Le Malade imaginaire, acte 3 scène 12 : lecture linéaire

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le malade imaginaire molière acte III scène 12Voici une analyse linéaire de l’acte III scène 12 du Malade Imaginaire de Molière.

La scène est étudiée ici en intégralité.

Le Malade imaginaire, acte III scène 12, introduction

Molière, homme de théâtre du XVIIème siècle, est l’un des plus grands dramaturges français.

Il est célèbre pour ses comédies de mœurs qui dénoncent les défauts humains, souvent incarnés par un personnage excessif : L’Avare, Le Misanthrope, Les précieuses ridicules

L’excès et la démesure sont très mal vus dans un XVIIème siècle marqué par l’idéal de l’honnête homme, convenable, modéré et cultivé. Molière montre ainsi comment l’excès de passions crée le désordre social et familial.

Le Malade Imaginaire, dernière pièce de Molière jouée en 1673, met en scène Argan, un père de famille qui se croit malade, et qui veut contraindre sa fille Angélique à se marier avec un jeune médecin pédant. Béline, sa seconde épouse, cherche quant à elle à s’accaparer les biens d’Argan.  (voir la fiche de lecture pour le bac de français du Malade imaginaire)

La servante Toinette, par une série de subterfuge, souhaite dévoiler la vérité sur les personnages qui entourent Argan. Elle met au point une mise en scène destinée à prendre Béline au piège en demandant à Argan de faire le mort.

Problématique :

Comment cette scène de comédie dans la comédie permet-elle de révéler la vérité cachée des personnages ?

Plan d’analyse linéaire :

Dans une première partie, du début de la scène à « le pauvre défunt est trépassé« , Toinette met en scène une parodie de tragédie.

Dans une deuxième partie, de « Assurément ? » à « prenons auparavant toutes ses clés« , Béline révèle son absence de sentiments pour Argan.

Dans une troisième partie, de « se levant brusquement » à la fin, Argan crée un coup de théâtre final en se réveillant.

I – Une parodie de tragédie

A – Un tragique surjoué

La scène commence in medias res, avec Toinette qui s’exclame : « Ah ! mon Dieu ! Ah malheur ! Quel étrange accident ! »

Cette entrée en matière parodie la tragédie car Toinette s’exprime en alexandrin et parvient à déployer en une seule réplique un champ lexical de la fatalité (« Dieu» , « malheur » , « étrange » , « accident »).

La tonalité tragique est accentuée par les quatre points d’exclamation et les interjections.

Le rythme même de cet alexandrin est ascendant (1/2/3//6), mimant ainsi une montée en tension dramatique tout à fait représentative du registre tragique.

Néanmoins, le spectateur doit sentir que ce tragique est joué, artificiel, par Toinette qui est à la fois metteur en scène et acteur. La didascalie « s’écrie » suggère le caractère surjoué de cette plainte tragique.

De plus, certains mots sont dissonants dans cet alexandrin tragique : le terme « accident » ramène la tonalité tragique ( où il est question de fatalité, de nécessité) à l’univers de la comédie (« accidents » se disant pour un événement contingent et prosaïque).

Molière se plait en réalité à créer une mise en abyme en insérant une petite comédie au sein de la grande comédie qu’est la pièce.

Suite à la question de Béline (« Qu’est-ce, Toinette ? »), la réponse de Toinette (« Ah Madame ») crée un effet de suspense et d’attente s’inscrivant davantage dans la comédie que dans la noblesse tragique.

B – Une scène de comédie

La nouvelle est annoncée de manière directe à Béline : « Votre mari est mort ».

Par la périphrase « votre mari » pour désigner Argan, Toinette rappelle le lien sacré du mariage et indirectement la fidélité que ce doivent les époux.

À ce moment, Béline devient une veuve, ce qui est une forme de renoncement à un être cher, au monde, aux plaisirs. Or, la réplique interrogative (« Mon mari est mort ? ») de Béline peut se lire de deux manières : l’incrédulité devant la tragédie ou plutôt une froideur que l’on sent dans l’effet d’écho syntaxique.

Toinette reprend l’interjection tragique par excellence : « Hélas ! ».

Mais le tragique est brisé par le comique de mots qui suit : « Le pauvre défunt est trépassé« .  La tautologie (le fait de dire deux fois la même chose « défunt / trépassé ») enlève toute noblesse à cette annonce.

De plus, l’euphémisme « Le pauvre défunt est trépassé » est censé atténuer la brutalité de la mort mais cet euphémisme intervient après l’annonce brute « Votre mari est mort » ce qui le rend inutile et crée un effet de décalage comique.

II – Béline révèle son absence de sentiments

A – Le premier coup de théâtre : la réaction de Béline

La réplique froide de Béline (« Assurément ? ») lève toute ambiguïté quant aux sentiments de Béline : elle demande comme un acte de décès à Toinette, comme pour s’assurer qu’Argan est bien mort.

La répétition par Toinette très administrative « Assurément » ressemble à la délivrance de cet acte de décès.

La réaction de Béline constitue alors un premier coup de théâtre. L’expression liturgique « Le Ciel en soit loué » qui traduit un remerciement à Dieu est en décalage intégral avec la veuve éplorée que l’on attendrait.

La situation est comique du fait que le spectateur sait qu’Argan entend tout. On imagine la périphrase « grand fardeau » résonner de manière douloureuse à ses oreilles.

Le déterminant démonstratif « cette » (« cette mort ») montre une indifférence cynique de Béline à la mort d’Argan qu’elle met à distance.

Toinette ramène ironiquement Béline à son statut de veuve avec les obligations comportementales qui vont avec « Je pensais, Madame, qu’il fallût pleurer ». Elle met en évidence le décalage entre la froideur de Béline et l’attitude escomptée d’une veuve.

Le verbe « falloir » associer au verbe « pleurer » dénonce l’artificialité des rôles joués sur la scène sociale où les pleurs ne sont souvent qu’un spectacle offert aux autres.

B – Le portrait satirique d’ Argan par Béline

Béline se lance dans un portrait critique d’Argan qui n’est pas sans faire penser aux Caractères de Théophraste (La Bruyère n’écrit ses Caractères qu’en 1688, soit 15 ans après Le Malade imaginaire) esquissant le portrait du fâcheux, un type classique dans la littérature satirique.

Le champ lexical de la saleté (« incommode », « malpropre », « dégoûtant », « mouchant », « crachant ») fait d’Argan un personnage repoussant.

L’énumération ascendante « mouchant, toussant, crachant toujours » renforce la dimension satirique de cet anti-portrait.

Le champ lexical de la maladie (« lavement », « médecine », « ventre », « mouchant », « toussant », « crachant ») en fait l’anti-portrait d’un héros, un atrabilaire hypocondriaque et colérique.

L’enchaînement des participes présents (« fatiguant », « grondant ») dresse un portrait en action du personnage dans le plus pur style de la littérature satirique.

Mais surtout Béline fait d’Argan une figure diamétralement opposée à celle de l’honnête homme :
♦ À la courtoisie et à l’humeur toujours égale de l’honnête homme du XVIIème siècle s’oppose la « mauvaise humeur » d’Argan.
♦ À l’esprit et aux belles lettres s’oppose « sans esprit ».
♦ À l’art de plaire s’oppose « ennuyeux ».
♦ À la modération et à la considération s’oppose « grondant jour et nuit ».

Argan est l’anti honnête homme, ce qui au XVIIème siècle disqualifie immédiatement le personnage.

 C – L’ironie de Toinette sur la cupidité de Béline

Toinette répond avec une ironie cinglante par l’antiphrase « Voilà une belle oraison funèbre ». Toinette souligne le décalage entre la tonalité tragique et louangeuse de l’oraison funèbre et ce portrait satirique sans concession.

Béline ne perçoit pas l’ironie, tellement occupée par son désir de s’enrichir.

Le champ lexical de l’économie (« récompense », « affaire », « papiers » « l’argent » « me saisir » , « sans fruit ») montre le matérialisme de Béline qui la rend insensible à la mort d’Argan.

Le temps passé avec Argan est d’ailleurs envisagé comme un investissement (« il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années ») Autrement dit, elle a vendu sa jeunesse d’hier contre l’argent d’aujourd’hui.

Béline achète de surcroît Toinette : « ta récompense est sûre » . Elle conclut donc avec Toinette un contrat de nature commerciale.

Pour arriver à ses fins, elle se transforme en metteur en scène, dirigeant Toinette comme le montrent les verbes à l’impératif (« portons-le » , « tenons » , « Viens » , « prenons auparavant »)

III – Le coup de théâtre final

A – Deuxième coup de théâtre : le réveil d’Argan

Mais Argan sonne la fin de la représentation comme l’indiquent les didascalies « se levant brusquement ».

Le rideau du spectacle inventé par Toinette tombe. Les masques sont levés. Argan est vivant d’où le cri de surprise de Béline qui se rend compte qu’elle a été dupée (« surprise et épouvantée : Aïe ! » )

Argan utilise une périphrase ironique « Madame ma femme » qui rappelle à Béline ses obligations d’épouse (« ma femme » ) tout en la mettant à distance grâce au « Madame« .

L’allitération lyrique en « m »Oui Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez » ) est ironique puisqu’elle constate justement le non amour de Béline pour Argan.

Argan poursuit dans le registre satirique à travers l’expression ironique de « beau panégyrique » qui montre le décalage entre le terme « panégyrique » , discours de louange destiné aux saints ou aux héros et le portrait désastreux qu’a fait Béline de son époux.

B – La révélation de la vérité

La mise en scène de Toinette a permis de dévoiler à Argan les sentiments de Béline. Il peut la lire désormais à livre ouvert. La sortie immédiate de Béline montre que le trompeur a été trompé et que son sort est scellé  : »à Béline qui sort » .

Ce dévoilement de la vérité est salutaire pour Argan qui se dit plus « sage » et plus clairvoyant pour l’avenir, comme le souligne le futur de l’indicatif : « me rendra sage » , « m’empêchera » .

Béralde qui sort de sa cachette prend acte de cette vilénie.

L‘impératif dans la réplique de Toinette souligne que la servante reprend son rôle de metteur en scène pour soumettre Angélique à la même épreuve : « remettez-vous comme vous étiez« .

Le champ lexical de la connaissance (« J’entends », « voyons », « éprouver », « connaîtrez » ) montre que Toinette tend un miroir aux personnages qui dévoilent leur âme. Elle est une allégorie de la vérité et met à nu les secrets des personnages.

Le Malade imaginaire, acte 3 scène 12, conclusion

Cette scène de théâtre dans le théâtre, organisée par Toinette, a permis de révéler la vérité cachée des personnages, en faisant tomber le masque de Béline. La théâtre de Toinette est donc paradoxalement un révélateur de vérité.

La Bruyère songera peut-être à ce portrait d’Argan par Béline lorsqu’il dressera le portrait satirique de Giton dans les Caractères. Tout comme Marivaux se souviendra surement de l’ironie de Toinette pour composer le personnage d’Arlequin.

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Amélie Vioux

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2 commentaires

  • Bonjour Amélie !
    Tout d’abord, je tiens à vous dire que j’apprécie beaucoup le travail que vous faites et j’ai pour habitude de mener mes élèves vers votre site qui est clair et inspirant pour nombre d’entre eux.
    Je tenais juste à faire une petite remarque puisque je note ici l’utilisation de l’expression « In media res » en place et lieu de « in medias res » que nous devons à Horace.
    Je vous remercie encore une fois pour votre travail de qualité.
    Bien cordialement
    Tony

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