signe à Cléante d’avancer.)

cléante.
Monsieur…
toinette, à Cléante.
Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de monsieur.
cléante.
Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux.
toinette, feignant d’être en colère.
Comment ! qu’il se porte mieux ! cela est faux. Monsieur se porte toujours mal.
cléante.
J’ai ouï dire que monsieur était mieux ; et je lui trouve bon visage.
toinette.
Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais ; et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.
argan.
Elle a raison.
toinette.
Il marche, dort, mange et boit tout comme les autres ; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit fort malade.
argan.
Cela est vrai.
cléante.
Monsieur, j’en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de mademoiselle votre fille ; il s’est vu obligé d’aller à la campagne pour quelques jours ; et, comme son ami intime, il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà.
argan.
Fort bien. (À Toinette.) Appelez Angélique.
toinette.
Je crois, monsieur, qu’il sera mieux de mener monsieur à sa chambre.
argan.
Non. Faites-la venir.
toinette.
Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s’ils ne sont en particulier.
argan.
Si fait, si fait.
toinette.
Monsieur, cela ne fera que vous étourdir ; et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’état où vous êtes, et vous ébranler le cerveau.
argan.
Point, point : j’aime la musique ; et je serai bien aise de… Ah ! la voici. (À Toinette.) Allez-vous-en voir, vous, si ma femme est habillée.

Le Malade imaginaire, Molière, acte II scène 2

Problématique

Comment cette scène permet-elle d’approfondir la satire du malade imaginaire tout en renouant avec le comique simple de la farce ?

Annonce de plan linéaire

Nous analyserons dans un premier mouvement que cette scène approfondit la satire sur le type du malade imaginaire (I).

Dans un second mouvement, nous verrons que grâce à la comédie jouée par Cléante et Toinette pour tromper Argan, cette scène constitue un savoureux moment de théâtre dans le théâtre (II)

I – La satire du malade imaginaire

Du début de la scène à « qu’il vienne » .

La scène s’ouvre sur un registre comique: la mention de Monsieur Purgon ainsi que le verbe «m’a dit de», qui permet de rapporter des paroles, suggèrent une dépendance physique et psychologique d’Argan à l’égard de son médecin.

Le parallélisme «douze allées et douze venues» et la répétition du chiffre « douze » accentuent le caractère mécanique de la gestuelle d’Argan et l’inscrit dans le comique farcesque de la Commedia dell’Arte.

Cette réplique constitue aussi une didascalie interne car elle implique qu’Argan marche en prononçant ces paroles, ce qui crée un comique de geste.

La mention du nombre «douze» rappelle également la scène 1 de l’acte I où Argan compte méticuleusement tous ses médicaments. Son excès à tout vouloir compter confine à la psychose.

Le complément circonstanciel de lieu «dans ma chambre» renforce cet effet comique par une animalisation : Argan paraît en effet être un vieux lion en cage.

Molière renforce le registre comique par un comique de mots ( «si c’est en long ou en large») qui montre l’extrême dépendance d’Argan à l’égard de Monsieur Purgon.

Toinette souhaite introduire Cléante (« voilà un… » ) mais elle est interrompue par Argan sur un ton autoritaire, avec l’impératif «parle bas» et l’injure «pendarde» .

La mention du «cerveau» est un paradoxe comique car le début de la scène a justement montré que le cerveau d’Argan,capturé par Monsieur Purgon, n’est pas en bon état de fonctionnement.

La périphrase «des malades» est également comique : les «malades» ne désignent en effet pas ici un état passager mais une sorte d’espèce particulière, une essence à laquelle Argan s’identifie.

Argan rejoint ainsi le type satirique du «malade imaginaire» qui confond son humanité à la maladie.

II – La mise en scène de Toinette : le théâtre dans le théâtre

De «Toinette fait signe à Cléante d’avancer» à la fin de la scène

S’instaure alors un jeu théâtral comique entre Toinette et Argan.

Les didascalies externesElle fait semblant de parler») obéit jusqu’à l’absurde à la demande d’Argan. Cette gestuelle qui mime la parole relève de la Commedia dell’Arte.

La tournure syntaxique qu’elle emploie lorsqu’elle fait à nouveau entendre sa voix («Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous») rejoint le parler populaire avec notamment l’emploi de la préposition «à» devant «vous», ce qui tend à amuser le spectateur.

En même temps les allitérations en (k) et surtout en (v) donnent une musicalité qui n’est pas sans rappeler l’appartenance de la pièce au genre de la comédie-ballet.

La réponse d’Argan (« Qu’il vienne » ) prolonge cette harmonie phonique et accentue cette réminiscence de la comédie-ballet.

À travers la didascalie externe, Toinette devient metteur en scène car c’est elle qui dirige les autres personnages : «Toinette fait signe à Cléante d’avancer».

Toinette va jouer la colère pour mimer l’inimitié avec Cléante (alors qu’elle est sa complice) comme nous le montrent la didascalie «feignant d’être en colère».

Toinette essaie comiquement de gagner la confiance d’Argan en reprenant les mots de ce dernier «de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur» dans un effet d’écho comique.

Cléante essaie de susciter la bienveillance d’Argan par une captatio benevolentiaequi vise à s’attirer ses bonnes grâces : «Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout et de voir que vous vous portez mieux».

L’allitération en (v) renoue dans cette première phrase avec la musicalité précédente et renforce le caractère phoniquement harmonieux de la scène.

Cette musicalité verbale incarne par ailleurs le rôle que Cléante souhaite jouer : professeur de chant.

Malheureusement pour Cléante, la captatio benevolentiae est ici comique car elle est en décalage avec l’attente d’Argan qui ne s’envisage que comme malade.

Toinette a tôt fait de corriger le tir par des exclamations réprobatrices: «Comment ! qu’il se porte mieux !»

Elle rectifie ironiquement la captatio benevolentiae : «Monsieur se porte toujours mal» : paradoxalement, il s’agit de la seule entrée en matière efficace pour un personnage hypocondriaque.

Cléante persiste dans son erreur car il passe de la rumeurj’ai ouï dire») à la perceptionje lui trouve bon visage») comme s’il donnait un brevet de santé à Argan.

Toinette répond avec ironie par le déterminant possessif «votre bon visage».

Elle remplace alors le diagnostic de santé par le diagnostic souhaité par Argan comme le montre le champ lexical de la maladie «mauvais», «si mal porté», «fort malade».

Encore une fois, l’ironie de Toinette transparaît dans l’antithèse entre le champ lexical de la santémarche», «dort», «mange», «boit», «comme les autres» et l’hyperbolejamais si mal porté»).

Argan ne perçoit pas l’ironie comme le montre son approbation réitéréeElle a raison», «Cela est vrai»). C’est un personnage facilement manipulable.

Cléante joue alors le rôle prévu pour tromper Argan.

Il se présente comme professeur de musique remplaçant et précise les circonstances favorables destinées à faire accepter son entrevue avec Angélique: «comme son ami intime» « pour lui continuer ses leçons de peur qu’en les interrompant».

Les propositions enchâssées (il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons de peur qu’en les interrompant elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà») montrent que Cléante essaie d’enfermer Argan dans sa logique.

Argan paraît coopératif («Fort bien») mais provoque un coup de théâtre par l’impératif «Appelez Angélique».

Le stratagème imaginé par Cléante ne se déroule pas comme prévu puisqu’il souhaitait voir Angélique dans l’intimité.

Toinette va alors tenter de rectifier le tir en usant d’arguments variés pour faire infléchir Argan :

  • l’argument de confortje pense qu’il sera mieux»)
  • l’argument de la qualité pédagogique de la leçon («comme il faut»)
  • l’argument de la maladie qui donne lieu à un comique de mots puisque Toinette reprend les mots prononcés par Argan lui-même en début de scène («vous ébranler le cerveau»).

La réplique d’Argan balaie l’ensemble des arguments («Point, point»).

Il fait sortir Toinette de l’espace scéniqueAllez vous en voir vous» ). L’allitération en (v) joue comme une basse continue dans cette scène qui s’inscrit parfaitement dans le genre de la comédie-ballet.

Le Malade imaginaire, acte II scène 2, conclusion

La scène 2 de l’acte II approfondit la satire du personnage central, le malade imaginaire, dans la tradition de la caractérologie du XVIIème siècle, comme le fera La Bruyère dans ses Caractères.

Mais elle constitue aussi un éloge du théâtre et du genre de la comédie-ballet qui reste le genre du divertissement très prisé au 17ème siècle.

Cléante et Angélique sont au défi d’exprimer leur amour en présence de celui qui ne veut aucunement en entendre parler. La scène 3 de l’acte III va permettre aux personnages de réaliser cette prouesse en chantant, dans le plus pur esprit de la comédie-ballet.

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Amélie Vioux

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